Dans l’ombre de l’église Saint-Sulpice, un petit musée discret se trouve au fond d’une cour pavée. Dédié au peintre romantique Eugène Delacroix, il est aménagé dans son ancien appartement, et invite le visiteur à déambuler dans ses pièces, son atelier et son jardin intérieur. Jusqu’au 18 septembre 2023, une exposition de ses collections y présente de manière assez lacunaire le « pont mystérieux » qui relie incessamment sa peinture aux autres formes de l’art.
Le dernier atelier
Alors qu’il avait reçu pour commande la décoration de la chapelle de l’église Saint-Sulpice à Paris, Eugène Delacroix abandonne son atelier de la rue Notre-Dame-de-Lorette pour se rapprocher de l’édifice de la Rive gauche. Sur les conseils du marchand de couleurs Étienne Haro, l’artiste décide alors d’emménager dans un appartement de 150 mètres carrés situé dans la rue de Furstenberg, qui fait partie de l’ancien palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés. Un lieu idéal dans lequel il lance quelques travaux, dont la construction d’un atelier dans le jardin, avant de s’y installer le 28 décembre 1857.
Le jour même de son arrivée, l’artiste note dans son Journal s’y sentir bien : « Mon logement est décidément charmant, j’ai eu un peu de mélancolie après dîner, de me retrouver transplanté. Je me suis peu à peu réconcilié et me suis couché enchanté. Réveillé le lendemain en voyant le soleil le plus gracieux sur les maisons qui sont en face de ma fenêtre. La vue de mon petit jardin et l’aspect riant de mon atelier me causent toujours un sentiment de plaisir ». Dans ce nouveau logement, du côté de la cour, on trouve la salle à manger, la cuisine accessible depuis un petit couloir, ainsi que la chambre de sa fidèle servante Jenny Le Guillou, tandis que la chambre du peintre, le salon et la bibliothèque donnent sur le jardin. Au dernier étage, Delacroix détient aussi une cave et deux chambres pour ses domestiques.
C’est dans l’atelier de la rue de Furstenberg que l’artiste conçoit Rébecca enlevée par le templier et Hamlet et Horatio au cimetière, deux tableaux exposés au Salon de 1859, ainsi que les fameuses décorations de la chapelle Saint-Sulpice. Selon Maurice Denis, « c’est dans cet atelier qu’ont été faits les derniers croquis et remuées les dernières pensées d’où le chef-d’œuvre de Saint-Sulpice est sorti. Le lyrisme austère de la chapelle des Saints-Anges est le fruit des rêveries du vieux maître sous les arbres de ce jardin, dans cette retraite silencieuse ».
Sur les pas de l’artiste
C’est dans cet appartement qu’est aujourd’hui installé le musée Eugène-Delacroix. La visite se fait désormais dans l’ancienne salle à manger, le salon, la chambre du peintre et l’atelier, où sont exposées des peintures, dessins, estampes et écrits. Nous entrons d’abord dans l’antichambre, qui était autrefois meublée d’une simple banquette de velours vert, d’une lanterne de verre et de six patères de cuivre, avec plusieurs lithographies exposées au mur. Du côté du salon, on trouvait un bureau plat en acajou garni de bronze, un secrétaire, plusieurs canapés et fauteuils recouverts de draps, ainsi qu’un travail indien ou une bouteille en porcelaine de Chine. Et dans sa chambre à coucher, un grand lit dans lequel Delacroix est mort le 13 août 1863.
Mais le musée doit surtout son charme à la partie extérieure. En sortant de l’ancienne bibliothèque, on emprunte l’escalier suspendu en bois et métal qui longe la façade en reprenant la même architecture que celui qui avait été construit autrefois à la demande de Delacroix. Le chemin nous mène tout d’abord dans son atelier édifié en 1857, qui est entièrement recouvert d’un rouge profond et éclairé d’une grande verrière située au nord. À l’époque, on pouvait y voir un chevalet, deux tables à peinture, une série d’esquisses et de dessins, ainsi que des objets ramenés de son voyage au Maroc en 1832.
Enfin, l’escalier nous fait descendre dans le fameux jardin, dont le tracé est sensiblement différent de celui d’origine. Delacroix avait en effet souhaité y aménager des petites allées de sable bordées de buis et des massifs plantés de diverses roses, tout en créant un verger avec des groseilliers, des framboisiers, des cerisiers ou un figuier. D’immenses arbres surplombent encore le jardin et confèrent un sentiment de quiétude, en plein cœur de Paris.
Les arts chez Delacroix
Depuis le mois de février 2023, un nouveau parcours des collections met en lumière la fascination de Delacroix pour toutes les formes d’art. La façade de son atelier annonce elle-même la couleur, puisqu’elle est composée d’un moulage représentant le linteau de la cuve du sarcophage des Muses, qui symbolise l’osmose entre les arts. À l’intérieur, on découvre les dialogues qui se jouent entre sa peinture et la littérature, à travers plusieurs références à Dante, à George Sand, Walter Scott ou Victor Hugo. Les œuvres sont ensuite exposées dans les pièces de son appartement et de son musée, pièces dans lesquelles on regrette un mauvais éclairage et une importante quantité de copies.
Le parcours assez sommaire dévoile ensuite son rapport à la musique, à travers sa collection d’instruments orientaux ramenés lors de son voyage au Maroc. Dans une vitrine, on découvre une mandoline, un luth ou des tambourins choisis pour leur aspect décoratif, qui sera une vraie source d’inspiration pour le peintre. Une vidéo présente également son amitié avec le compositeur Frédéric Chopin, et une grande partition montre l’une des lithographies qu’il a réalisées pour La fuite du contrebandier.
Une autre section met en avant son lien avec le théâtre, et nous apprend que le peintre a écrit une pièce qu’il ne publiera pas, intitulée Les dangers de la cour. Dans ses toiles, on retrouve aussi l’univers dramatique de Shakespeare, notamment dans l’intensité des scènes représentées, les éclairages, les drapés et les gestes expressifs. C’est d’ailleurs au Faust de Johann Wolfgang von Goethe que Delacroix dédie sa première grande série de lithographie, en 1827. Dans son journal, il note quelques années plus tôt : « L’écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s’établit comme un pont mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur ». Un « mystère » parcourant l’ensemble de l’oeuvre de Delacroix, que cette exposition n’explore hélas que de manière lacunaire.
Musée Eugène-Delacroix
6 rue de Furstemberg, 75006 Paris
Jusqu’au 18 septembre 2023
Romane Fraysse
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Image à la une : © Musée Eugène-Delacroix