Jusqu’au 31 mars 2024, la maison de Balzac met en parallèle les regards portés par Honoré de Balzac et Honoré Daumier sur la figure du Parisien. Étude sociologique et caricature humoristique ponctuent ce dialogue entre l’illustrateur et l’écrivain, dans ce qui fut autrefois sa demeure. Bien que ponctué par plusieurs dessins contemporains, l’exposition tente une comparaison avec l’époque actuelle qui n’est pas toujours pertinente, dans un parcours hélas assez restreint.
Dans un vestige du village de Passy
Celle que l’on surnomme « la maison de Balzac » a en réalité une histoire bien plus ancienne que celle de l’écrivain, qui l’occupa de 1840 à 1847. Située sur les coteaux de Passy, elle existerait depuis le Moyen Âge, d’après le résultat de fouilles réalisées en 2002 : en effet, ses caves englobent des habitats troglodytiques qui proviendraient du village médiéval de Passy, alors peuplé de vignerons et de carriers. Sous l’Ancien Régime, ces coteaux sont transformés en terrasses accueillant de petites maisons et des hôtels particuliers. Arrivé en octobre 1840, Balzac loue alors la dépendance d’un hôtel, aménagée d’une salle à manger, d’un salon, d’une chambre et d’un cabinet donnant sur un jardin.
C’est en 1949 qu’un homme de lettres, dénommé Louis Baudier de Royaumont, sauve la maison en la transformant en musée. On peut désormais y découvrir des peintures, gravures, manuscrits et objets en lien avec Balzac et son œuvre. C’est notamment dans ce cabinet que l’écrivain corrige l’ensemble de La Comédie humaine. Il faut surtout faire un tour dans la salle regroupant plusieurs centaines de plaques en bois gravé ayant servi à illustrer différentes éditions de ses romans et nouvelles.
On y retrouve une multitude de portraits de ses personnages, ainsi que des scènes emblématiques – à l’instar de celle clôturant Le Père Goriot, où le jeune Rastignac s’écrit : « À nous deux, Paris ! ». Si l’on compte plusieurs plaques originales de Gustave Doré ayant servi à illustrer ses parutions, la plupart proviennent de l’édition Conard (1912-1940) et ont été dessinées par Charles Huard.
Une caricature sociale
L’exposition temporaire mettant en parallèle les écrits de Balzac et les illustrations de Daumier se trouve au sous-sol. Mis en difficulté par l’exiguïté de la maison, le parcours reste malheureusement assez court et manque de dynamisme. La première salle dévoile l’intérêt commun des deux hommes pour l’analyse des différents types sociaux, déclinés à travers la figure du Parisien. De petits extraits des œuvres de Balzac sont inscrits en grandes lettres sur les murs, et se moquent tantôt des commerçants, des rentiers ou des notaires. En établissant des « espèces sociales » marquées par un accessoire, un geste, une expression, l’écrivain se prête lui-même au jeu de la caricature.
En parallèle des textes, on découvre ainsi plusieurs illustrations de Daumier. Celui-ci saisit des situations caractéristiques du quotidien des Parisiens, comme l’incertitude des transports, le manque d’amabilité des garçons de restaurant, ou les fêtes arrosées de la vie nocturne. Avec une petite phrase humoristique, l’illustrateur cherche ainsi à relever les attitudes spécifiques de chaque classe sociale dans les aléas d’une grande ville.
Des Parisiens d’aujourd’hui ?
L’exposition semble vouloir insister sur le regard contemporain de Balzac et de Daumier, qui ne serait qu’une illustration de la vie quotidienne des Parisiens d’aujourd’hui. Mais est-ce bien le cas ? Peut-on réellement affirmer que nous faisons face à la même diversité de classes sociales au sein d’une capitale qui ne cesse de se gentrifier ? Les ouvriers caricaturés ont-ils encore la possibilité de payer un loyer parisien ? En réalité, de nombreux types sociaux décrits par Balzac et Daumier ont disparu de la ville, et de nouveaux sont apparus, à l’instar des migrants campant en pleine rue.
Une autre dimension nous rend dubitatifs quant à cette comparaison établie entre le XIXe siècle et notre époque contemporaine : l’humour des illustrations de Daumier. En effet, le ton reste assez désuet, les plaisanteries sont un peu faciles, et reposent sur un comique de situation qui ne fait plus tellement rire – surtout lorsqu’il penche sans subtilité vers une misogynie.
Le regard contemporain est en revanche assuré avec plusieurs illustrations de dessinateurs de notre époque, qui ponctuent le parcours : on retrouve des scènes parisiennes croquées par Belom, Coco, Fabrice Erre, Faro, Foolz, Gab, Didier Marandin et Robabée, qui ne manquent pas de se moquer de l’omniprésence des téléphones portables dans le quotidien des Parisiens. Et l’on ne se lasse pas de découvrir plusieurs vidéos humoristiques de l’INA, qui présentent aussi certains désagréments de la vie dans la capitale, comme la saleté, la surpopulation ou les impolitesses.
De la psychologie humaine
Une dernière salle met en avant l’œuvre de Daumier, alors que notre époque garde surtout en mémoire la délicieuse caricature de Louis-Philippe avec un visage en forme de poire. En son temps, l’illustrateur était d’ailleurs connu pour ses dessins dans la presse, bien moins pour ses tableaux. Le parcours nous présente ici plusieurs toiles, en mettant en lumière l’intérêt de l’artiste pour la sensibilité humaine. Tout comme dans La Comédie humaine, où les personnages ne tombent jamais dans un manichéisme, Daumier cherche à saisir la complexité psychologique de ses figures.
Dans la composition et la palette, on devine l’inspiration de grands maîtres, comme Rubens ou Vélasquez, bien que Daumier privilégie la représentation du petit peuple. Cette pièce à la lumière tamisée nous plonge dans une intimité, et dévoile un autre aspect, plus sensible, de l’œuvre de Daumier. Malgré tout, son trait vibre davantage dans ses dessins : la découverte de ses toiles, bien qu’intéressante, ne nous plonge dans aucune véritable réflexion, et leur souvenir s’efface aussitôt qu’on les quitte. Le parallèle fait avec Balzac n’en demeure pas moins intéressant, bien qu’il semble parfois quelque peu forcé et assez lacunaire.
Romane Fraysse
Balzac, Daumier et les Parisiens
Maison de Balzac
47 rue Raynouard, 75016 Paris
Jusqu’au 31 mars 2024
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Image à la une : © Maison de Balzac