Après avoir consacré deux volets au Paris romantique et à l’Exposition universelle de 1900, le Petit Palais clôt son cycle avec une exposition sur le « Paris de la modernité » jusqu’au 14 avril 2024. De la peinture de Marie Laurencin au cinéma de Charlie Chaplin, on déambule dans le foisonnement de créations et d’inventions apparues dans la capitale entre la Belle Époque et les Années folles. Ce sont près de 400 peintures, sculptures, films, photographies, dessins, tenues, bijoux, objets design et industriels (dont un avion !) qui témoignent de cette période fascinante.
L’art en ébullition
On entre dans le Paris de la Belle Époque, à travers une chronologie et une sélection d’œuvres, qui inscrivent parfaitement les femmes dans l’histoire, au même titre que les hommes. La première salle s’ouvre sur des tableaux et des sculptures de Kees Van Dongen, Pablo Picasso ou Marie Laurencin, ainsi qu’un ancien tirage pris dans la cave du fameux Lapin-Agile, le repère des artistes.
Mais face aux chantiers de construction et à l’augmentation des loyers, un grand nombre d’entre eux se dirigent vers Montparnasse, quartier populaire directement accessible grâce à la ligne de métro Nord-Sud. L’exposition retrace alors l’histoire de certains ateliers mythiques, comme La Ruche, où se regroupent des artistes sans le sou et souvent immigrés, tels que Amedeo Modigliani, Chaïm Soutine, Ossip Zadkine, ou Marc Chagall.
Ces rencontres entre artistes d’origines et de pratiques diverses va créer une réelle émulation à Montparnasse, donnant naissance à une profusion de créations avant-gardistes présentées dans les salles : la peinture de La fiancée aux gants noirs de Chagall, ou la très longue Prose du transsibérien et de la Petite Jehanne de France écrite par Blaise Cendrars et illustrée par Sonia Delaunay.
C’est aussi l’émergence de nouveaux courants, qui s’exposent dans de nouveaux salons en rupture avec la tradition académique, tels que le Salon des artistes indépendants ou le Salon d’Automne. Le parcours consacre trois salles aux principaux mouvements modernes, ceux des fauves, des cubistes et des futuristes qui bouleversent le paysage artistique de la France.
Si de nombreux éloges sont faits, les contemporains se donnent aussi à cœur joie de critiquer ces nouvelles esthétiques. La toile peinte par l’âne Lolo pour le canular de Roland Dorgelès est notamment présentée dans l’exposition, ainsi que plusieurs courts-métrages satiriques.
Des révolutions plurielles
On ne pensait pas assister à cela, mais un avion est aussi présenté dans cette exposition. En effet, il s’agit plus précisément d’un aéroplane conçu par Béchereau Deperdussin pour la première Exposition internationale de la locomotion aérienne qui se tient Grand Palais, en 1909. De nouveaux modes de transports émergent, comme le vélocipède, le ballon et l’automobile, qui sont présentés dans des salons spécialisés. C’est notamment au quatrième salon organisé au Grand Palais que Marcel Duchamp découvre une grande hélice, qui lui fera dire « C’est fini la peinture. Qui ferait mieux que cette hélice ? ». En fixant ensuite une roue de bicyclette sur un tabouret, l’artiste conçoit le premier ready-made.
D’autres secteurs se modernisent, en particulier celui de la haute couture. En fondant sa maison en 1903, Paul Poiret révolutionne le vêtement féminin, débarrassé de la rigidité du corset avec ses formes plus amples et ses motifs orientaux. Il lance alors le concept de produits dérivés, en concevant des papiers peints de style Art déco, ainsi que le premier parfum de couturier dès 1911. L’exposition présente ainsi plusieurs flacons stylisés en vitrine, à côté de ses robes.
Une modernité qui introduit bien la prochaine salle, dédiée au théâtre des Champs-Élysées, dont l’édifice Art déco en béton armé illustre une nouvelle esthétique épurée. C’est là, dès son ouverture en 1913, qu’est présenté le subversif ballet Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky, qui choque le public pour l’érotisme de la danse de Vaslav Nijinski et le folklorisme des costumes.
La France s’en va en guerre
Au début de la Grande Guerre, 72 millions d’hommes sont mobilisés, et près de 10 millions perdront la vie dans les tranchées. Plusieurs journaux et photographies prises à Paris montrent les taxis acheminant les soldats, ainsi que le Grand Palais soudainement transformé en hôpital militaire pour soigner les « gueules cassées » par de nouvelles armes. Le cartel de l’exposition rappelle aussi l’engagement inédit des femmes dans les usines et les infirmeries. Quelques toiles évoquent aussi l’horreur des camps, ou seulement l’atmosphère mélancolique d’un paysage bombardé, comme dans L’église des Hurlus en ruine de Félix Vallotton.
La vie culturelle se poursuit tout de même au sein de la capitale, et ne cesse de se réinventer. L’association Lyre et Palette organise la première exposition française d’art africain et océanien en novembre 1916, tandis que la galerie Barbazanges expose pour la première fois Les Demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso chez Paul Poiret, en juillet 1916.
L’année suivante, les Nus d’Amedeo Modigliani font scandale à la galerie Berthe Weill pour la représentation de poils sur les corps féminins, habituellement idéalisés. Ces modernités esthétiques se poursuivent aussi au théâtre du Châtelet, avec le ballet Parade représenté en 1917, dont on peut voir les costumes burlesques de Picasso au sein de l’exposition.
La folie des années 20
Montparnasse retrouve son effervescence au lendemain de la guerre, durant les années 1920 que l’on surnomme d’ailleurs les « Années folles ». De nombreux artistes du monde entier s’installent dans ce quartier haut en couleur pour renouveler leur pratique dans les ateliers et partager leurs visions esthétiques dans les cafés.
Malgré leurs nombreuses divergences, le critique André Warnod les rassemble sous le nom d’École de Paris. On y croise Chaïm Soutine ou Tsouguharu Foujita, mais aussi l’emblématique Kiki de Montparnasse, que l’on retrouve à travers les fameux clichés de son amant, Man Ray.
Paris devient une « fête », pour citer Ernest Hemingway. Le cinéma et le jazz se développent, les tenues à paillettes et la coupe « à la garçonne » sont à la mode, les automobiles se perfectionnent… L’époque gagne peu à peu en vitesse. On aperçoit Joséphine Baker, iconique danseuse des Années folles représentée par Kees Van Dongen, une série de costumes dessinés par Fernand Léger pour les Ballets suédois, ou les acrobaties de Charlot qui patine. Tout un fourmillement d’œuvres inventives et hétéroclites que l’exposition retrace bien, et qui ne peut que réjouir les adeptes de l’art moderne.
Romane Fraysse
Le Paris de la modernité
Petit Palais
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Jusqu’au 14 avril 2024
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Image à la une : Vue de l’exposition “Le Paris de la modernité” au Petit Palais – © Romane Fraysse