Dans notre imaginaire, l’Elysée a toujours été ce somptueux palais dans lequel les chefs d’Etat se sont succédé dans leurs habits les plus pimpants. Que nenni ! L’histoire de cet ancien hôtel particulier est bien plus rock’n’roll, puisque le lieu a en réalité été tour à tour un salon d’astrologie, un café-concert, un hôtel de passe et même le lancement d’un coup d’état !
Un hôtel né sous le coup d’un scandale
Après la mort de Louis XIV en 1715, le château de Versailles est peu à peu délaissé par la bourgeoisie, qui préfère investir les hôtels particuliers de Paris. Cette année-là, le comte d’Evreux cherche alors à s’établir dans la capitale, mais ce courtisan désargenté manque de ressources.
Après avoir vendu son comté normand, il achète finalement deux terrains proches des actuels Champs-Elysées, dans lesquels ne se trouvent que des jardins maraîchers et des bois. Afin de poursuivre ses projets, l’ambitieux comte épouse alors la fille d’Antoine Crozat, un négrier qui n’est autre que l’homme le plus riche de France au XVIIIe siècle. Coïncidence ? Toujours est-il que cette union lui rapporte une dot de 2 000 000 livres, lui permettant de financer la construction de son hôtel.
Edifié entre 1718 et 1720 par Armand Claude Mollet, cette demeure de style classique se construit donc sur un récit quelque peu immoral. Non seulement l’argent provient en grande partie de la traite négrière, mais en plus, le comte d’Evreux n’hésite pas à exclure son épouse – âgée tout de même de 12 ans ! – le jour même de l’inauguration pour y accueillir sa maîtresse. Grâce à plusieurs spéculations, le nouveau propriétaire détient désormais assez d’argent pour rembourser la dot, se séparer de sa femme et y demeurer jusqu’à sa mort.
Les extravagances de la marquise de Pompadour
C’est en 1753 que la marquise de Pompadour, favorite de Louis XV, décide d’acquérir cet hôtel. Bien qu’il reste une demeure secondaire, celle-ci y fait de nombreuses transformations à la charge du royaume de France : elle fait recouvrir les murs de boiseries et d’or, ajoute des tapisseries des Gobelins et des lustres en cristal. Le jardin est quant à lui aménagé de portiques, de charmilles, de cascades, d’un labyrinthe, ainsi qu’une grotte entièrement dorée. On peut même y voir un troupeau de moutons aux cornes dorées – qui ont d’ailleurs causé quelques dommages en fonçant dans les reflets d’un grand miroir, qu’ils pensaient être leurs rivaux.
Mais cela ne suffit pas à la marquise : souhaitant installer un immense potager, celle-ci reçoit du roi près de deux hectares de terrain, barrant la route des actuels Champs-Elysées. Ces caprices extravagants ne tombent pas alors dans l’oreille d’un sourd. Le peuple ne tarde pas à exprimer sa colère en inscrivant plusieurs graffitis injurieux sur la façade de la demeure, sur laquelle on peut notamment lire « La maison de la putain du roi ».
Le salon d’astrologie de la duchesse de Bourbon
A la veille de la Révolution, la dernière occupante de l’hôtel n’est autre que la fille du duc d’Orléans, la duchesse de Bourbon. Après avoir été délaissée par son mari, et rejetée par la Cour en raison de ses nombreuses liaisons, celle-ci s’installe en 1787 dans ce qu’elle va nommer « l’hôtel de l’Elysée ». Le nom proviendrait de la proximité du domaine avec le carré de l’Elysée, l’un des jardins de l’avenue des Champs-Elysées.
Quelque peu fantasque, la duchesse réserve les salons de l’hôtel à des séances de chiromancie, d’astrologie et de magnétisme. Il n’est ainsi pas rare d’y croiser Mesmer, tout comme le moine mystique Christophe Antoine Gerle ou l’oracle Catherine Théot, alors très en vogue à l’époque.
Café-concert, jeux de hasard et hôtel de passe
L’Elysée a étonnement bien survécu aux tumultes de la Révolution. Ayant agi en faveur du nouvel esprit républicain, la duchesse de Bourbon récupère son hôtel en 1797, après que celui-ci ait accueilli l’imprimerie du Bulletin des Lois. Mais cette période agitée a laissé des traces, et la propriétaire ne peut entretenir cette grande demeure a elle seule. L’idée lui vient donc de louer le rez-de-chaussée à Benoît Hovyn et Jeanne La Violette, un couple de négociants flamands, qui finiront par racheter l’édifice entier. Afin de ramener de l’argent et de la légèreté après le traumatisme de la Terreur, ces deux malins décident en effet de transformer ce riche hôtel en un lieu de plaisirs dédié aux classes les plus aisées.
Le 21 juin 1797, le feu vert est lancé. Pour inaugurer ce nouveau lieu festif, les propriétaires voient les choses en grand : ils décident tout bonnement de faire s’envoler une montgolfière avec un mouton, qui sera ensuite lâché avec un parachute. Et le succès est à son comble ! L’Elysée devient un véritable café-concert où l’on peut boire en écoutant de la musique, danser lors de bals masqués, déguster une glace de chez le fameux Garchi, se promener dans les jardins, mais aussi parier sur des jeux de roulette et contempler des feux d’artifice ! Un vrai centre d’attraction où l’on rencontre tout le gratin de l’élite parisienne, parmi laquelle dansent de jeunes filles habillées en sauvage ou à la grecque. Pour les plus intellectuels, des conférences scientifiques sont organisées, une salle d’exposition permanente est ouverte et une bibliothèque est accessible aux abonnés.
Pour rendre le lieu plus rentable, les Hovyn décident alors de faire payer l’entrée moins chère aux femmes, afin de ramener davantage d’hommes et faire de l’Elysée un véritable lieu de libertinage. Dans cette logique, le couple ouvre alors le premier étage pour proposer plusieurs chambres privées. Très vite, le lieu se transforme alors en un hôtel de passe, fréquenté par les filles de joie qui travaillent non loin de là, derrière les bosquets des Champs-Elysées. Et tout cela se déroule dans la plus grande confidence, puisque la plupart des fêtes à l’Elysée étaient masquées.
Les prémices du coup d’état de Napoléon III
Récupéré par la famille Bonaparte, l’hôtel reprend son titre de noblesse en devenant sous la IIe République l’ « Elysée national ». Dès 1848, l’Assemblée national le désigne comme la résidence du président de la République. Louis-Napoléon Bonaparte, premier président élu au suffrage universel direct, en fait donc l’un de ses lieux de résidence. Celui-ci réaménage alors le lieu en un véritable palais au style londonien. Il organise aussi de nombreuses réceptions et soirées dansantes auxquelles seront invités d’éminents artistes et écrivains de l’époque, tels que Victor Hugo, Lamartine, Eugène Delacroix ou Alfred de Musset.
Mais à la troisième année de son mandat, le président refuse de céder sa place. Le 1er décembre 1852, après une réception en l’honneur du préfet Georges Eugène Haussmann, il organise alors une réunion secrète dans le salon d’argent. Victor Hugo avait alors prédit les intentions du chef de l’Etat : « Cet homme va nous perdre, il fait danser la république en attendant de la faire sauter. » Et ce que craignait le célèbre poète finit par arriver dès le 2 décembre. La décision est en effet prise : Louis-Napoléon Bonaparte fait un coup d’Etat en édictant six nouveaux décrets, devenant alors empereur sous le nom de Napoléon III.
Romane Fraysse
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