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Les insondables énigmes de l’homme au masque de fer

L'homme au masque de fer, anonyme, 1789

Le Masque de fer est un vaste mystère. Cet homme, dénommé Eugène Danger, aurait été emprisonné en 1669 sur l’ordre du roi Louis XIV, et interdit de communiquer avec qui que ce soit. Qui était-il ? Pourquoi portait-il un masque ? Quel mal avait-il commis pour rester emprisonné durant 34 ans, jusqu’à sa mort à la Bastille en 1703 ? Si certaines hypothèses paraissent plus probables que d’autres, aucune preuve réelle n’existe, contribuant à nourrir les fantasmes autour d’un inconnu devenu légende.

Les faits historiques

Le mystère qui entoure l’identité de l’homme au masque de fer a intrigué dès les premières évocations de l’affaire. Si de nombreux fantasmes se sont mêlés à la réalité, on connaît plusieurs faits historiques qui confirment l’existence réelle de ce prisonnier énigmatique, qui aurait été enfermé sur l’ordre de Louis XIV. Le 19 juillet 1669, une lettre du marquis de Louvois, ministre du roi, s’adresse à l’ancien mousquetaire, Bénigne de Saint-Mars, à qui il confie la garde d’un homme masqué dénommé « Eugène Danger ». Il lui ordonne alors de ne jamais communiquer avec lui, et évoque sa condition sociale modeste. Puis, en 1674, le roi demande étrangement qu’il devienne le valet-prisonnier du marquis Nicolas Fouquet, un autre prisonnier d’État, sans pouvoir échanger avec lui.

Musée du Masque de fer et du fort royal, ancienne prison située sur l'île de Sainte-Marguerite - Ville de Cannes
Musée du Masque de fer et du fort royal, ancienne prison située sur l’île de Sainte-Marguerite – Ville de Cannes

C’est finalement le 18 avril 1687 qu’il fait sa première apparition publique sur l’île Sainte-Marguerite, dans une citadelle où il est détenu loin des regards. Une gazette janséniste décrit alors son arrivée : « Monsieur de Saint-Mars a transporté, par ordre du Roi, un prisonnier d’État de Pignerol aux îles Sainte-Marguerite. Personne ne sait qui il est ; il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s’il le prononce. Il était enfermé dans une chaise à porteurs, ayant un masque d’acier sur le visage et tout ce qu’on a pu savoir de Saint-Mars était que ce prisonnier était depuis de longues années à Pignerol et que tous les gens que le public croit morts ne le sont pas ».

Bastille, façade orientale, dessin de 1790 ou 1791
Bastille, façade orientale, dessin de 1790 ou 1791

Le 18 septembre 1698, le lieutenant du roi Étienne du Junca annonce son transfert dans la prison de la Bastille. Puis, le 19 novembre 1703, il note dans son registre la mort de ce prisonnier anonyme, « toujours masqué d’un masque de velours noir, que M. de Saint-Mars, gouverneur, a mené avec lui en venant des îles Sainte-Marguerite [et] qu’il gardait depuis longtemps ». Sa dépouille aurait ensuite été enterrée dans le cimetière de l’église Saint-Paul, sous le nom de Marchioli et l’âge de 45 ans – deux données faussées, puisque le prisonnier aurait passé 34 ans en captivité. Selon certains gardiens, on aurait alors brûlé ses effets personnels et blanchi les murs de sa cellule à la chaux.

Pourquoi un « masque de fer » ?

Il semblerait donc qu’Eugène Danger ait été un valet, qui aurait eu connaissance d’un secret d’ordre diplomatique. À cette époque, Louis XIV venait de perdre la guerre de Dévolution (1667-1668), lors de laquelle il a tenté de conquérir les Pays-Bas espagnols qu’il a dû abandonner face aux menaces de l’Angleterre. Le roi cherchait alors à renverser l’alliance entre les deux pays, par l’intermédiaire de sa belle-sœur Henriette d’Angleterre, également sœur du roi Charles II d’Angleterre.

L'homme au masque de fer, anonyme, 1789
L’homme au masque de fer, anonyme, 1789

Selon l’historien Jean-Christian Petitfils, le valet Eugène Danger aurait eu vent de quelques informations confidentielles lors de ces négociations, qui ont été faites à travers une correspondance chiffrée, surnommée le « Grand Secret ». Mais au sein d’une monarchie fortement chrétienne, les individus gênants ne peuvent être assassinés, et sont donc placés en détention à perpétuité.

Le Masque de fer, prisonnier d’Etat interné au château d’If, de 1679 à 1703. Dessin. © CAP / Roger-Viollet

Toutefois, puisqu’il ne fallait pas que ce prisonnier soit reconnu ou questionné, il avait donc pour obligation de porter un masque et de taire son identité. Si la légende raconte qu’il avait toujours le visage masqué, il ne l’a sûrement mis que lors de déplacements ou de visites dans sa cellule. Certains scientifiques soutiennent aussi que son masque aurait été en velours noir, et non en fer, pour des raisons d’hygiène. Des historiens évoquent quant à eux la personnalité mégalomane de son geôlier, Saint-Mars, qui aurait volontairement alimenté des fantasmes pour faire parler de lui.

Des hypothèses à n’en plus finir

Si l’hypothèse du valet reste la plus probable, rien ne nous confirme pourtant qu’elle est vraie. Et ce mystère durable a nécessaire intrigué les esprits depuis des siècles, contribuant à la formulation d’une cinquantaine d’hypothèses plus ou moins plausibles.

François de Vendôme, duc de Beaufort. Portrait du duc en cuirasse, peint par Jean Nocret, musée d'Art de Baltimore, XVIIe siècle.
François de Vendôme, duc de Beaufort, par Jean Nocret, XVIIe siècle

Certains ont par exemple suggéré que l’homme au masque de fer serait le duc de Beaufort, cousin germain de Louis XIV qui conspira contre Richelieu et Mazarin. On a aussi pensé à Nicolas Fouquet, le surintendant des finances emprisonné pour traitrise à la même période, ou à un supposé frère jumeau du roi, selon la thèse de Voltaire – ce qui est impossible, puisque des centaines de témoins assistaient aux naissances royales.

Frontispice de l’édition de 1704 des "Mémoires de Monsieur d’Artagnan"
Frontispice de l’édition de 1704 des “Mémoires de Monsieur d’Artagnan”

D’autres hypothèses, plus romanesques que vraisemblables, ont été émises. L’écrivain Anatole Loquin a par exemple suggéré que l’homme au masque de fer était en réalité Molière, qui ne serait pas mort sur scène et aurait été secrètement arrêté à la demande des jésuites. D’autres, comme Roger MacDonald, pensent que le mousquetaire d’Artagnan aurait été envoyé blessé à Pignerol et masqué pour ne pas être reconnu des autres mousquetaires gardant la prison. Enfin, certains évoquent le nain Nabo, esclave noir et amant de la reine Marie-Thérèse, qui a subitement disparu de la cour royale.

Un mystère devenu légende

L’homme au masque de fer fait donc partie des grands mystères de notre histoire. Des énigmes passionnantes circulent autour de son identité, suscitant l’intérêt de nombreux écrivains et artistes. Voltaire est l’un des premiers à construire une légende autour de ce prisonnier : en l’illustrant comme un symbole de l’oppression monarchique, le philosophe décrit son masque avec des « ressorts en acier, permettant au prisonnier de manger sans le retirer », alors que de nombreuses sources avaient déjà indiqué qu’il était en velours. Il en fait aussi un personnage noble et raffiné, « à la taille majestueuse et à la silhouette élégante », ne pouvant être qu’une personnalité importante de la Cour.

Randall Wallace, L'Homme au Masque de fer, 1998
Randall Wallace, L’Homme au Masque de fer, 1998

Dès lors, de nombreuses œuvres de fiction ont pris la relève. Parmi les plus connues, on évoque Le Vicomte de Bragelonne d’Alexandre Dumas, qui privilégie l’hypothèse d’un frère jumeau du roi, ou encore Le Masque de fer de Marcel Pagnol, qui soutient qu’il aurait été Molière. Parmi plusieurs milliers de livres et d’articles de presse, on compte également les films de cape et d’épée, qui en font un personnage récurrent. Aujourd’hui, un musée est même consacré à ce prisonnier légendaire, au sein même de l’île Sainte-Marguerite où il a été détenu de 1687 à 1698.

Romane Fraysse

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