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A la rencontre du Petit Prince : une exposition pour voir avec le cœur

Jusqu’au 26 juin 2022, le Musée des Arts Décoratifs reçoit la toute première exposition française dédiée au Petit Prince. En traversant ce chef-d’œuvre intemporel, plus de 600 pièces nous plongent dans les vies plurielles d’Antoine de Saint-Exupéry, à mi-chemin entre l’aviation et l’écriture.

Antoine ou l’étreinte de l’enfance

S’il existait un pays de l’enfance, à la manière du Neverland de Peter Pan, Antoine de Saint-Exupéry vivrait à coup sûr sur ses terres. C’est cette attache toute particulière aux préludes de l’existence que la commissaire Anne Monier Vanryb entend célébrer durant l’exposition. Dès la première pièce, on plonge entre nuit et jour dans une galaxie peuplée de souvenirs et de rêves. Quelques photographies, lettres, objets et poèmes nous font découvrir le jeune Antoine pleinement épanoui au sein d’une famille aristocrate. Le parcours nous éclaire particulièrement sur les nombreuses lettres adressées à sa mère tout au long de sa vie. Par son éducation humaniste, cette esthète d’une rare sensibilité a joué un rôle considérable dans la personnalité et l’œuvre de l’écrivain.

La correspondance d’Antoine de Saint-Exupéry – © Erwan Briand

Ainsi, ce doux émerveillement de l’enfance, Antoine de Saint-Exupéry le défend corps et âme dès son entrée dans le monde des adultes, regrettant l’assèchement des esprits trop rationnels. Heureusement, « quelques-uns savent ne pas vieillir et rester poètes ». Si l’écrivain quitte les vers lyriques pour la prose romanesque, l’exposition met en lumière la place centrale qu’il assigne au dessin. Au milieu des manuscrits, lettres et carnets pleuvent de petits bonhommes solitaires aux airs malicieux. Dans une pièce regroupant toutes les aquarelles du Petit Prince, certaines ébauches le représentent sous la forme d’un personnage ailé, double poétique de l’aviateur. Pour Saint-Exupéry, dessiner partout, tout le temps, est ainsi une manière de tenir la main au petit garçon qu’il était.

Aquarelle originale du Petit Prince – © Erwan Briand

Cette éternelle tendresse, on la retrouve aussi dans la place privilégiée qu’il confie à ses relations intimes. « Créer le lien », « apprivoiser » quelqu’un, c’est l’enseignement du renard, que Saint-Exupéry prendra soin d’appliquer tout au long de sa vie. Ainsi, à travers de nombreuses lettres, le parcours met en avant deux personnalités privilégiées par l’écrivain : son épouse Consuelo, qui inspire le personnage de la rose, et son ami Léon Werth, à qui le conte philosophique est dédié.

Le voyage, une invitation à « changer de cœur »

Par une métaphore filée, le parcours nous fait voyager entre des planètes rondes, dont les vitrines exposent plusieurs manuscrits. Quelques silhouettes d’avions sont projetées au sol, tandis que les murs regorgent de photographies de Saint-Exupéry, cette fois-ci en tenue d’aviateur.

Vitrine ronde exposant des manuscrits de Courrier Sud – © Erwan Briand

Si l’on fait une escale dans la deuxième pièce, on peut découvrir un joli texte intitulé Le Voyage, dans lequel l’auteur fait allusion à l’heure désœuvrée qui précède les grands départs, ce sentiment confus où l’on sait qu’on va « un peu changer de cœur ». Ainsi, l’exposition dévoile le mariage constant qui unit, chez Saint-Exupéry, l’écriture à l’aviation : Courrier Sud et Vol de Nuit sont nourris par ses traversées sur la ligne Casablanca-Dakar de l’Aéropostale, comme chef d’escale à Cap Juby dans le Sahara ou directeur de l’Aeroposta Argentina. Engagé dans des raids aériens pour Air France, il poursuit avec Terre des Hommes et signe une œuvre éminemment humaniste. A travers des extraits de films inspirés par ses textes, on apprend qu’il a aussi été le scénariste d’Anne Marie, un drame traitant d’aviation réalisé par Raymond Bernard en 1936.

Photographies de Saint-Exupéry – © Erwan Briand

Mais c’est dans le silence d’une salle déserte et obscure que l’on est soudainement projeté en décembre 1935. Cette année-là, Saint-Exupéry et son mécanicien André Prévost participent à un raid aérien entre Paris et Saigon afin de battre un record de vitesse. Après avoir percuté une dune dans le désert de Lybie, les deux hommes se retrouvent soudain seuls et démunis en plein milieu des étendues de sable. Parmi les photographies et les coupures de journaux, on découvre alors le récit de ces trois jours d’errance qui ont fait naître Le Petit Prince dans l’esprit de l’écrivain.

Le Petit Prince, une voix universelle

A travers Saint-Exupéry, c’est la voix éternelle et immuable du Petit Prince qui résonne à nos oreilles. Ce dernier ouvrage, à la fois humaniste et poétique, incarne à lui seul une morale existentielle qui s’est tissée au fur et à mesure des précédentes publications. L’écrivain y dévoile un message universel, profondément romantique, qui célèbre tout autant la beauté, la sensibilité et l’affection. Il semble, de ce fait, assez absurde de voir ce conte attribué à la littérature jeunesse : c’est bien là tout le souci des « grandes personnes » dont parle le Petit Prince, celles-là mêmes qui considèrent l’imagination comme un désordre de l’enfance.

Antoine de Saint-Exupéry, Première édition du Petit Prince, Reynal & Hitchcock, 1943 – © Fondation JMP pour LPP

Pour marquer le coup, une salle est alors entièrement consacrée au manuscrit original de ce conte philosophique, étonnement présenté pour la première fois en France. On découvre le texte et ses ratures, les aquarelles réalistes et stylisées, puis le parcours s’achève sur une « bibliothèque universelle », celle des 120 éditions étrangères regroupant 495 langues et dialectes différents. Un score impressionnant qui classe Le Petit Prince comme le deuxième ouvrage le plus traduit après la Bible.

Le Petit Prince dans la roseraie – © Éditions Gallimard

Tout de même, il est parfois à craindre que le joli minois de ce blondinet finisse par lasser la foule, tant son visage omniprésent est récupéré depuis quelques décennies comme un emblème du patriotisme français. Mais il est pourtant nécessaire de ne pas perdre de vue le discours philosophique qui découle de cette oeuvre singulière. Comme le rappelle le renard, les choses sérieuses ne sont pas celles qui se présentent à notre regard. Le secret est là : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ».

Romane Fraysse

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