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Une exposition gratuite retrace l’histoire du sacrilège de l’Antiquité jusqu’à nos jours

Une toile de Vincent van Gogh aspergée de soupe à la tomate par des militantes écologistes à la National Gallery de Londres, 14 octobre 2022 - © Just stop oil

La sacralité n’est pas qu’une affaire de religion. C’est ce que démontre la nouvelle exposition gratuite du musée des Archives en retraçant l’histoire du sacrilège depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Suicide de Socrate, affaire des placards, condamnation du chevalier de La Barre, mais aussi célébration de l’Être suprême par Robespierre ou délit d’offense au président français… le rapport au sacré est évoqué dans ses dimensions religieuse, monarchique et républicaine à travers des documents, tableaux et sculptures présentés jusqu’au 1er juillet 2024.

L’invention d’un interdit

Le terme “sacrilège” n’est plus vraiment d’époque. On parle davantage de “blasphème“, notamment depuis les attentats terroristes dans la rédaction de Charlie Hebdo. Toutefois, les commissaires n’ont pas choisi ce terme au hasard : le blasphème étant une catégorie du sacrilège, ceux-ci ont désiré en présenter une histoire plus large, tant dans la sphère religieuse que politique. En reprenant la définition du sociologue Émile Durkheim, ils présentent le sacrilège comme “toute atteinte à ce qui est considéré comme sacré par une société à un moment donné, et est donc protégé par des interdits”.

Jacques de Saint-Quentin, La Mort de Socrate, 1762 - © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris
Jacques de Saint-Quentin, La Mort de Socrate, 1762 – © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris

En ouvrant le parcours avec le procès de Socrate, condamné en 399 av. J.-C. à boire la ciguë pour “ne pas reconnaître les dieux que reconnaît la cité”, l’exposition dévoile l’évolution de la perception du sacrilège dans la société occidentale. Dans la loi juive, celui-ci se définit d’abord sous sa forme verbale : “Tu ne prononceras pas le nom du Seigneur ton Dieu à faux” (Exode, 20, 7). À partir du Moyen Âge, les rois de France intensifient ensuite la répression contre le blasphème : le souverain étant vu comme un élu de Dieu, l’offenser revient à rejeter l’ordre politique voulu par Dieu. Progressivement, la royauté reprend alors les signes religieux, jusqu’à constituer une “religion royale” et prendre son autonomie vis-à-vis de l’Église.

Une religion royale

En faisant du souverain une figure sacrée, les affaires politiques et les affaires religieuses connaissent une séparation au sein de la société. D’un côté, les injures faites au roi sont punies par des procès spectaculaires, tandis que les jurons faits au nom de Dieu conduisent peu souvent à des condamnations du fait de leur trop grande fréquence.

Un exemplaire subsistant des placards incriminés, 1534 - © MICG Tous droits réservés
Un exemplaire subsistant des placards incriminés, 1534 – © MICG Tous droits réservés

Toutefois, la Réforme protestante renverse la tendance à partir de 1517. Les thèses de Martin Luther et Jean Calvin se diffusent partout en France, un grand nombre d’imprimeurs étant de leur confession. Dès lors, le simple blasphème devient hérétique, comme l’illustre la fameuse affaire des placards : en 1534, des affiches anticatholiques sont placardées dans plus villes jusqu’à la porte de la chambre du roi : cet acte va alors mener à une violente répression de la part du pouvoir. François Ier ordonne alors l’arrestation des responsables : six d’entre eux furent pendus et brûlés. Ce conflit va se poursuivre durant les guerres de Religion, jusqu’à ce que l’édit de Nantes autorise le culte réformé en 1598.

De la lèse-majesté à la lèse-nation

Si les religions se déchirent, l’autorité royale continue de renforcer son image sacrée pour perpétuer son action : le sacrilège devient alors un crime essentiellement politique portant le nom de “lèse-majesté“. Toute atteinte au souverain, à son entourage et à ses symboles devient passible de peine de mort. Plusieurs auteurs s’opposent pourtant à cette conception en rappelant que le roi tient son pouvoir du peuple, envers qui il a des obligations.

Charles Philippon, Croquades faites à l’audience du 14 nov. (Cour d’Assises), 1831 -© CC0 Paris Musées Maison de Balzac
Charles Philippon, Croquades faites à l’audience du 14 nov. (Cour d’Assises), 1831 -© CC0 Paris Musées Maison de Balzac

Au XVIIe siècle, le rationalisme et l’athéisme apportent un nouveau discours dans le paysage français. Rendu coupable d’avoir traversé une procession du Saint-Sacrement sans se découvrir, le chevalier de La Barre est le dernier condamné à mort pour sacrilège, le 1er juillet 1766. Pour autant, la chute de la monarchie ne donne nullement lieu à une laïcisation du pouvoir : la Révolution substitue simplement les symboles sacrés en prônant la Nation et de la Constitution, puis le culte de la Raison (Hébert) ou de l’Être suprême (Robespierre). Pour rompre avec l’ancien temps, les signes monarchiques sont profanés, les statues sont détruites, et les tombeaux de rois de France sont exhumés à la basilique Saint-Denis, quelques mois après l’exécution de Louis XVI en 1793. Désormais, les citoyens sont punis pour crime de lèse-nation ou pour blasphème contre la Constitution.

Les religions face à l’État laïque

Si le christianisme n’a désormais pas la même influence, l’exposition explore les relations contemporaines entre l’État et les religions. Alors que le rationalisme progresse au cours du XIXe siècle, les religions sont ouvertement critiquées. La loi de 1881 sur la liberté de la presse abolit définitivement le délit d’outrage à la morale publique et religieuse, et dès lors, les journaux satiriques se multiplient. Toutefois, en 1972, la loi Pleven relative à la lutte contre le racisme institue un nouveau délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence, commise envers des individus “en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée”.

Les chefs d’État à Paris lors de la marche républicaine du 15 janvier 2015 (fig. 97) - © AFP/Bertrand Gardel/Hemis
Les chefs d’État à Paris lors de la marche républicaine du 15 janvier 2015 (fig. 97) – © AFP/Bertrand Gardel/Hemis

La liberté de critiquer les religions au nom du respect des croyants est peu à peu remise en cause. Les incendies criminels perpétués lors la sortie du film La Dernière Tentation du Christ (1988) de Martin Scorsese, ainsi que les attentats islamistes de ces dernières années fragilisent la liberté d’expression, jusqu’à faire l’éloge de la censure. En retraçant cette histoire, l’exposition pose donc une question : “Un État laïque peut-il vivre indépendamment de toute forme de sacralité ?”. Et cela semble impossible, puisque les “ombres de Dieu” continueront toujours à s’exprimer à travers de nouvelles idéologies.

Sacrilège
Musée des Archives
60 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris
Entrée libre et gratuite

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Image à la une : Une toile de Vincent van Gogh aspergée de soupe à la tomate par des militantes écologistes à la National Gallery de Londres, 14 octobre 2022 – © Just stop oil

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