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Une visite chez Rodin, de l’hôtel Biron au musée de sculptures

Le musée Rodin - © Agence photographique du musée Rodin, Jérome Manoukian

C’est dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle qu’Auguste Rodin s’installe dès 1908 pour investir les salons et le jardin de ses sculptures. Lieu de quiétude situé à deux pas des Invalides, ce qui est désormais le musée Rodin retrace l’histoire de ce « Bouc sacré » capable de donner à la pierre une force expressive aussi sensuelle que symbolique.

L’hôtel Biron

Depuis la construction de l’hôtel des Invalides en 1670, le faubourg s’urbanise progressivement à partir du XVIIIe siècle. Sur la commande du financier Abraham Peyrenc, marquis de Moras, un hôtel particulier est bâti dès 1728 par l’architecte Jean Aubert dans le style rocaille, alors très en vogue. Par la cour, on entre dans le vestibule composé d’un escalier d’honneur monumental, duquel on peut rejoindre un salon ouvert sur le jardin. On trouve également les appartements de Monsieur à l’est, et de Madame à l’ouest. Le premier étage sert quant à lui d’appartements d’hiver à ses occupants. Hélas, ceux-ci n’en profitent guère longtemps, puisque le marquis de Moras décède en 1732, quelques mois avant la fin des travaux.

Plan de l'hôtel de Biron - © Musée Rodin
Plan de l’hôtel Biron – © Musée Rodin

En 1736, sa veuve loue l’hôtel à la duchesse du Maine, avant que celui-ci ne soit vendu à Louis-Antoine de Gontaut-Biron, qui lui donne son nom. Le lieu accueille d’abord la légation pontificale, puis l’ambassade de Russie, avant d’être acquis par la Société du Sacré-Cœur de Jésus en 1820 afin de devenir un établissement d’éducation pour jeunes filles. L’hôtel est alors partiellement transformé, notamment par l’ajout d’une chapelle néogothique et de dépendances côté sud.

Auguste Rodin dans l'hôtel de Biron - © Cl. Lémery
Auguste Rodin dans l’hôtel Biron – © Cl. Lémery

Mais avec la loi de 1904 interdisant les congrégations religieuses d’enseigner, la Société est expulsée et le site est loué à plusieurs artistes, dont Jean Cocteau, Isadora Duncan, Henri Matisse, puis Auguste Rodin en 1908, sur les conseils de son fameux secrétaire Rainer-Maria Rilke. Huit ans plus tard, le sculpteur fait don de l’intégralité de ses œuvres et de ses archives à l’État français, qui ouvrira le musée que l’on connaît dès 1919.

Le jardin de sculptures

Le jardin commence à être aménagé par Madame de Moras dès 1732, lorsque les travaux de l’hôtel se terminent. Alors considéré comme l’un des plus beaux d’Europe, celui-ci est aménagé de bosquets et de parterres typiques des jardins à la française. Le terrain grandit alors considérablement en 1754, lorsque le maréchal de Biron décide de doubler sa surface, en y ajoutant un bassin à jet, une terrasse, un pavillon chinois, des cabinets de verdure, des vergers et des ornements dignes du Grand Siècle.

Lhôtel de Biron vu du jardin - © Romane Fraysse
L’hôtel Biron vu du jardin – © Romane Fraysse

Dès la Révolution française, le jardin sera progressivement laissé à l’état sauvage, ce qui charme d’ailleurs Auguste Rodin lorsqu’il le découvre en 1908. C’est en 1926, lorsque l’hôtel est un musée, que celui-ci est de nouveau aménagé. Mais il faut attendre 1993 pour que le paysagiste Jacques Sgard l’ordonne sous la forme classique que nous lui connaissons. Celui-ci est alors constitué de deux promenades intimistes, le jardin d’Orphée et le jardin des sources, menant vers un large bassin.

Le Penseur, dans le jardin du musée Rodin - © Romane Fraysse
Le Penseur, dans le jardin du musée Rodin – © Romane Fraysse

Aujourd’hui, on peut y découvrir 22 œuvres monumentales de Rodin. Situés de part et d’autre, les deux bosquets demeurent des lieux calmes et intimistes, dans lesquels on croise plusieurs sculptures emblématiques, tel que le Monument à Victor Hugo – on vous conseille aussi d’observer le très sensuel Victor Hugo nu debout, lui faisant face. La fontaine est quant à elle ornée d’Ugolin et ses enfants, scène inspirée de La Divine Comédie de Dante. Bien sûr, la visite se poursuit en découvrant la célèbre Porte de l’Enfer, le Monument aux bourgeois de Calais, ainsi que l’iconique Le Penseur, perché en haut d’une colonne.

Les premières commandes

L’hôtel Biron présente une belle rétrospective de l’Å“uvre de Rodin – bien que l’on regrette de ne pas y voir ses dessins. Le parcours commence lors de ses premières années, lorsque le jeune sculpteur est écarté de l’École des beaux-arts de Paris et travaille dans des ateliers de décoration. Les premières salles du rez-de-chaussée présentent quelques-unes de ses peintures de jeunesse, ainsi que quelques portraits sculptés, tel le masque de L’Homme au nez cassé.

Auguste Rodin, Jeune fille au chapeau fleuri, 1870-1875 - © Romane Fraysse
Auguste Rodin, Jeune fille au chapeau fleuri,
1870-1875 – © Romane Fraysse

Malgré son échec aux concours, celui-ci persiste et reçoit de nombreux soutiens amicaux. L’année 1880 constitue alors un tournant décisif, avec une première commande de l’État : celle de La Porte de l’Enfer, qui ne connaîtra finalement pas de suite.

Le musée Rodin - © Romane Fraysse
Le musée Rodin – © Romane Fraysse

Dès lors, le sculpteur bénéficie d’un véritable atelier et se spécialise dans des thématiques mythologiques, tout en recevant de nouvelles commandes : dans une salle, on retrouve ainsi le célèbre Baiser, initialement prévu pour La Porte de l’Enfer, qui a été agrandi et traduit en marbre à la demande de l’État en 1888.

L’expressivité, entre fragments et symboles

Progressivement Rodin s’oriente vers des représentations plus symboliques, dans lesquelles les formes et les tailles deviennent plus expressives que réalistes. Son Balzac gigantesque en est la parfaite illustration. Face à la sensibilité des visages, le parcours dévoile également le goût affirmé de l’artiste pour les mains : celles des amants ou du créateur, aussi sensuelles que puissantes. La Cathédrale retient particulièrement l’attention, par son mouvement souple et ses courbes élégantes, signes d’une œuvre mature qui n’a plus la contrainte de justifier son sujet.

Auguste Rodin, La Cathédrale, Le musée Rodin, 1908 - © Romane Fraysse
Auguste Rodin, La Cathédrale, Le musée Rodin, 1908 – © Romane Fraysse

Toute la modernité de Rodin se trouve d’ailleurs dans la fragmentation : une salle dédiée à ses expérimentations nous montre un artiste en constante création, enfantant des œuvres sans souci d’achèvement ou de cohérence. Sans chercher l’originalité, celui-ci multiplie les tirages en plâtre, et assemble différents éléments pour constituer un ensemble. Certaines mains côtoient ainsi des visages, jouant sur les disparités d’échelle et les hybridations, sans pérennité certaine. Comme dans un atelier, le musée nous présente des essais, des combinaisons, ou des abandons qui continuent malgré tout de révéler une force expressive. À travers cette constance, on saisit que ce n’est plus l’œuvre qui est en train de se faire : c’est l’artiste lui-même.

Rodin et les artistes

Auguste Rodin n’était pas un artiste solitaire. Dès ses débuts, le sculpteur fréquente de nombreux autres artistes, tels que Claude Monet, Paul Cézanne, Antoine Bourdelle, et notamment Eugène Carrière, auquel il restera lié jusqu’à la mort du peintre. Pour éclairer leur admiration mutuelle, le parcours présente ainsi plusieurs de ses toiles évanescentes mises en parallèle avec les œuvres immaculées du sculpteur.

Camille Claudel, La Valse, 1905 - © Romane Fraysse
Camille Claudel, La Valse, 1905 – © Romane Fraysse

Une autre salle est également consacrée à Camille Claudel, comme le critique d’art Mathias Morhardt l’avait suggéré à Rodin en 1914. Cette ancienne élève de l’artiste est tristement connue leur relation amoureuse, qui ébranlera autant sa santé mentale que sa carrière de sculptrice. En effet, leur séparation ne joue pas en sa faveur : déjà connu, Rodin est entouré de toute l’intelligentsia parisienne, à une époque où celle-ci peinait à croire qu’une femme était en mesure de créer de telles Å“uvres. Beaucoup soupçonnent ainsi Claudel de présenter des sculptures réalisées par Rodin, ce qui la plongera dans une profonde paranoïa. Exposer dans l’hôtel Biron des Å“uvres emblématiques de la sculptrice, telles que L’Âge mûr ou La Valse, ont-elles donc du sens, lorsque l’on sait qu’un musée lui est consacré à Nogent-sur-Seine ? Demeurera-t-elle indéfiniment le « département de Rodin » dans les esprits, comme un certain historien de l’art aimait la définir ? Par respect pour sa mémoire, il semblerait plus juste de la défaire de son statut d’élève, d’amante et de muse, afin de mettre en lumière ses sculptures dans un espace qui leur est entièrement consacré. Rappelons tout de même que le musée Rodin abrite encore la plus importante collection d’Å“uvres de Camille Claudel.

Le musée Rodin, avec une fresque de Barthélémy Toguo - © Romane Fraysse
Le musée Rodin, avec une fresque de Barthélémy Toguo – © Romane Fraysse

Toutefois, le parcours ne présente pas que les œuvres d’artistes du XIXe siècle. C’est avec surprise que l’on découvre, pour la première fois, de l’art contemporain au sein de l’hôtel Biron. Installées de manière pérenne, plusieurs fresques dédiées à trois éléments sont exposées sur les dessus de portes et les oculi inscrits dans les boiseries. En levant les yeux, on aperçoit la terre évoquée par Barthélémy Toguo, le feu par Jean-Paul Marcheschi, et l’eau par Li Xin, trois thèmes liés de près à la mythologie de Rodin.

Musée Rodin
77 rue de Varenne, 75007 Paris
Du mardi au dimanche, 10h-18h30

Romane Fraysse

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Image à la une : Le musée Rodin – © Agence photographique du musée Rodin, Jérôme Manoukian

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