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Au musée Guimet, lumière sur un siècle d’archéologie en Afghanistan

À l’occasion du 100e anniversaire de la Délégation archéologique française en Afghanistan, le musée Guimet rend hommage au siècle d’explorations et de découvertes menées dans ce pays tristement connu pour ses conflits. Jusqu’au 6 février 2023, l’exposition dévoile les richesses de ses civilisations passées, et souhaite préserver la mémoire d’un patrimoine toujours menacé par les talibans.

Une terre à explorer

Le parcours s’intéresse en premier lieu aux regards portés sur l’Afghanistan, véritable fantasme de la littérature et de l’histoire. Fascinés par ce royaume aux mille villes, de nombreux archéologues, ethnologues, écrivains et photographes se déplacent dès le XIXe siècle pour explorer ses terres.

Photographies de la visite du roi Amanullah en France

Face à ce mouvement, le roi Amanullah décide alors de moderniser le pays, indépendant depuis la Troisième guerre anglo-afghane de 1919, en se tournant vers la France, connue pour ses nombreuses missions archéologiques à l’étranger. Le 9 septembre 1922 est alors signée une convention entre les deux pays, fondant la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA). Celle-ci détient le droit de fouiller l’ensemble du territoire afghan, et partage les découvertes entre les deux États, se retrouvant en partie au musée Guimet.

Sculptures de bois du Nouristan

La première salle dévoile quelques photographies du roi Amanullah en visite en France, ainsi que quelques objets découverts par la DAFA. On y découvre plusieurs clichés de Ria Hackin, qui est de toutes les missions de la Délégation de 1929 à 1940 et documente les populations croisées, ainsi que les fouilles réalisées. Joseph Kessel ou Ruydard Kipling rêvent quant à eux face aux sculptures de bois du Nouristan, dont certaines sont exposées dans le parcours. D’autres sont déçus par ce qu’ils découvrent, comme le premier directeur de la DAFA, Alfred Foucher, qui cherchait des trésors grecs et voit dans la citadelle de Bactres un « mirage bactrien » en 1924. Ce n’est qu’à partir de 2002 qu’une ville hellénistique y sera découverte.

Un lieu d’échanges

Après Alfred Foucher, plusieurs directeurs se succèdent à la Délégation, permettant chacun de mener des fouilles importantes et de découvrir des sculptures de schiste, d’argile et de stuc, ainsi que des peintures murales, ou des objets en ivoire et en verre. Ces nombreuses découvertes témoignent de l’essor du bouddhisme sur le territoire au Ier millénaire de notre ère. Le parcours nous présente ainsi les fouilles réalisées à Hadda dès 1923 dans les monastères bouddhiques de Tapa Kalan, Bagh Gaï, Tapa-i Kafariha, Chakhil-i Ghoundi, Deh Ghoundi, Gar Nao et Prates. Les vestiges présentent de nombreux visages, très inspirés de l’art helléniste, dont les expressions demeurent saisissantes.

Têtes féminines en stuc, Hadda, Ier millénaire ap. J.-C.

La visite se poursuit dans les régions de Kaboul, Kapisa, Fondukistan et Bamiyan, où la DAFA arrive en 1922. Dans cette dernière, plusieurs grottes sont découvertes avec des peintures murales et deux bouddhas monumentaux, malheureusement détruits durant la Seconde Guerre mondiale.

Plaques d’ivoire gravées, Trésor de Begram, Ier millénaire ap. J.-C.

À Begram, la découverte du trésor de la cité rassemble des objets en matériaux exotiques – ivoire, os, verre, plâtre, bois laqué, albâtre, porphyre, cristal de roche et œuf d’autruche –, aux iconographies hellénistique, indienne et romaine. Les nombreuses plaques d’ivoire gravées présentées dans l’exposition dévoilent des œuvres minutieuses et resplendissantes, qui laissent imaginer le rayonnement de cette ville royale au Ier siècle de notre ère. Ces éléments de décoration, réalisés dans des ateliers locaux, proviendraient de mobiliers indiens. Parmi les objets remarquables, on trouve aussi d’étonnants flacons en forme de poisson réalisés en verre soufflé.

Des recherches élargies

À partir des années 1952, la DAFA s’installe définitivement à Kaboul et redessine ses contours : la Délégation souhaite se doter de structures patrimoniales nationales, former des archéologies, préserver son patrimoine et élargir ses recherches à l’histoire islamique. Des scientifiques du monde entier partent alors faire des fouilles dans plusieurs régions, telles que Lashkari Bazar ou d’Aï Khanoum.

Photographies des fouilles archéologiques, avec annotations

En réaction, une loi sur les antiquités met officiellement fin au partage des découvertes en 1980. Néanmoins, ces recherches internationales permettent de donner naissance au premier Catalogue des sites d’Afghanistan et de restaurer de nombreux sites, comme le minaret de Jam, les ruines islamiques du Séistan, ou les mausolées des régions de Balkh et de Ghazni.

Vue de l’exposition “Afghanistan. Ombres et légendes” au musée Guimet

C’est à ce moment que de nouvelles découvertes sont faites, notamment à Mundigak, une ville de l’âge du bronze proche de la vallée de l’Indus. On contemple alors plusieurs figurines et vases peints de cette époque lointaine, comprise entre les IVe et IIe millénaires avant notre ère. La civilisation de l’Oxus, présente dans la région entre 2300 et 1500 av. J.-C., s’y enrichit grâce au commerce de matières premières, et ses villes disposent de nombreux ornements sculptés qui sont exposés dans le parcours. La DAFA visite aussi Surkh Kotal, un important site où les vestiges d’un temple sont découverts au sommet de l’acropole et accessibles par un escalier monumental. On y découvre des sculptures de souverains, des colonnes et des chapiteaux orientaux inspirés de l’art grec.

Sous le feu des conflits

L’Afghanistan est aujourd’hui tristement célèbre pour être le territoire de nombreux conflits depuis plusieurs décennies. Le début du « djihad afghan » en 1979 provoque une guerre civile avec les Soviétiques. Les fouilles sont alors interrompues sur la majorité des sites archéologiques, qui subissent de plein fouet les foudres de la guerre : les vestiges de Hadda sont détruits en 1982, le musée national d’Afghanistan est incendié en 1993 et le patrimoine est pillé à travers tout le pays. Plusieurs photographies montrent les sites saccagés par les talibans, qui diffusent des images de leurs actes de vandalisme en signe de propagande. Face aux menaces, le directeur du musée national parvient toutefois à préserver certains objets en les cachant dans différents lieux de Kaboul.

Consolidation des arches centrales de Noh Gonbad, Balkh, 2012 – Photo : Simon Norkolf

Après la défaite des talibans face à l’OTAN fin 2001, le musée national d’Afghanistan rouvre ses portes en 2004 et les œuvres sont restaurées, tandis que la DAFA reprend ses fouilles. L’archéologie prend désormais un nouveau rôle, celui de préserver un site, de restaurer les monuments et de faire un travail de mémoire sur les zones détruites. Malheureusement, cette accalmie est de courte durée avec la reprise de Kaboul par les talibans en 2021, marquant le retrait des troupes de l’OTAN et la relocalisation de la DAFA à Paris. Une situation qui laisse de grandes incertitudes sur la protection du patrimoine national dans les années à venir.

Créations de la maison de couture Zarif Design

Malgré ce récit sombre, le parcours se poursuit avec quelques notes d’espoir qui célèbrent la création. Située à l’étage, l’exposition parallèle « Sur le fil » dévoile les travaux textiles contemporains de femmes afghanes. On découvre ainsi les créations de la maison de couture Zarif Design, dont plusieurs tapisseries et de longs manteaux aux couleurs chatoyantes, sur lesquels est inscrit le mot « PAIX » en afghan. Des courts-métrages et des photographies nous transportent aussi dans les ateliers des tisserands, afin de découvrir un savoir-faire qui se perpétue depuis des millénaires malgré les menaces constantes.

Musée Guimet
6 place d’Iéna, 75116 Paris
Jusqu’au 6 février 2023

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