
Le centre Pompidou se devait de célébrer l’entrée magistrale de plus d’une centaine d’œuvres de Marc Chagall dans ses collections. Acquis en 2022 grâce à la donation de Bella et Meret Meyer, cet ensemble de 127 dessins, 5 céramiques et 7 sculptures des années 1945-1970 a enrichi l’une des plus importantes collections de l’œuvre de l’artiste. Cette exposition dévoile, jusqu’au 26 février 2024, une grande diversité dans la création tardive de Chagall, qui semble résonner comme un écho dans l’espace.
Une danse de la couleur
Une première salle nous fait voyager en 1945, date à laquelle le ballet L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky est repris pas le Ballet Theater de New York. Habitant la ville à cette époque, Marc Chagall reçoit une commande pour réaliser les costumes et les décors de cette nouvelle représentation. Malgré une période difficile, marquée par la mort de sa femme Bella, l’artiste se lance dans ce vaste projet et réalise plusieurs centaines d’esquisses.

Un mur entier nous dévoile des dessins préparatoires des costumes, vibrant à travers la palette des couleurs et le mouvement des corps. Car, comme le remarque la commissaire Anne Montfort, l’esquisse d’un costume est généralement réalisée sur une silhouette statique. Ici, l’artiste a donc à cœur de représenter des danseurs pris dans un rythme particulier, orchestré par Stravinsky. Car la musique a toujours eu un lien particulier avec l’œuvre de Chagall, qui déclare lui-même vouloir « faire chanter le dessin par la couleur ».

Sur ces œuvres, on retrouve toute la mythologie de l’artiste, à travers un ensemble de figures hybrides inspirées par l’iconographie juive. Les couleurs chatoyantes débordent des formes, se mêlant aux rayures, aux croix, ou aux motifs floraux.

Face à ces esquisses, deux masques animaliers sont exposés, ainsi qu’un ensemble de gouaches réalisées en préparation des rideaux de fond de scène. En usant d’un bleu intense, Chagall nous fait pénétrer dans un univers en apesanteur, où les figures volent avec souplesse dans l’espace, partant à la rencontre d’une infinité de créatures oniriques au sein d’une végétation luxuriante.
Une controverse à l’opéra
Lorsque l’on songe aux liens entre la musique et l’œuvre de Chagall, on pense nécessairement à l’opéra Garnier. Commandé à l’artiste par André Malraux en 1964, le célèbre plafond a provoqué de nombreuses controverses, en premier lieu pour avoir recouvert celui réalisé par Jules-Eugène Lenepveu en 1871.

Mais l’œuvre de Chagall fait aussi réagir ses contemporains pour sa déflagration de couleurs vives, en contraste avec l’architecture classique du palais. Une série d’articles de presse de l’époque est présentée dans l’exposition, mêlant les louanges aux vives critiques. Ainsi, on peut découvrir des titres incendiaires, tels que « Faut-il raser l’opéra ? » ou encore « Un plafond au-dessous de tout », où l’on peut lire : « La question n’est pas seulement de savoir si un artiste célèbre a produit un navet géant et si, de nos jours, l’exhibitionnisme est l’un des symptômes les plus notables de la sénilité. Elle est de savoir si des impulsions hasardeuses peuvent tenir lieu de principes, de règles, d’esthétique décorative ou monumentale ».

Au-delà des réactions contemporaines, la salle dévoile une importante série d’esquisses du plafond, dont certaines sont réalisées à l’encre de chine, à la mine graphite ou à la gouache. À travers différentes expérimentations de la couleur, l’artiste rend hommage aux grands musiciens ainsi qu’aux monuments de la ville de Paris. Si ses détracteurs y voient une manière irrespectueuse de s’approprier le palais, Chagall réalise pourtant son œuvre au regard de l’architecture qui l’entoure, tout en imaginant sa composition au rythme des danses et des sonorités qui y résonnent.

Dans une vidéo, on découvre un Georges Pompidou ravi de ce nouveau plafond lumineux qui, plein d’ironie, s’interroge : « est-ce qu’auparavant il y avait un plafond à l’Opéra ? Qui le sait ? ».
D’un art à l’autre
Cette collaboration avec d’autres formes d’art va questionner Chagall sur sa propre pratique, et le mener à diversifier ses techniques à la fin de sa vie. Tout l’intérêt de cette exposition est d’en montrer un large éventail, à travers ses dessins et ses gouaches, mais aussi ses sculptures, ses céramiques et ses collages réalisés entre les années 1960 et 1970.

Une troisième salle orchestre ainsi un véritable dialogue entre les différents médiums : on retrouve notamment la figure des amants qui s’enlacent sur La bête fantastique en plâtre, puis plus loin, sur un vase émaillé. Certaines sculptures gardent parfois la forme brute de la pierre, et s’animent de quelques taches de couleur dispersées.

Sur les murs, un ensemble de collages poursuit ses compositions oniriques, alliant le dessin et la peinture à des morceaux de tissu ou de broderie bigarrés. On y retrouve de multiples figures inspirées par ses précédentes recherches sur les costumes de théâtre : leurs habits sont un patchwork de motifs dansant sur un fond coloré, et entre ces fragments, entre ces arts, un air semble résonner. Peut-être est-ce à travers cet écho que l’œuvre chagallienne s’appréhende finalement le mieux ?
Romane Fraysse
Chagall à l’oeuvre
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Jusqu’au 26 février 2024
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Image à la une : Vue de l’exposition “Chagall à l’oeuvre” au centre Pompidou – © Romane Fraysse