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Une fabuleuse expo porte un nouveau regard sur l’exploration et ses mythes

Un voyageur solitaire dans une jungle hostile à la recherche d’une cité perdue… nul doute que cette image éclaire votre esprit lorsqu’il est question d’ « exploration ». C’est ce mythe persistant que la BnF souhaite aujourd’hui déconstruire avec une exposition présentant l’histoire européenne des grands voyages qui ont eu lieu au XIXe siècle. Dans le cadre du bicentenaire de la Société de géographie, qui conserve de nombreuses archives, les commissaires Hélène Blais et Olivier Loiseaux ont souhaité apporter un nouveau regard, plus réaliste et complexe, sur l’exploration des continents lointains.

Les mythes de l’exploration

Dans notre imagination, l’explorateur s’illustre comme un homme solitaire bravant tous les obstacles pour parvenir à ses objectifs. Cette représentation iconique, on la doit au récit fantasmé de l’Europe du XIXe siècle, mue par un idéal romantique célébrant l’individu au sein de la nature et de son mystère. Ainsi, l’exposition débute par une série de portraits d’explorateurs célèbres de l’époque, pris en studio avec des costumes en peaux, parfois pieds nus, le regard lointain et déterminé. Parmi eux : Frederik Schwatka, Camille Douls ou Fernand Foureau, sublimés en de véritables conquérants. Ainsi, on comprend de quelle manière cette histoire héroïque a été construite par l’imagerie populaire et la littérature de voyage.

Camille Douls, Atelier Nadar, 1887 – © BnF, SG

Et le mythe ne s’arrête pas là, puisque l’exploration fait également naître l’idée de contrées vierges et sauvages, dans une nature exotique, prolifique, sorte de jardin d’Eden revisité. Un cyclorama illustre bien ce fantasme par des paysages aux somptueux palmiers et aux collines infinies. On y voit quelques explorateurs à cheval, en train de pénétrer dans cette nature idyllique, où ils sont accueillis par deux autochtones venus les saluer. Déjà le rapport hiérarchique s’esquisse, dévoilant les occidentaux comme porteurs de lumière et de connaissance.

Cyclorama, “Le Voyage en Afrique”, 1889 – © Romane Fraysse

La littérature va elle aussi jouer avec ces mythes géographiques en nourrissant l’imaginaire collectif de mystérieuses villes perdues au milieu de la jungle foisonnante. Ce topos est développé par les romans d’aventure, comme ceux de Jules Verne, et est aussi repris au cinéma, à l’instar du film The Lost City of Z de James Gray.

Vue de l’exposition. Au fond, une carte d’Afrique avec les découvertes faites par Eustache Hérisson, 1820 – © Romane Fraysse

Toute une projection qui pourrait faire penser que l’exploration n’est qu’européenne, et que notre continent reste toujours le point de départ civilisé face aux paysages étrangers et sauvages. Pourtant, l’exposition tient à montrer que cette curiosité se développe aussi ailleurs : des souverains d’Egypte, de Perse ou de Thaïlande initient eux aussi des voyages en Europe, devenant un lieu de découverte et d’intérêt diplomatique.

Les figures de l’invisible

Mais si ces mythes autour de l’explorateur ont si longtemps perduré, c’est parce que les récits de voyage ont su éclipser les nombreuses figures qui les entouraient. Guides, interprètes, assistants ou compagnes… ils ont été un moteur indispensable dans ces aventures tout aussi passionnantes que contraignantes. Beaucoup de grands explorateurs doivent d’ailleurs leur célébrité à ces accompagnateurs, mais la reconnaissance est de courte durée : au retour de voyage, leurs noms sont rarement cités dans les mémoires et leur trace dans les archives reste ténue.

Photographie de Nain Singh, au centre – © BnF, SG

Cette exposition a donc à cœur de mettre en lumière certaines de ces figures oubliées, afin de leur rendre justice et de défaire le mythe de l’explorateur héroïque. Elle présente par exemple Mohamed El Fellati, un médecin rencontré en 1892 par des Français durant son pèlerinage à La Mecque, qui a été employé pour une mission secrète vers le Royaume de Sokoto, alors jugé trop dangereux pour des explorateurs européens. Des officiers britanniques ont également formé un certain Nain-Singh, instituteur indien, pour cartographier discrètement son pays en se déguisant en prêtre tibétain. Restés dans l’ombre, ces espions modernes ont joué les intermédiaires dans des zones à risque et permis de collecter de nombreuses informations pour les Européens.

Octavie Coudreau en costume de voyage 1897 – © BnF, SG

Plusieurs femmes ont aussi participé à ces voyages aux côtés de leurs maris : c’est le cas d’Octavie Coudreau, qui accompagne son mari en Amazonie dès 1895 afin d’établir une cartographie précise des affluents de l’Amazone. Se retrouvant veuve durant cette expédition, celle-ci décide de poursuivre son entreprise durant sept ans, dressant des cartes précises et tirant des récits de voyage illustrés par la photographie. Pourtant, la postérité décidera de ne retenir que le nom d’Henri Coudreau, son mari disparu. Une injustice que connaît aussi Matthew Henson, explorateur et descendant d’esclaves, éclipsé pour sa couleur de peau alors qu’il a été le premier homme à avoir atteint le pôle Nord. Dans le parcours, cette série de portraits, illustrée par des archives, des témoignages et des vidéos, permet ainsi d’apporter un récit bien plus complexe sur l’histoire de l’exploration.

Des collectes de savoir

Les deux commissaires ont pensé la scénographie comme un parcours en trois étapes, avec la préparation, le terrain et le retour du voyage. Car non, l’explorateur n’est pas cet homme solitaire et aventureux qui décide, un beau matin, de partir explorer un pays inconnu. Il a besoin du soutien scientifique, politique et économique de plusieurs institutions. Ce n’est donc pas anodin que l’exploration ait fleuri à une époque où la géographie se développe. Au sein des Sociétés de géographie qui se créent dans les capitales (Paris en 1821, Berlin en 1828 et Londres en 1830), des savants se regroupent ainsi pour débattre des moyens d’accroître la connaissance du monde en envoyant des voyageurs en mission. Dirigée par 217 personnalités, celle de Paris fait entreprendre de nombreuses explorations dès sa création, délivrant une feuille de route avec leurs attentes scientifiques.

Vue de l’exposition. Reconstitution d’un camp saharien – © Romane Fraysse

Une fois parti, les explorateurs se dotent alors d’armes et d’instruments de mesures, tels que le baromètre, le chronomètre ou le théodolite. L’exposition présente ainsi une reconstitution d’un campement saharien avec une table envahie de documents d’étude, une chaise pliante en tissu et des collectes d’échantillons géologiques. Ceux-ci avaient souvent pour obligation de masquer leurs intentions, qui n’étaient pas toujours bien vues par les autochtones. Au Sénégal, un certain René Caillié a par exemple dû se faire passer pour un pèlerin en route vers la Mecque sous le nom d’Abdallahi. En sous-entendant les tensions existantes, le parcours évoque à demi-mots les violences auxquelles ont dû faire face les habitants de ces pays à l’arrivée des Européens, et dont nous n’avons sans surprise aucun témoignage.

Vue de l’exposition – © Romane Fraysse

Mais la suite se consacre tout de même à la transformation qui se joue peu à peu, de la curiosité scientifique à l’ambition coloniale. Plusieurs vitrines dévoilent alors le panel de savoirs apporté par ces explorations. On découvre des croquis, levés cartographiques, collectes minéralogiques, recueils de vocabulaires, mesures anthropométriques et objets archéologiques, tous obtenus de manière plus ou moins contraintes.

Journal de route de la seconde expédition sur le fleuve blanc, Joseph Pons d’Arnaud, 1841 – © Romane Fraysse

Les carnets d’Henrich Barth présentent ainsi une étude passionnante des écritures africaines, en lien avec la naissance de la linguistique moderne. A côté, on découvre une statuette africaine ramenée par Pierre Savorgnan de Brazza dans des conditions plus que douteuses, faisant davantage penser à un pillage. Un malaise qui relance une nouvelle fois le débat sur notre légitimité à détenir et exposer des « œuvres » comme celles-ci au musée du quai Branly.

L’ambition coloniale

Il semblait en effet indispensable de faire un parallèle entre l’exploration et la colonisation, tant leurs histoires sont liées de près. En pillant et en relevant des mesures, ces voyageurs ont peu à peu établi une hiérarchie des populations. L’anthropologie a alors légitimisé cette démarche par la phrénologie, pseudoscience consistant à classer les intelligences dans une perspective racialiste. Joseph Gallieni, qui conduit plusieurs missions au Soudan, au Tonkin et à Madagascar entre 1880 et 1900 est un parfait exemple de cette exploration qui mêle découverte géographique et conquête coloniale. La photographie « ethnologique » va ainsi lui servir à établir des types stéréotypés, qui nourriront pendant longtemps les fantasmes européens.

Photographie « ethnologique » – © Romane Fraysse

Au retour des voyages, de nombreuses mises en scène dévoilent en effet une vision raciste qui se place dans l’entreprise impériale de l’Europe de la fin du XIXe siècle. En 1877, le Jardin d’acclimatation commence par exemple à accueillir les sordides « zoos humains », exposant des êtres vivants provenant de différents pays lointains. Dans une société friande de spectacles, où les visiteurs se sentent eux-mêmes explorateurs, cette initiative rencontre un succès phénoménal. Elle acte du même coup le tournant pris par cette culture de l’exploration, qui s’est définitivement cristallisée dans le colonialisme.

Vue de l’exposition – © Romane Fraysse

En conclusion de cette histoire complexe, qui insuffle tout autant de la curiosité et du malaise, les deux commissaires ont choisi de donner une place aux peuples de ces pays explorés. Une vidéo silencieuse présente ainsi plusieurs portraits d’autochtones, le regard méfiant, afin de questionner leur point de vue sans obtenir de réponses. Une manière de relever la dissymétrie inévitable de cette histoire, qui reste seulement éclairée par les sources européennes.

Bibliothèque Nationale de France
Quai François-Mauriac, 75013 Paris
Jusqu’au 29 août

Romane Fraysse

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