Tout le monde a entendu l’expression « Fort Chabrol » mais peu de Parisiens connaissent l’histoire rocambolesque de Jules Guérin, réactionnaire royaliste, qui s’est enfermé au siège de son journal, 51 rue Chabrol dans le 10ème arrondissement de Paris. Un événement ayant tenu les Parisiens en haleine durant plusieurs semaines à l’époque.
Complice d’un coup d’état manqué, fomenté par Déroulède et le duc d’Orléans pour renverser la 3ème République au printemps 1899, la police a un mandat d’arrêt contre lui. Entouré d’une douzaine de complices, Jules Guérin se barricade dans son petit hôtel particulier le 12 août et ne se rendra que le 20 septembre, soit 38 jours de résistance acharnée.
Le quartier Saint-Vincent de Paul est en ébullition. Des badauds viennent de tout Paris et de sa banlieue, les Gares du Nord et de l’Est sont à deux pas. Les chanteurs des rues en font leur héros, les journaux un feuilleton à sensation.
Le procès pour innocenter le capitaine Dreyfus se prépare à Rennes mais tous les journalistes font leur « une » sur cette rébellion politique. Des cartes postales d’époque nous montrent des stratagèmes tous plus ingénieux les uns que les autres pour alimenter le Fort Chabrol. Les toits et les caves sont surveillés par la garde mobile mais le Président Loubet ne veut pas d’effusion de sang, le préfet de police a reçu des ordres : négociation et patience…
Finalement, à bout de vivres et de courage, les insurgés se rendent le 20 septembre 1899 sous les vivats de la foule. Des œillets blancs sont lancés sur les prisonniers, leur chef sera condamné à 10 ans de prison en haute cour sénatoriale. Pour l’anecdote, la bibliothèque du Sénat servit de prison temporaire aux inculpés pendant leur procès.
Le Président de la République commua en 1901 la peine de Jules Guérin en bannissement: il vécut à Bruxelles jusqu’à l’amnistie de 1905.
A son retour, Jules Guérin s’installa à Ablons, sur les bords de Seine où il mourut le 10 février 1910 des conséquences de la Grande Crue. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car ses obsèques sont très discrètes malgré la présence attestée de Marcel Proust, ami commun de la Comtesse de Loynes, morte deux ans plus tôt et enterrée elle aussi au cimetière Montmartre. La famille ne veut pas de scandale, la tombe restera anonyme jusqu’en… 1993 et la rencontre d’un bouquiniste parisien avec son arrière petite nièce qui acceptera de faire graver le marbre du caveau.
Aujourd’hui, les «complotistes » de tout bord en ont fait un lieu de pèlerinage comme il en existe tant dans les cimetières de la capitale.
Bruno Le Pape