Jusqu’au 15 janvier 2024, la nouvelle exposition du musée de l’Orangerie explore la relation entre Amedeo Modigliani et le collectionneur Paul Guillaume, qui devient son marchand aux alentours de 1915. À travers un espace entièrement repensé, le parcours met en lumière la figure de Guillaume, dont le musée détient la majeure partie de la collection, au risque de délaisser le sujet principal : l’œuvre du peintre.
Le marchand d’un peintre
Devant le musée de l’Orangerie, une affiche apparaît avec un visage familier : celui aux joues longilignes et aux yeux sans pupille, celui des portraits de Modigliani. C’est une joie sans mesure de savoir qu’on les retrouvera dans les salles d’exposition du musée. Oui, mais l’exposition ne se nomme pas seulement Modigliani, il ne faut pas faire l’impasse sur le sous-titre : « Un peintre et son marchand ». Le collectionneur Paul Guillaume – déjà évoqué à l’exposition précédente consacrée à Matisse – semble en réalité le fil conducteur de cette exposition. Et quoi de plus étonnant, lorsque l’on sait qu’une grande partie de sa collection appartient au musée de l’Orangerie ?
Pour explorer les liens entre Modigliani et son marchand, l’espace du musée a été entièrement repensé, le cheminement étant à l’inverse du parcours habituel. On entre dans une première salle présentant une grande photographie du collectionneur, puis des murs à perte de vue au milieu desquels flottent quelques œuvres et documents d’archives. On peut par exemple découvrir plusieurs clichés de Guillaume dans l’atelier de la rue Ravignan, que celui-ci loue pour l’artiste.
En face, on aperçoit le célèbre portrait du collectionneur peint par Modigliani, ainsi que quelques dessins. Un cartel indique alors que l’ensemble des œuvres présentées dans l’exposition sont passées par les mains du marchand, sans préciser davantage son rôle.
Le goût commun des masques
La deuxième salle est consacrée à la fascination commune de Modigliani et Guillaume pour les masques africains. Entre 1911 et 1913, le peintre se consacre d’ailleurs entièrement à la sculpture. Il est intéressant de découvrir trois de ses têtes en marbre présentées au centre de la pièce, en dialogue avec plusieurs masques et statuettes primitifs. Avec leurs formes simplifiées, les lourds visages imposent leur présence dans l’espace. Bien que ces sculptures aient été faites avant la rencontre avec Guillaume, le parcours souligne que celui-ci en a acheté et vendu plusieurs dans les années 1920.
Sans surprise, le cartel renvoie une nouvelle fois au collectionneur, toujours représenté sur une grande photographie en noir et blanc. Celui-ci aurait ainsi été l’un des premiers marchands de son temps à considérer les statues et les masques africains comme des œuvres d’art à part entière, ainsi que l’un des premiers à les exposer aux côtés d’œuvres d’art moderne.
En effet, dès l’ouverture de sa galerie en 1914, Guillaume développe un commerce de pièces africaines et océaniennes. Sans réellement l’évoquer, cette section montre la manière dont le peintre et le marchand se sont influencés dans la recherche d’un art spirituel et épuré.
Le cercle des artistes
Sans lien véritable avec les salles précédentes, on découvre ensuite le milieu artistique fréquenté par Amedeo Modigliani dès son arrivée dans la capitale en 1906. Comme chacun sait, le quartier de Montparnasse devient le lieu de ralliement des avant-gardes, dont ceux dits de l’École de Paris.
Parmi eux, le peintre côtoie Constantin Brancusi, Chaïm Soutine, Moïse Kisling, Juan Gris, Jacques Lipchitz, Jean Cocteau, Léopold Survage, Pablo Picasso, Diego Rivera, Max Jacob ou Beatrice Hastings. Ainsi, plusieurs portraits de ses amis sont présentés dans la salle. Et Guillaume – que l’on retrouve dans une troisième photographie grand format – et Modigliani fréquentent le même cercle, notamment durant la Première Guerre mondiale où ils sont tous deux réformés pour raisons de santé.
Plusieurs exemplaires de la revue Les Arts de Paris, créée par Guillaume, dévoilent quelques articles consacrés à Modigliani, tandis qu’un document présente avec surprise trois poèmes inédits. Car à ses heures perdues, l’artiste était aussi poète : le musée de l’Orangerie a alors sorti de sa collection un manuscrit du texte Risa e strida di rondini, écrit en italien et en français. Il est intéressant de découvrir cet aspect de Modigliani, bien que le lien avec Guillaume ne semble plus très évident.
Exposer des portraits
C’est avec un soulagement non dissimulé que l’on pénètre dans une grande salle ovale où l’on découvre une dizaine de portraits emblématiques du peintre, comme Elvire assise, accoudée à une table ou La Chevelure noire. En 1916, avec le soutien d’un nouveau marchand d’art, Léopold Zborowski, Modigliani se remet à peindre des nus. L’érotisme et la désinvolture de ses sujets féminins choquent alors ses contemporains, certaines toiles étant d’ailleurs retirées de sa seule exposition personnelle, en 1917, pour la représentation de poils pubiens jugée indécente. Une fois encore, le cartel ne fait que survoler cette histoire, et présente beaucoup d’évidences.
Durant les derniers mois de la Grande Guerre, alors que l’état de santé de Modigliani se dégrade, Léopold Zborowski l’envoie sur la Côte d’Azur avec sa nouvelle compagne, la peintre Jeanne Hébuterne. C’est à cette période que le peintre réalise de nombreux portraits présentés dans cette salle, dont certains ont été achetés et vendus par Guillaume au cours des années 1920. Mais le marchand est aussi collectionneur et conserve plusieurs toiles dans ses appartements.
À travers une installation immersive, la dernière salle présente ainsi ses différents aménagements à l’aide de photographies d’archive, ce qui a l’inconvénient d’être bien ennuyeux pour achever une exposition. On reste donc sur notre faim sans avoir bien compris le récit de ce parcours, qui semble vouloir mettre coûte que coûte Modigliani et Guillaume en relation avec une minorité d’œuvres et de discours.
Modigliani. Un peintre et son marchand
Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries, 75001 Paris
Jusqu’au 15 janvier 2024
Romane Fraysse
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Image à la une : Vue de l’exposition “Modigliani. Un peintre et son marchand”, musée de l’Orangerie – © Romane Fraysse