
Défenseur des « réfractaires », Jules Vallès a consacré sa vie à « la Sociale » sans jamais se rattacher à un parti, prônant haut et fort la fraternité et l’autonomie du peuple. Chef de file des insurgés de la Commune de Paris, il a soutenu le mouvement dans son journal Le Cri du Peuple, tout en combattant activement derrière les barricades. Déterminé, indépendant, Vallès reste – sans surprise – délaissé par le récit national, tout comme le socialisme engagé de cette époque.
La prison de l’enfance
Jules Vallès témoigne de ses premières années dans son écrit autobiographique L’Enfant, qui ne dépeint pas une période bien joyeuse. Né le 11 juin 1832 d’une famille d’origine paysanne, il demeure le seul, avec sa sœur Marie Louise, à survivre dans une fratrie de sept enfants. Ses parents, qui prétendent quitter leur milieu populaire pour adopter les codes de la bourgeoisie, sont obsédés par l’idée d’une ascension sociale. Son père, maître d’école, est un véritable carriériste : après être entré au Collège royal de Saint-Étienne en 1840, il obtient l’agrégation quelques années plus tard et enseigne finalement au Collège royal de Nantes. La famille déménage alors selon les mutations, soucieuse de sa réussite.

Si le jeune Jules reçoit une éducation répressive – étant battu par sa mère –, il se montre très tôt contestataire à toute forme d’autorité. Ses opinions socialistes, proches des cercles anarchistes, dérangent au plus haut point son père, qui y voit une menace pour son emploi de fonctionnaire. Sa mère, qui joue à la dame, souhaite le conformer aux règles de bienséance et le contraint à dissimuler sa misère.

Pourtant, dès l’âge de seize ans, Jules Vallès participe à des manifestations républicaines et fonde le Club républicain de la Jeunesse de Bretagne et Vendée. Devenu le président, celui-ci réclame la suppression du baccalauréat et des examens, ainsi qu’une « liberté absolue de l’enfance ». Face à son insurrection, ses parents décident alors de le faire interner plusieurs mois pour « aliénation mentale » – une expérience traumatisante, que sa sœur a connu aussi de façon tragique, puisqu’elle a disparu à l’asile à l’âge de 24 ans.
Un journalisme libertaire
Avec son ami Charles-Louis Chassin, Jules Vallès défend des idées socialistes, radicales et anticléricales. Installé à Paris, il s’engage vivement contre Napoléon III – si bien qu’il se fait emprisonner en 1853 lors d’un complot orchestré contre l’empereur. Pour gagner sa vie, il occupe de 1860 à 1862 le poste d’expéditionnaire au bureau des naissances de la mairie de Vaugirard (15e arrondissement parisien). En parallèle, il écrit des chroniques pour plusieurs journaux, dont Le Temps ou Le Figaro, s’intéressant particulièrement à la condition misérable des classes populaires.

C’est en 1861 que sort son fameux article « Les Réfractaires » : « Il existe de par les chemins une race de gens qui, eux aussi, ont juré d’être libres ; qui, au lieu d’accepter la place que leur offrait le monde, ont voulu s’en faire une tout seuls, à coups d’audace ou de talent […] Je les appelle des RÉFRACTAIRES ». Sorti en 1865, son premier livre signé reprend d’ailleurs ce titre.

En 1867, Jules Vallès fonde le journal La Rue, premier d’une longue suite de journaux provisoires qui défendent le peuple contre les figures d’oppression. Il connaît d’ailleurs plusieurs condamnations pour certains de ses articles, critiquant la police ou appelant au coup d’État. Bien qu’il se présente en tant que candidat aux élections législatives, Vallès perd contre un républicain qu’il juge trop conservateur.
La Commune, un rêve réalisé
Comme on le sait, 1871 est une année décisive dans l’histoire de la France. Malmenée par la guerre franco-allemande, la capitale se voit rapidement envahir par l’ennemi, ce que Jules Vallès, comme bon nombre de patriotes, refuse catégoriquement. Indigné par l’abandon du pays, il est l’un des quatre rédacteurs de L’Affiche Rouge du 6 janvier 1871, qui interpelle le peuple face à « la trahison du gouvernement du 4 septembre » et réclame « la réquisition générale, le rationnement gratuit, l’attaque en masse », se terminant par le fameux appel « Place au peuple ! Place à la Commune ». En tout, 140 signataires se joignent au mouvement.

Un mois après, Jules Vallès s’associe au socialiste Pierre Denis pour fonder Le Cri du Peuple. Dans le premier numéro du 22 février 1871, on peut lire : « La Sociale arrive, entendez-vous ! Elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le salut ». Revendicatrice d’une autonomie de Paris, la revue s’adonne, comme beaucoup de contemporains, à un certain antisémitisme, identifiant la figure du juif à celle du bourgeois arriviste. Celle-ci demeure le quotidien le plus lu durant la Commune, qui éclate le 18 mars 1871 : Vallès y soutient les insurgés et l’émancipation sociale, tout en allant combattre derrière les barricades.

Le 26 mars, il est d’ailleurs élu par 4 403 voix et devient l’un des meneurs de l’insurrection, prônant toutefois une société pacifiste et fraternelle. Contrairement à d’autres communards, il continue d’ailleurs de défendre la liberté de la presse et rejoint le conseil de la Commune, opposé à la répression d’un comité de Salut public. Mais au mois de mai, les Versaillais entrent dans Paris : la Semaine sanglante éclate, et Jules Vallès parvient à s’exiler à Londres. En décembre 1872, il écrit à son ami Hector Malot : « […] aux derniers jours, j’ai été avec les combattants jusqu’à la dernière heure. Le dimanche, à 8 heures du matin, je commandais encore la barricade de la rue de Paris à Belleville… ».
Écrivain exilé
Le 14 juillet 1872, Jules Vallès est condamné à la peine de mort par contumace par le 6e conseil de guerre. Affaibli par le diabète, souffrant de son isolement, il fait face en quelque temps au décès de sa mère, puis de sa fille Jeanne-Marie, alors âgée de 10 mois. C’est à cette période qu’il commence à écrire sa trilogie autobiographique, connu plus tard comme L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé : celle-ci paraît d’abord en feuilleton sous le nom de Vingtras dans le journal Le Siècle. Jules Vallès prend alors l’obscur pseudonyme La Chaussade, et continue anonymement à envoyer de nombreux articles à Paris.

En 1879, en voyage à Bruxelles, il rencontre la journaliste Séverine, socialiste convaincue, qui admire ses combats. Ils se retrouvent à Paris en 1880, après l’amnistie des Communards : celle-ci l’encourage alors à relancer le Cri du peuple, et devient sa collaboratrice. Le considérant comme un père spirituel, Séverine prend soin de Vallès jusqu’à sa mort, le 14 février 1885, date à laquelle elle reprend la direction du journal. Sur sa tombe, située au cimetière du Père-Lachaise, sa voix persiste à travers une épitaphe évocatrice de ce que fut son existence : « Ce qu’ils appellent mon talent n’est fait que de ma conviction ».
Romane Fraysse
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Image à la une : Ernest Eugène Appert, Portrait de Jules Vallès, 1866