On connaît en premier lieu Léonard de Vinci en tant qu’artiste. Pourtant, le génie italien était surtout admiré par ses contemporains pour ses talents d’ingénierie, qu’il met au service de la guerre, de la navigation, ou de grandes fêtes royales. Jusqu’au 12 mai 2024, l’Atelier Grognard, ancienne manufacture située à Rueil-Malmaison, présente une exposition sur les machines conçues par Léonard de Vinci, à travers 90 maquettes, dont 20 manipulables, ainsi que des films, des animations 3D et des codex.
La guerre, innovations et incohérences
Cette nouvelle exposition présentée à l’Atelier Grognard s’intéresse à l’ingéniosité de Léonard de Vinci. Si, de nos jours, l’homme est davantage connu pour sa peinture, son époque célébrait en premier lieu sa conception de machines servant dans bien des domaines. Grâce à une équipe d’une dizaine de menuisiers, les codex et les plans de l’Italien ont été modélisés pour matérialiser ses structures dans du bois. L’exposition rassemble ainsi 90 maquettes, dont une vingtaine sont manipulables par le public afin de mieux comprendre leurs mécanismes.
Le parcours s’ouvre sur l’un des domaines qui intéressent particulièrement Léonard de Vinci : la guerre. En effet, un tiers des dessins que celui-ci a réalisés représentent des engins d’armement et de défense, comme un système permettant de repousser les échelles ennemies posées contre les murailles, ou de grands véhicules abritant plusieurs centaines de soldats. Cela peut sembler étonnant, mais de nombreux artistes de cette époque recevaient des commandes servant la puissance militaire de leur pays, à l’instar de Giotto chargé de dessiner les nouvelles fortifications de Florence.
De son côté, Léonard de Vinci est soutenu par le prince Ludovic Sforza, dit le More, qui devient son mécène. Il dessine plusieurs engins militaires, comme un char d’assaut qui, s’il reste à l’état d’ébauche, est tout de même considéré comme un prototype du tank. Toutefois, la machine fait face à plusieurs incohérences, comme l’impossibilité de déplacer plusieurs centaines de kilogrammes sur le champ de bataille, ou l’asphyxie inévitable des soldats qui tireraient avec des canons depuis l’habitacle. En cela, on ne peut pas dire, selon Jean-Christophe Hubert, que Léonard de Vinci était un inventeur à proprement parler, ses machines ne parvenant jamais à être réellement fonctionnelles.
Réinventer le quotidien
Si Léonard de Vinci n’est pas un inventeur, il est toutefois un ingénieur fasciné par l’infinité des possibles permis par la mécanique. En recourant à des chaînes, des vis, et des roues crantées, celui-ci développe un ensemble de machines fonctionnant grâce à des engrenages à lanterne ou à dents triangulaires.
Le public est alors invité à enclencher ces mécanismes par le biais de manivelles ou de leviers, afin de comprendre leur fonctionnement. La plupart du temps, Léonard de Vinci les conçoit dans le but de tirer, creuser ou lever des matériaux sur les chantiers. En effet, ses passages à l’atelier de Verrocchio, ou sur le chantier de la cathédrale de Florence par Brunelleschi vont le convaincre de perfectionner les engins de construction.
Si le parcours présente une série de machines isolant des mécanismes particuliers, d’autres sont présentées pour leurs multiples finalités : c’est notamment le cas de la lime qui, par le mouvement d’une manivelle, soulève un marteau servant d’enclume lors de sa chute. Mais l’ingénieur est aussi connu comme l’organisateur de grandes fêtes royales, et réinvente pour cela toute une série d’instruments de musique, comme le tambour mécanique jouant en fonction de la rotation de roues, ou de leviers situés de part et d’autre. Celui-ci cherchait d’ailleurs à concevoir des instruments grâce aux mouvements d’un moulin.
Conquête de l’eau et de l’air
S’intéressant à l’énergie des quatre éléments, Léonard de Vinci imagine plusieurs machines se servant de l’eau, comme la vis d’Archimède ou le pont pivotant. La navigation étant le moyen de transport le plus rapide, l’ingénieur reçoit des commandes provenant de différentes villes, comme Florence ou Paris, afin de permettre la circulation sur certains fleuves, ou de détourner le cours d’autres, mais aussi de concevoir des ponts ou des systèmes de propulsion sur les bateaux.
Bien sûr, l’une des parties les plus fascinantes de ses recherches demeure celle sur les machines volantes. Voler est le fantasme de tout homme, et aussi celui de Léonard de Vinci, qui dessine de nombreux prototypes. Toutefois, si ses machines hydrauliques sont sujettes à de nombreuses commandes, celles liées à l’air n’ont visiblement pas intéressé de la même manière ses contemporains. Cela s’explique certainement parce qu’elles résultent souvent de fantasmes difficilement réalisables : certaines machines ne peuvent décoller qu’en soulevant quelques grammes, tandis que d’autres sont conçues sans pouvoir les orienter et sans générer d’énergie suffisante. Oubliés durant plusieurs siècles, ses carnets sur l’observation du vol sont finalement redécouverts à la fin du XVIIIe siècle par le mathématicien Alexis Paucton, puis les ingénieurs Launoy et Bienvenu qui conçoivent le premier hélicoptère en 1784.
Une fascination pour le vivant
Au-delà des machines, ce parcours nous fait comprendre le processus de création de Léonard de Vinci, qui s’inspire du fonctionnement de la nature pour produire des mouvements mécaniques. Ainsi, l’ingénieur étudie attentivement les oiseaux, et annote toutes ses observations dans son Codex sur le vol des oiseaux : là , il consacre quatre parties à leurs différentes postures dans l’espace, leur anatomie après dissection, la structure particulière d’une aile de chauve-souris, et finalement, le vol de l’être humain dans une machine.
Ce biomimétisme est aussi recherché dans l’anatomie humaine, puisque Léonard de Vinci a également disséqué des corps d’hommes et de femmes, dont une enceinte, qu’il esquisse dans un dessin visible dans le parcours. Qu’il s’agisse d’humains ou d’animaux, l’ingénieur conçoit la nature comme un tout, sans créer de hiérarchie comme l’Église le faisait. Cette fascination pour la nature va ainsi lui permettre de conserver tout au long de sa vie une curiosité et une créativité libérées de toute convention sociale.
Romane Fraysse
Atelier Grognard
6 avenue du Château de Malmaison, 92500 Rueil-Malmaison
Jusqu’au 12 mai 2024
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Image à la une : Exposition Léonard de Vinci – © Atelier Grognard