fbpx

Agnès Varda à la Cinémathèque, 70 ans de glanages poétiques

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse

Sa silhouette cartoonesque, son regard poétique et son amour pour les rencontres hasardeuses font d’Agnès Varda une artiste hors-norme. Jusqu’au 28 janvier 2024, la Cinémathèque française consacre une importante rétrospective à ses 70 ans de carrière marqués par la peinture, le théâtre et le cinéma de la Nouvelle Vague, mais aussi par son engagement dans les mouvements d’émancipation qui ont bouleversé la fin du XXe siècle. À travers une kyrielle de photographies, installations, extraits de films, archives et costumes, cette fabuleuse traversée évoque avec succès l’existence atypique d’une glaneuse.

Le visage-poésie

Deux petits yeux observateurs, une coupe au bol bicolore, et des mains ridées comme une patate. C’est ce grand portrait en noir et blanc qui semble surgir du mur de la cinémathèque, surplombant l’entrée des cinéphiles… On y reconnaît la fameuse Agnès Varda par son ami JR, qui nous invite à nous immiscer dans son monde.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Et dès la première salle de l’exposition, on pénètre dans une atmosphère colorée, animée par des extraits de film et une multiplicité de visages de la réalisatrice à tout âge. On y voit Varda photographiant Brassaï dans la rue Daguerre, Varda et son chat, Varda dans ses Plages, ou Varda avec des ailes d’ange, les mêmes que celles posées sur sa compagne Valentine Schlegel. Cette dernière, connue pour ses cheminées-paysages, a d’ailleurs réalisé un petit portrait en céramique de la cinéaste, exposé parmi tant d’autres.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

On découvre aussi plusieurs de ses portraits capturés par des amis, tantôt en lien avec ses films, comme Cléo de 5 à 7 ou Visages Villages. Et bien sûr, la fameuse patate cœur, un alter ego si cher à Varda, qui est caractéristique de son univers mu par les rapprochements incongrus et la vie secrète des choses.

Défendre la « cinécriture »

Cette première approche avec la silhouette si singulière de Varda se poursuit à l’intérieur de ses films. On entre d’abord dans les tournages : son tout premier en 1954, à La Pointe Courte sétoise, qui met en scène un couple en crise, dans des échanges froids et lucides. Un carnet dévoile un extrait du scénario écrit par Varda, parmi d’autres objets clés de cette période, qui préfigure la Nouvelle Vague. À côté des photographies de tournage, des storyboards ou des lettres écrites par la cinéaste, un écran projette des scènes de ses premiers films, comme Cléo de 5 à 7 ou Sans toit ni loi.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Tout cet univers, si plaisant à approcher de près lorsque l’on aime le cinéma de Varda, est mis en mot dans plusieurs extraits de ses interviews. On retrouve son jeune visage, arrondi par la fameuse coupe au bol. Interrogée par plusieurs personnes, celle-ci y défend un « cinéma libre », qui joue avec les hasards et ne se contraint pas à suivre les lignes d’un scénario.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Elle revendique alors une « cinécriture », autrement dit, une écriture qui ne cesse de se faire, entre les premiers repérages jusqu’au montage final du film. « S’il existe un cinéma d’auteur, c’est justement parce que les auteurs vont au bout de leur projet, et que le producteur de ce cinéma-là va avec l’auteur jusqu’au bout du projet ». Peu à peu, Varda élabore un art qui se veut populaire, émancipé, se laissant porter par les rêveries et les hasards de la vie tout en cherchant à rompre avec le réalisme des films de l’époque.

Les sept familles de Varda

Un long couloir nous présente ensuite les différentes rencontres amicales et amoureuses qui ont marqué les 80 années d’existence d’Agnès Varda. Les premières années avec sa compagne Valentine Schlegel, qu’elle rencontre à Sète et avec laquelle elle aménage ensuite dans sa maison parisienne de la rue Daguerre. On découvre plusieurs clichés des deux jeunes femmes prises dans la petite allée intérieure. Cette vie commune au cours des années 1950 éveille Varda aux arts plastiques, avec la réalisation de son premier film La Pointe Courte, en 1955.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Au même moment, sa rencontre – toujours sétoise – avec Jean Vilar la mène à devenir photographe professionnelle : le dramaturge l’invite en effet à rejoindre la troupe du festival d’Avignon qu’il vient de créer afin d’immortaliser les instants entre comédiens et le public. Du théâtre, elle passe à la sculpture, en photographiant les œuvres de son ami Alexandre Calder, dont elle réalise aussi quelques portraits en noir et blanc. La suite du parcours continue dans cette traversée historique, avec sa fréquentation des cinéastes Christ Marker, Alain Resnais, et bien sûr Jean-Luc Godard et Anna Karina, qu’elle filme dans son court-métrage Les Fiancés du pont Mac Donald.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Puis vient sa rencontre amoureuse avec Jacques Demy, dont l’univers coloré, presque féérique, semble à l’opposé des expérimentations filmiques de Varda. Les deux amants ne travailleront d’ailleurs jamais ensemble, mais auront un fils, Mathieu Demy, qui participera à plusieurs tournages, dont Documenteur.

Une beauté humaniste

Agnès Varda est aussi connue pour ses engagements. Ses premières expériences en tant que photographe au festival d’Avignon lui donne le goût de la documentation. Jusqu’à la fin de sa vie, elle ne cesse de voyager, partant à la rencontre des autochtones, des bouleversements sociaux, des mouvements artistiques… Elle s’intéresse à la révolution cubaine dans Salut les Cubains, aux droits civiques américains dans Black Panthers, à la génération hippie dans Lions Love (… and Lies), ou au muralisme dans Mur Murs. L’exposition dédie plusieurs sections à ces différents univers vus, qui retracent une partie de l’histoire culturelle du XXe siècle vue par Agnès Varda.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Bien sûr, notre regard est particulièrement attiré par une salle consacrée à l’un de ses documentaires les plus célèbres :  Les Glaneurs et la Glaneuse. On y découvre quelques objets liés au glanage, que la cinéaste filme chez elle, ainsi qu’une série de photographies des patates en forme de cœur que les agriculteurs lui ont mis de côté. Celles-là mêmes qu’elle laisse vieillir et germer pour les voir renaître. Son film Visages Villages tourné avec JR à l’âge de 88 ans reprend cette même forme, celle d’une déambulation dans la France, au hasard des visages et des paysages, mêlée à une narration poétique.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Cet humanisme se poursuit dans la lutte féministe de Varda, qui n’y voit « pas seulement la question d’être libre », mais prend conscience que « le combat des femmes serait collectif ou ne serait pas ». La dernière section de l’exposition consacre une grande partie à cet angle important de la vie de la cinéaste. Aux côtés d’images de son film L’une chante, l’autre pas ouvertement engagé en faveur des droits des femmes, on découvre plusieurs lettres et articles sur le MLF, dont la fameuse couverture du Nouvel Observateur dédiée au Manifeste des 343, signé par Varda. Plusieurs extraits d’interviews la montrent une nouvelle fois prendre position : aux côtés de Delphine Seyrig, celle-ci défend l’émancipation des femmes, tant au sein du foyer familial que dans la vie professionnelle. Dans son ciné-tract Réponse de femmes ou son court-métrage Les Dites Cariatides, elle remet en cause les stéréotypes féminins tournant autour de la soumission et de l’érotisme.

Vue de l'exposition "Viva Varda !" à la Cinémathèque française - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

En explorant ses combats, tout comme son imaginaire et ses instants de vie, cette exposition très documentée retrace donc avec intérêt le foisonnement créatif qu’a été l’existence d’Agnès Varda, sous le regard bienveillant de sa fille Rosalie.

Romane Fraysse

Viva Varda !
Cinémathèque française
51 rue de Bercy, 75012 Paris
Jusqu’au 28 janvier 2024

À l’occasion de cet événement, le coffret DVD “Le cinéma d’Agnès Varda – Longs et courts” est sorti le 3 octobre 2023 chez Arte Editions.

À lire également : Le Paris réinventé de la Nouvelle Vague

Image à la une : Vue de l’exposition “Viva Varda !” à la Cinémathèque française – © Romane Fraysse

Les prochaines visites guidées



Voir toutes nos activités