Si l’on connaît Marcel Proust en tant qu’homme raffiné, dilettante et mondain, on connaît moins la fougue dont il fait preuve au début de sa carrière : en 1897, le romancier défie en duel un journaliste tempétueux qui menace sa vie personnelle et l’expose à un scandale sans précédent.
Des débuts peu convaincants
Marcel Proust, 25 ans, publie en 1896 son premier ouvrage Les Plaisirs et les Jours, un recueil de nouvelles et de poèmes en prose préfacé par Anatole France et illustré par Madeleine Lemaire, une peintre et dessinatrice sur laquelle Proust a écrit dans Le Figaro et qui tient des salons où se rendent aristocrates, intellectuels et artistes. L’ouvrage est mal accueilli par la critique et la presse et sa diffusion reste majoritairement confidentielle. Une personnalité, en particulier, s’attarde à détruire le recueil et à critiquer son auteur : sous le pseudonyme Raitif de la Bretonne, le célèbre écrivain et journaliste Jean Lorrain dresse un portrait peu élogieux de la littérature proustienne dans Le Journal du 3 février 1897, soit près d’un an après la parution du recueil.
Un ennemi retors
Il faut dire que Jean Lorrain est un poids lourd de la fin du siècle, réputé pour sa littérature scandaleuse et son quotidien débauché : ce dandy satirique ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de rédiger des chroniques dans les journaux. Figure de proue du décadentisme caractéristique de la Belle Epoque, Jean Lorrain est un esthète qui cultive son aura et choque l’opinion par sa consommation excessive de psychotropes, comme l’éther. Homosexuel revendiqué, c’est là -dessus qu’il attaque Marcel Proust dans sa chronique : plus que de discréditer le recueil du jeune homme, il s’applique à dénoncer sa liaison supposée avec le fils d’Alphonse Daudet, Lucien.
“Deux coups de feu sont tirés”
C’en est trop : Marcel Proust, blessé et conscient du risque que cette attaque représente pour sa carrière, défie en duel Jean Lorrain qui accepte d’en découdre avec l’écrivain. Les deux hommes se rendent au bois de Meudon le 6 février 1897 au cÅ“ur
de l’après-midi : Proust est accompagné de plusieurs témoins dont son ami le peintre Jean Béraud et le maître d’armes Gustave de Borda. Les adversaires sont séparés de vingt-cinq pas comme le veut l’usage et deux coups de feu sont tirés dans la foulée : Marcel Proust et Jean Lorrain sont indemnes et, de concert, décident de mettre un terme au duel. La rumeur veut qu’un amant du jeune homme se serait rendu sur les lieux et l’aurait supplié de ne pas céder à l’affrontement ; l’écrivain en herbe et le critique auraient alors tirer dans le sol pour conclure la querelle. Si le déroulé de cette entrevue reste flou, Marcel Proust tirera une grande fierté de cet événement qui restera son seul et unique duel.
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Image à la une : Jacques-Emile Blanche, Portrait de Marcel Proust (1892) © Domaine public
Sources : Actualitté, Retronews, Le Point, Le Soir
Julien Mazzerbo