On l’attendait avec impatience, et la voilà arrivée : la première exposition d’envergure consacrée aux deux derniers mois de la vie de Vincent Van Gogh, passés à Auvers-sur-Oise entre le 20 mai et le 29 juillet 1890, jour de sa mort. En peu de temps, l’artiste pris de vague à l’âme a peint avec acharnement pas moins de 73 tableaux et 33 dessins, sous l’œil bienveillant du Dr Paul Gachet. Jusqu’au 4 février 2024, le musée d’Orsay rend hommage à cette période de création intense à travers un parcours parfois confus, au sein duquel on reste toutefois ravi de se perdre dans les œuvres.
La découverte d’Auvers-sur-Oise
Avant d’entrer à Auvers-sur-Oise avec Vincent Van Gogh, l’exposition s’ouvre sur son célèbre autoportrait au regard interrogateur, ainsi que son portrait mélancolique du Dr Paul Gachet. Son attitude lascive n’a rien d’anodine, puisqu’en 1858, le médecin a consacré sa thèse à ce qui était alors défini comme un trouble des humeurs : Étude sur la mélancolie, dont un ouvrage ancien est présenté au sein de l’exposition. Mais celui-ci est aussi un grand collectionneur, proche de Cézanne ou Pissaro, et un peintre amateur, sous le nom de Paul van Ryssel. Dans une salle baignée dans un bleu nuit, le parcours dévoile plusieurs eaux-fortes qu’il a réalisées à Auvers-sur-Oise, après y avoir acheté une maison en 1872. À travers un dessin maîtrisé, celles-ci traduisent un attachement particulier pour le village, que Paul Gachet a certainement partagé avec Van Gogh.
Arrivé en 1890, le peintre néerlandais est accueilli chez son médecin en ami autant qu’en patient. Il commence alors à peindre tout ce qui l’entoure : des bouquets et des vues du jardin, ainsi que des portraits de Paul Gachet et de sa fille Marguerite. Si Vincent Van Gogh offre la majorité de ses toiles au médecin, ce dernier lui permet de son côté de graver et d’imprimer sa première et unique eau-forte : Le Portrait du Dr Gachet.
Dans une visée thérapeutique, le peintre est d’ailleurs encouragé à créer sans relâche pour se « distraire » et oublier son mal-être. Installé à l’auberge Ravoux, au centre du village, celui-ci peint toutes sortes de sujets, tout en menant une vie monacale. Une salle met en lumière plusieurs de ses lettres envoyées à son frère Théo, dans lesquelles Vincent partage ses craintes tout autant que son enthousiasme pour ce nouveau lieu d’accueil, dans lequel il tente de se soigner.
Le pittoresque, motif d’un exil
À l’arrivée de Vincent Van Gogh en 1890, Auvers-sur-Oise est un petit bourg de 2 000 habitants, situé le long de l’Oise. Situé à une heure de train de la capitale, il attire de nombreux Parisiens et se transforme sous les constructions modernes. Sensible au charme ancien des vieilles maisons aux toits de chaume, le peintre s’attache à retranscrire leurs formes atypiques sous le dynamisme des coups de pinceau. Mais tout comme Charles-François Daubigny ou Camille Pissarro, il s’intéresse aussi à représenter ses paysages vallonnés, où les habitats se mêlent aux bois et aux champs.
C’est à travers ces toiles, tout comme ses études de bouquets, que l’on observe une touche nerveuse, qui fait vibrer les couleurs dans des empâtements assumés. Le rythme s’exprime par l’alternance de traits rectilignes et entrecroisés – des réserves sont parfois laissées dans un ciel, partiellement couvert de quelques traces bleutées.
Sur les 74 toiles peintes à Auvers-sur-Oise, seulement une vingtaine représentent des paysages déserts, habillés de champs infinis, qui ne sont jamais dérangés par une silhouette humaine. Ce retour à une nature vierge et solitaire marque la perception de ces terres comme un lieu d’exil.
Ce qu’est la vie là -bas
De cette exposition, on peut reprocher des imprécisions quant à la division des salles : certaines abordent l’aspect formel de l’oeuvre, d’autres les thématiques, mais sans véritablement discerner les tendances. Les vues du village se mêlent aux portraits et aux bouquets avant de se présenter des représentations de champs plus lointains… Mais cette répartition est-elle bien justifiée ? L’évolution des salles reste assez obscure.
Bien heureusement, il s’agit là d’une oeuvre qui ne peut laisser de marbre. Durant ses 10 mois à Auvers-sur-Oise, Vincent Van Gogh peint donc plusieurs portraits des habitants en cherchant à faire « ressentir l’infini » de leur être, « par l’éclat lui-même, par la vibration de [ses] couleurs ». Ce souhait de saisir la personnalité et l’expression de ses sujets constitue le propre du portrait moderne. Comme l’exposition le dévoile, c’est dans son entourage immédiat qu’il trouve son inspiration : il peint Paul Gachet, sa fille Marguerite, mais aussi la fille de son aubergiste, Adeline Ravoux, avec une palette mêlant les tons sombres et criards dans un format carré, dégageant une forte oppression.
Ce que le parcours dévoile, c’est aussi le grand nombre d’études graphiques réalisées par Van Gogh, à travers neuf grandes feuilles montrant des vues du village, une quarantaine de pages dessinées représentant un faucheur ou même plusieurs silhouettes rassemblées autour d’un comptoir dans un carnet de croquis. Ces œuvres montrent une curiosité insatiable de l’artiste pour le lieu qui l’entoure, où sont saisies des scènes de vie entre les habitants, les travailleurs ou les animaux. Elles prouvent aussi la recherche constante menée durant ces deux mois par Van Gogh pour éviter de sombrer dans le spleen.
Un artiste maudit ?
Si la section du parcours d’exposition reste difficilement intelligible, une grande salle permet tout de même de découvrir les toiles au format « double carré » peintes durant plus d’un mois à Auvers-sur-Oise : on y observe 11 paysages peints dans ce format novateur, dont les trois derniers tableaux de l’artiste. Sans savoir quel était l’objectif de Vincent Van Gogh, on peut y voir une nouvelle expérimentation, avec des champs parfois fragmentés par les gouttes de pluie, ou dorés par le crépuscule.
Avec une salle finale rassemblant un grand nombre d’hommages rendus au peintre lors de sa mort, le 29 juillet 1890, l’exposition semble vouloir remettre en cause l’image de l’artiste maudit. En effet, on peut découvrir un grand nombre de lettres de condoléances envoyées par des amis à Théo, ainsi que des articles de presse faisant mention d’expositions présentant certaines œuvres de Vincent de son vivant. À sa disparition, son frère organise une cérémonie autour de ses toiles dans son appartement, et lors de sa mort six mois plus tard, c’est sa veuve Johanna qui s’emploie à faire connaître les tableaux de son beau-frère.
La renommée de Vincent Van Gogh ne tarde pas à arriver, puisqu’il est reconnu comme un grand nom de l’art moderne dès les années 1910. Il demeurera ensuite une figure fascinante pour de nombreuses générations d’artistes, tout comme Maurice Pialat ou Julian Schnabel, dont les extraits de films biographiques sont projetés en conclusion. L’exposition se termine ainsi sur une citation de Vincent Van Gogh, avec laquelle on s’accorde volontiers, le regard encore ébloui par les œuvres que l’on vient de voir : « Eh bien vraiment, nous ne pouvons faire parler que nos tableaux ».
Romane Fraysse
Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les derniers mois
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Jusqu’au février 2024
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Image à la une : Vue de l’exposition “Van Gogh à Auvers-sur-Oise” au musée d’Orsay – © Romane Fraysse