Jusqu’au 11 février 2024, le Panthéon rend hommage à de grandes figures créoles ayant lutté pour l’abolition de l’esclavage. Ces visages méconnus sont érigés comme des héros par le plasticien Raphaël Barontini (né en 1984 à Saint-Denis), qui occupe le monument avec d’immenses installations textiles, mêlant la photographie, la sérigraphie, la peinture et l’impression numérique. Intéressé par les manières d’écrire une « contre-histoire », l’artiste évoque ce mouvement d’émancipation en souhaitant révéler les zones d’ombre de notre récit national.
Des héros abolitionnistes chez les républicains
Le Panthéon a beau être un temple laïque et républicain, on y entre avec gravité comme lors d’un cérémonial. Car le sacré n’est pas le monopole des religions, il s’exprime aussi dans des lieux comme celui-ci, dont l’architecture monumentale nous fascine tout en réveillant en nous l’idée de notre contingence. Ce sentiment du sublime émerge de manière empirique, dans les espaces de l’édifice, mais aussi dans le symbole qu’incarne cet immense mausolée renfermant les esprits des grandes femmes et des grands hommes de notre pays.
C’est au cœur de ce monument historique que Raphaël Barontini a eu carte blanche. Le plasticien a ainsi choisi de mettre en lumière plusieurs figures ayant lutté contre l’esclavage, et pas n’importe lesquelles, puisqu’il a privilégié les résistants caribéens, qui restent parfaitement méconnus de la majorité des Français.
Sur des bannières de grand format alignées dans la nef, on aperçoit ainsi de puissants portraits représentant avec fierté ces combattants des Amériques et de l’océan Indien : Anchaing et Héva, Sanité Bélair, Louis Delgrès, Dutty Boukman, Joseph Ignace, le Jacobin noir, Cécile Fatiman Ormerod, la maronne Claire, Toya et Flore Gaillard. Ces visages, absents des récits d’histoire, dialoguent avec les républicains abolitionnistes du Panthéon et reprennent désormais la place qu’ils méritent. « We could be heroes » annonce l’installation.
« Créoliser les imaginaires »
Raphaël Barontini nous immisce dans ce Panthéon imaginaire, peuplé de figures créoles, dès la traversée de la nef. Dans cette haie d’honneur, les grandes bannières sont déployées de chaque côté, accompagnées de drapeaux rouges, bleus et dorés. Leurs portraits stylisés se présentent comme des collages, dans lesquels les combattants prennent l’allure de dieux grecs, de généraux ou de nobles, dans des couleurs contrastées. Barontini mêle une nouvelle fois la photographie, sérigraphie, peinture et impression numérique afin de poser un nouveau regard sur l’histoire, abritée par ce mausolée.
En arrivant au centre, devant le fameux pendule de Foucault, on découvre de grandes installations textiles dans les transepts nord et sud du monument : ces pièces semblent flotter dans l’immensité de l’édifice, et évoquent des événements importants dans l’histoire de l’esclavage : le commerce triangulaire, le marronnage, la bataille de Vertières, l’invention du Léwoz ou les combats de la résistante Solitude.
Sur le même principe, ces voiles prennent l’allure d’immenses collages retraçant une histoire encore largement marquée par des zones d’ombre. Celles-ci font alors écho aux grandes peintures du Panthéon peintes par Jules-Eugène Lenepveu, Alexandre Cabanel ou encore Pierre Puvis de Chavannes – qui évoquent certains épisodes de l’histoire de France. Cette confrontation met ainsi en lumière notre méconnaissance et notre indifférence persistantes face à ces événements et ces personnalités caribéennes. À travers ces collages et ces dialogues, Raphaël Barontini souhaite ainsi « créoliser les imaginaires » pour renouveler notre récit national.
Le Panthéon ressuscité
Depuis quelques années, le Panthéon est dépoussiéré par de nouvelles manifestations artistiques. Bien que l’édifice soit impressionnant par sa monumentalité, il peut aussi souffrir de son allure austère et de son académisme. Si Paul Verlaine et Arthur Rimbaud étaient envisagés comme de possibles pensionnaires, leur entrée n’a finalement pas eu lieu, les deux poètes étant, pour beaucoup, considérés comme des figures trop « rebelles ».
Pourtant, en 2018, des installations de l’artiste contemporain Anselm Kieffer viennent côtoyer Voltaire ou Marie Curie. En effet, lors de l’entrée de l’écrivain et ancien combattant Maurice Genevoix, le plasticien a exécuté sur commande d’État plusieurs œuvres qui restent pérennes. Six vitrines monumentales en verre et en métal occupent donc l’espace et évoquent la violence des combats de la Première Guerre mondiale à travers des barbelés, des plombs, des végétaux et des extraits des textes de l’écrivain.
Dans cette continuité, le Centre des monuments nationaux a proposé une carte blanche à Raphaël Barontini en lien avec le programme « un artiste, un monument ». Le plasticien a alors pensé son œuvre en écho à l’architecture du lieu : il a investi la nef et les transepts avec de grandes installations, et a aussi organisé une performance avec des danseurs et des musiciens défilant dans l’ensemble du Panthéon. Une manière, selon Barontini, de faire vivre « les rythmes des déboulés guadeloupéens de carnaval » dans le mausolée, qui semble soudainement prendre vie.
Romane Fraysse
We could be heroes
Panthéon
Place du Panthéon, 75005 Paris
Jusqu’au 11 février 2024
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Image à la une : Vue de l’exposition “We could be heroes” au Panthéon – © Romane Fraysse