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Une exposition gratuite retrace l’histoire moderne de l’avortement en France

Simone Veil, ministre de la Santé, a gagné la bataille de l'avortement - © Philippe Ledru / akg-images

C’est au sein de l’hôtel de Soubise – qui vaut à lui seul le détour – que les Archives nationales poursuivent le cycle « Les Remarquables », mettant en lumière un document historique de leurs fonds après le vote du public. En écho à la récente constitutionnalisation de la liberté des femmes de recourir à l’IVG, cette brève exposition dévoile jusqu’au 2 septembre 2024 le manuscrit original du célèbre discours de Simone Veil. Autour de cet objet phare, une dizaine de documents illustrent les combats menés depuis le XXe siècle pour acquérir ce droit fondamental.

L’État contre l’IVG

Il faut se rendre dans l’une des splendides salles de l’hôtel de Soubise pour découvrir cette petite exposition en accès libre. Là, trois vitrines présentent des documents provenant des archives de la Ville de Paris, qui symbolisent plusieurs épisodes de l’histoire moderne de l’IVG. Le début du XXe siècle, tout d’abord. Alors que le féminisme s’inscrit progressivement comme un mouvement social – notamment porté par les suffragettes – l’avènement de la Première Guerre mondiale va accélérer les revendications avec la mobilisation des femmes dans les usines.

Affiche de propagande de l’Alliance Nationale contre la dépopulation, 1940
Affiche de propagande de l’Alliance Nationale contre la dépopulation, 1940

Mais c’est aussi en ces temps sombres que l’avortement devient un crime contre la sûreté de l’État, interdit par l’article 317 du Code pénal. Considérée comme une figure antipatriotique et une menace pour la démographie du pays alors en baisse, la dénommée « faiseuse d’anges » risque la peine de mort sous le régime de Vichy. Ce fut notamment le cas de Marie-Louise Giraud et Désiré Pioge, guillotinées à Paris en 1943 pour avoir fait avorter plusieurs femmes clandestinement. D’après la loi du 31 juillet 1920, toute femme peut être condamnée pour « provocation à l’avortement », révélation de procédés contraceptifs et « propagande anticonceptionnelle ».

Michèle Chevalier, Marie-Claire Chevalier et Gisèle Halimi se rendant au Tribunal pour Enfants de Bobigny, le 11 octobre 1972 - © Alain Dejean / Getty Images
Michèle Chevalier, Marie-Claire Chevalier et Gisèle Halimi se rendant au Tribunal pour Enfants de Bobigny, le 11 octobre 1972 – © Alain Dejean / Getty Images

S’il n’est plus question de peine capitale après la Libération, la femme qui avorte ou aide à avorter encourt toujours l’emprisonnement. L’exposition fait mention du procès de Bobigny, dont la défense assurée par l’avocate Gisèle Halimi a fait avancer le débat autour de la dépénalisation de l’IVG. De même, un petit document dactylographié révèle quelques mots de Simone de Beauvoir, qui avoue avoir avorté et aidé financièrement plusieurs femmes à le faire. Selon certains historiens, plus de 500 000 avortements par an étaient réalisés clandestinement durant les années 1970 dans le pays.

Des voix s’élèvent

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les mouvements d’émancipation prennent de l’ampleur, avec un militantisme de plus en plus assumé. Dès les années 1950, de nombreuses féministes se mobilisent pour défendre l’accès libre aux contraceptifs modernes afin de limiter les avortements clandestins et protéger la santé des femmes.

« Ceci n’est pas un cintre ». Campagne du Mouvement français pour le planning familial. 2016 - © Centre de documentation du Planning Familial, Paris
« Ceci n’est pas un cintre ». Campagne du Mouvement français pour le planning familial. 2016 – © Centre de documentation du Planning Familial, Paris

À l’initiative de la gynécologue Marie- Andrée Lagroua Weill-Hallé naît La Maternité heureuse, qui devient ensuite le Mouvement français pour le planning familial : l’exposition présente notamment une carte postale adressée à l’Assemblée nationale avec le fameux slogan « Un enfant si je veux, quand je veux ».

Carte postale du Mouvement français pour le planning familial
Carte postale du Mouvement français pour le planning familial

À la suite de nombreux combats, la loi du 28 décembre 1967 autorise la vente de contraceptifs, qui ne sera remboursée par la sécurité sociale qu’en 1974. C’est à cette même période que le Mouvement de libération des femmes (MLF) émerge : revendiquant le droit des femmes de disposer librement de leur corps, ses militantes demandent un avortement libre et gratuit pour toutes. Publié dans Le Nouvel Observateur le 5 avril 1971, le fameux manifeste des 343 met en lumière la fréquence des avortements, tandis qu’en février 1973, 331 médecins avouent dans le même journal pratiquer illégalement cet acte, et demandent une dépénalisation.

Le discours de Veil

Face à ces mobilisations, de premières discussions sont engagées sous la présidence de Georges Pompidou afin d’initier une réforme autour de l’avortement thérapeutique. Mais par manque d’accord, c’est finalement sous Valéry Giscard d’Estaing que la loi relative à l’IVG est promulguée, le 17 janvier 1975. Dans la continuité de sa politique libérale, le président défend le projet et confie le dossier à Simone Veil, alors ministre de la Santé.

Brouillon manuscrit du discours prononcé par Simone Veil à l'Assemblée nationale le 26 novembre 1974. Page 8 - © Archives nationales de France
Brouillon manuscrit du discours prononcé par Simone Veil à l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974. Page 8 – © Archives nationales de France

Comme l’évoque la commissaire Bibia Pavard dans une vidéo diffusée au sein de l’exposition, cette mission n’est pas des plus simples pour la magistrate, qui n’a pas de carrière politique établie derrière elle. Méconnue du public, victime d’injures antisémites de la part de certains ministres, celle-ci prépare alors son discours devant le Parlement avec minutie.

Version dactylographiée du discours prononcé par Simone Veil à l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974 - © Archives nationales de France
Version dactylographiée du discours prononcé par Simone Veil à l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974 – © Archives nationales de France

Document phare de l’exposition, le manuscrit du discours est présenté avec sa version dactylographiée. Si l’écriture énergique et serrée du premier reste peu lisible, le second document annoté par la ministre rend compte de ses paroles prononcées en 1974. Assurant que l’avortement « restera toujours un drame » pour la femme qui y recourt, Simone Veil partage sa confiance et son espoir envers la nouvelle génération. Celle-ci parvient alors à convaincre le centre et la gauche, qui font passer cette loi historique. À partir du 17 janvier 1975, l’avortement est officiellement dépénalisé en France.

Une liberté dans la Constitution

Celle que l’on nomme la loi Veil autorise ainsi les femmes en situation de détresse à avoir recours à une interruption volontaire de grossesse dans un délai de dix semaines. Celle-ci met toutefois du temps à être appliquée dans le pays, notamment du fait des résistances du corps médical et des mouvements anti-IVG. Au fil des années, celle-ci évolue alors et s’adapte davantage aux réalités sociales. En 1982, l’acte est remboursé par la Sécurité sociale pour permettre aux femmes les plus démunies d’y avoir recours. En 2001, les délais sont étendus jusqu’à douze semaines, tandis que la notion de « détresse » – qui stipule qu’une femme doit se montrer en situation de détresse pour être autorisée à avorter – est supprimée en 2014. En parallèle, la loi Neietz crée un « délit d’entrave » à l’IVG, pour condamner les actions anti-avortement menées physiquement et numériquement.

Marche pour l’avortement et la contraception libres et gratuits, Paris, 6 octobre 1979. Diapositives Kodachrome 64 - © Michel Calvès
Marche pour l’avortement et la contraception libres et gratuits, Paris, 6 octobre 1979. Diapositives Kodachrome 64 – © Michel Calvès

Ouverte en mars 2024, cette exposition fait bien sûr écho à l’actualité : ce 4 mars 2024, la « liberté garantie » de recourir à l’IVG a été inscrite dans la Constitution française, une première à l’échelle mondiale. Toutefois, l’un des documents présentés rappelle que l’accès à cette pratique médicale reste inégal selon les régions. Comme le rappelle la commissaire Charlène Fanchon, si le texte avait inscrit l’IVG comme un « droit » au lieu d’une « liberté », l’État aurait eu à charge de développer l’accès aux soins sur le territoire, qui souffre déjà du manque de financement public.

Romane Fraysse

À lire également : L’histoire de Marie-Louise Giraud, une « faiseuse d’anges » guillotinée en France

Image à la une : Simone Veil, ministre de la Santé, a gagné la bataille de l’avortement – © Philippe Ledru / akg-images

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