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Le Collège de France, un idéal humaniste né en réaction à la Sorbonne

Par Romane Fraysse

En plein cœur du Quartier latin, le Collège de France pourrait presque faire de l’ombre à l’imposante Sorbonne si l’on connaissait mieux son histoire. Car, en retraçant près de cinq siècles, on découvre que cette institution française unique en son genre est née dans l’objectif de transmettre librement une pensée critique, contemporaine et en perpétuel mouvement. Une modernité et une démocratisation de l’enseignement qui justifie que l’on s’y intéresse de plus près.

Un collège royal aux visées humanistes

Nous passons souvent devant ce grand bâtiment intimidant, tout près de la Sorbonne. Si l’on pourrait croire à première vue que le Collège de France a campé dans la rue des Ecoles pour poursuivre l’enseignement de la célèbre université médiévale, c’est tout le contraire qui s’est produit ! En effet, l’institution s’est fondée en 1530 par opposition à la scolastique de la Sorbonne, qui avait alors le monopole sur la Théologie, le Droit, la Médecine, les Arts, et était fermement opposée à toute nouvelle discipline. Peu de chance, donc, que ce haut-lieu puisse se réformer de lui-même.

Le Collège de France
Fondation du Collège royal par François Ier, Pierre Claude François Delorme, 1847

Au XVIe siècle pourtant, l’Europe entière est éprise par l’esprit moderne de la Renaissance, qui baigne dans un idéal humaniste. Grâce à l’imprimerie, les textes de l’Antiquité sont davantage accessibles, et de nouvelles lectures en sont faites, ce qui n’est pas vraiment du goût des maîtres de la Sorbonne. Sensible à ce nouveau mouvement, François Ier décide alors d’instituer six lecteurs royaux afin d’enseigner de nouvelles langues, en plus du traditionnel enseignement du latin. Et pour accueillir cette nouvelle pensée, il prévoit de créer le Collège royal, ancêtre du Collège de France.

Néanmoins, à cette époque, le Collège n’a pas encore de toit à lui. Il n’existe que par le regroupement de lecteurs royaux qui font date, tels que Pierre Ramus, Adrien Turbene ou Jean Dorat. Leur pensée critique et leurs commentaires avisés ont inspiré les auditeurs de l’époque, dont les illustres poètes de la Pléiade. Avec cette méthode moderne et cette défense de la libre-pensée, un nouvel enseignement était donc en train de naître.

L’invention des lecteurs royaux

Mais quels étaient donc ces « lecteurs royaux » qui osaient faire de l’ombre aux illustres maîtres de la Sorbonne ? Sous le patronage de François Ier, ces intellectuels étaient choisis pour leur défense des idées humanistes sous l’influence de l’écrivain Guillaume Budé. Ainsi, ils bénéficiaient des privilèges attachés à leur personne, en étant considérés comme de véritables conseillers du roi. En plus de cela, ces derniers jouissent du droit de committimus, une faveur accordée par le roi leur donnant le droit d’évoquer leur cause en priorité devant un juge autre que celui qui est normalement saisi.

Le Collège de France
La Fondation du Collège Royal par François Ier, Guillaume Guillon-Lethère, 1824

Ainsi, les premiers lecteurs royaux se voient confier l’enseignement du grec, de l’hébreu et de la mathématique, alors que les maîtres de la Sorbonne ne reconnaissaient que le latin comme véritable langue scientifique. Plus tard, en 1534, Bartholomaeus Latomus est finalement désigné pour enseigner l’éloquence latine, puis s’ajoutent les leçons de langues orientales, de philosophie, de médecine et d’arabe. Les cours sont alors donnés dans différents lieux, comme les Collèges de Tréguier et de Cambrai.

Le Collège de France
Le Collège royal fondé par François Ier

A la fin du XVIe siècle, on compte finalement 17 chaires. Néanmoins, chaque roi adapte les enseignements selon ses préférences : Henri IV décide de créer une chaire spécialisée en anatomie, botanique et pharmacie, Louis XIII ajoute la chaire de droit canon et Louis XIV celle de syriaque. C’est d’ailleurs sous le règne d’Henri II que le Collège royal occupe son emplacement actuel, avant d’être agrandi en 1772 par l’architecte Jean-François Chalgrin. En plein cœur du Quartier latin, le Collège royal continue à fonctionner selon le même principe de chaires et ne cesse de faire croître son influence, jusqu’à finalement être renommé « Collège de France » durant la Révolution française.

Un lieu de savoir depuis 1530

Si le Collège de France est né il y a près de cinq siècles, il n’en a pas perdu pour autant son objectif de démocratiser une pensée indépendante. Dès sa création, il prend d’ailleurs la devise « Docet omnia », signifiant « Il enseigne tout ». Et son originalité demeure encore aujourd’hui, puisqu’il est le seul établissement d’enseignement supérieur français à délivrer des cours gratuits et accessibles à tous sans inscription préalable. Et ceux-ci ont en plus de cela le bénéfice de ne pas être uniquement ouverts aux Parisiens, puisque les leçons et les colloques sont également consultables sur le site de l’institution. En plus de cela, le Collège de France édite chaque année les textes intégraux de ses leçons inaugurales et de ses conférences.

Le Collège de France
“Docet Omnia”, la devise du Collège de France

L’institution répond ainsi à deux objectifs inédits : celui d’être à la fois le lieu de la recherche la plus audacieuse et celui de son enseignement libre d’accès. Si l’hexagone détient nombre d’universités et écoles prestigieuses, le Collège de France demeure le seul à enseigner « le savoir en train de se constituer dans tous les domaines des lettres, des sciences ou des arts », faisant de la pensée un acte qui se réactualise sans cesse.

Les chaires, un rythme inédit

Si le Collège de France ne compte désormais plus de « lecteurs royaux », mais bien des professeurs, ceux-ci continuent de travailler avec plusieurs centaines de chercheurs et ingénieurs dans un panel étendu comprenant : les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie, la médecine, la philosophie, la littérature, les sciences sociales, l’économie, l’archéologie, la préhistoire et l’histoire. Parmi ces douze chaires, six sont annuelles et accueillent chaque année un nouveau titulaire, tandis que les six autres sont internationales et accueillent tous les cinq ans un nouveau titulaire exerçant à l’étranger.

Le Collège de France
La cour du Collège de France

Ainsi, le Collège de France est en mouvement souple et constant : les chaires n’étant pas permanentes, toutes les disciplines se reconfigurent pour s’adapter à l’esprit de l’époque et à ses recherches. Les nouveaux membres sont quant à eux élus par l’assemblée des professeurs : ils ne sont pas sélectionnés selon leur grade universitaire, mais davantage par rapport à l’originalité de leurs travaux. Malgré son grand âge, l’institution garde donc une réelle vitalité et un esprit moderne duquel d’autres établissements devraient prendre exemple.

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