Entre les années 1960 et 1980, la société française a été ébranlée par une vague de nouveaux genres musicaux : le rock’n’roll, les yéyés, le punk, la new wave ou encore le disco. Au diable les clubs jazz, ces mouvements ont rapidement fait fleurir plusieurs clubs extravagants dans Paris, contribuant à raviver la vie nocturne de la capitale. Concerts légendaires, danses modernes, décors insolites… ces lieux mythiques, aujourd’hui disparus, ont profondément marqué une époque innovante, dont le tintamarre résonne encore à nos oreilles.
La Locomotive
En 1960, l’acteur André Pousse, alors directeur artistique du cabaret du Moulin-Rouge, décide de créer une boîte de nuit attenante, dans une salle en sous-sol où se tenaient autrefois des bals fréquentés par Toulouse-Lautrec. Dans le quartier frénétique de Pigalle, la Locomotive s’impose alors rapidement comme le quartier général des jeunes yéyés, étant connue pour être peu sélective à son entrée.
Au bout de son long escalier tournant, on tombe sur une vaste piste où une foule entrelacée danse jusqu’à pas d’heure. La salle dispose d’un grand bar et d’une scène musicale, entourés par quatre murs entièrement recouverts de frises et de tags. Un endroit idéal pour s’essayer aux premiers pas de jerk et applaudir le gratin des groupes de rock anglais : on y écoute The Who, The Kinks, The Pretty Things ou Them. On y rencontre aussi des personnalités parisiennes, comme le fameux baron de Lima, un beatnik fantasque habillé tout en cuir noir qui distribue des cartes d’adhésion pour sa curieuse « école d’expression libre ».
Mais à partir des années 1970, la Locomotive s’essouffle. Le lieu est alors étendu sur trois étages pour accueillir différentes ambiances musicales. Amateurs de rock, techno et métal s’y donnent rendez-vous pour assister à ses nombreux concerts. Moins personnelle, plus grandiloquente, la boîte garde néanmoins son prestige jusqu’au tournant du XXIe siècle, où des difficultés financières la contraignent à mettre la clé sous la porte. On la connaît aujourd’hui sous le nom de La Machine du Moulin-Rouge.
Le Palace
Ancienne salle de cinéma muet, devenue music-hall, le Palace réouvre en 1978 en tant que club branché du Faubourg-Montmartre. Emblème des années 80, il est fréquenté par le tout-Paris en quête de soirées luxueuses et extravagantes. Dans un théâtre aux colonnes antiques conçu par le peintre Gérard Garouste, une centaine de serveurs sont vêtus de flamboyants costumes rouge et or créés par le couturier Mugler. On y croise de nombreux stylistes tels que Karl Lagerfeld, Kenzo ou Claude Montana qui y ont organisé quelques défilés. Sur sa scène, de grands musiciens se révèlent et triomphent, comme Prince qui y fera son tout premier concert parisien.
Ainsi, le Palace devient un lieu incontournable des nuits parisiennes, où tout est orchestré par le directeur Fabrice Emaer pour produire les soirées les plus folles. Lié à l’émergence de la culture gay, l’endroit brasse aussi des vedettes de tous les milieux : Mick Jagger, Andy Warhol, Christian Louboutin, Pascale Ogier, Patrick Dewaere ou encore Pierre et Gilles.
Du Palace, Roland Barthes dira qu’« il rassemble dans un lieu original des plaisirs ordinairement dispersés : celui du théâtre comme édifice amoureusement préservé, jouissance de la vue ; l’excitation du Moderne, l’exploration de sensations visuelles neuves, dues à des techniques nouvelles ; la joie de la danse, le charme des rencontres possibles » (Vogue Hommes, 1978). Club privilégié de la house music, il vivra ses dernières heures de gloire dans les années 1990, avant de devenir l’actuelle salle de spectacle.
La Main Jaune
Ouverte en 1879 à la porte de Champerret, la Main Jaune est le premier « Roller Disco » de France et la plus grande boîte de patins à roulette d’Europe. Très en vogue dans les années 80, ce club de 1500 m2 est peuplé de patineurs plus ou moins aguerris, déambulant sur une grande piste enfumée. Une fois les patins enfilés à l’étage, un toboggan les fait atterrir au coeur de cette salle mythique au plafond noir, dans laquelle des DJ passent du disco à tout-va. Chaussettes hautes, sweats fluo, visages pailletés… Les clients plongent dans une ambiance festive où sont réunies toutes les extravagances de l’époque.
Devenue célèbre grâce au film La Boum – où l’on découvre Sophie Marceau et Claude Brasseur quelque peu agités sur leurs patins – la Main Jaune ne durera que 25 ans avant de fermer ses portes en 2003. Fortement marquée par le style des années 80, elle n’a pas su résister au temps, bien que certains adeptes militent encore pour sa réouverture.
Les Bains Douches
À la place des ancien Bains Guerbois du Marais, où se réunissait l’intelligentsia parisienne du XIXe siècle, un certain antiquaire nommé Jacques Renault fonde en 1978 ce club inédit regroupant une salle de concert, une discothèque, un restaurant et un bar. À l’inauguration, les cartes d’invitation sont dessinées par Pierre et Gilles, tandis que le décor atypique est réalisé par Philippe Starck, hormis quelques moulures chinoises datant de 1885. Les salles accueillent des néons et des miroirs sur lesquels sont projetées plusieurs vidéos. Au sous-sol, le fond d’une piscine est recouvert d’un immense échiquier dont les pièces sont déplacées, au gré des demandes, par un homme-grenouille.
C’est sur la scène de ce club légendaire que se produiront les plus grands noms du punk et de la new wave tels que les Dead Kennedys, Joy Division, les Rita Mitsouko ou Depeche Mode. On croise souvent, attablés au restaurant, des personnalités telles que Jean Paul Gaultier, Bambou, Thierry Mugler, Patrick Dewaere ou Julien Clerc. Lumineux et fantasque, l’endroit attire même des cinéastes comme Eric Rohmer ou Roman Polanski qui utilisent ses décors pour leurs films. Repris par les époux Guetta dans les années 90, les Bains Douches perdent peu à peu de leur renommée, dans un paysage assombri par la découverte du Sida. Fermée en 2010, l’établissement est transformé en hôtel de luxe, dans lequel la mythique piscine est conservée.
Romane Fraysse
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