Il y a fort à parier que le Café du Croissant n’existerait plus s’il n’avait pas été le théâtre de l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire du XXe siècle en France. C’est en effet dans cette petite brasserie de la rue Montmartre, non loin du Palais Brongniart, qu’a été assassiné Jean Jaurès, figure politique majeure de l’avant-guerre, mais aussi grand artisan de la paix. Que s’est-il passé en ce 31 juillet 1914 ? Peut-on encore trouver des traces de cet assassinat dans le café ? On vous dit tout sur cet événement qui a précipité la France dans la première guerre mondiale.
Jean Jaurès, un habitué du Café du Croissant
C’est dans l’un de ses lieux fétiches que Jean Jaurès a été tué, le soir du 31 juillet 1914. Au moment de sa mort, il est non seulement député du Tarn et patron incontesté du socialisme français, mais également le directeur du journal qu’il a fondé en 1904, L’Humanité. Les locaux du quotidien socialiste sont situés à quelques rues du café, rue de Richelieu. C’est donc en voisin que l’ensemble de l’équipe a pris pour habitude de se retrouver, en fin de journée, dans ce petit café du 2e arrondissement.
Le soir du 31 juillet 1914, aux alentours de 21h, douze collaborateurs de l’Humanité, parmi lesquels Jean Jaurès et Jean Longuet, décident de s’installer, comme ils le font régulièrement, autour de la table située à gauche de l’entrée. Nous sommes au cÅ“ur de l’été, il fait chaud et les fenêtres sont grandes ouvertes. Jaurès est installé dos à l’une des trois grandes fenêtres. Seulement protégé de l’extérieur par un rideau.
Le déroulement du crime
Il est 21h40 lorsque, sur le trottoir, un homme écarte le rideau et sort un Smith & Wesson. Il tire deux balles coup sur coup en direction de la grande tablée. Jean Jaurès s’écroule presque immédiatement, touché à la tête par le premier projectile. “Jaurès est tué !” entend-on dans le tumulte provoqué par les coups de feu. En réalité, Jaurès n’est pas encore mort, il succombera quelques minutes plus tard, à l’arrivée des secours.
Alors que leur camarade agonise sur la banquette du café, quelques collaborateurs de Jaurès, suivis d’autres clients, se précipitent à la poursuite du tueur. Ce dernier est rattrapé, fermement empoigné puis confié à un agent de police qui l’emmène au poste de la rue du Mail. Il s’appelle Raoul Villain, a 29 ans et est étudiant à l’École du Louvre. S’il a tué l’homme politique, dit-il, c’est parce qu’il “estime que Jaurès a trahi son pays en combattant la loi des trois ans”.
L’assassinat politique d’un antimilitariste
Pacifiste convaincu, le directeur de l’Humanité s’était, en effet, vivement battu contre cette loi visant a augmenter la durée du service militaire. Aussi, depuis plusieurs années et plus encore depuis le 28 juin 1914 et l’attentat de Sarajevo, Jaurès menait bataille contre l’option militaire en réponse aux conflits qui agitaient le monde. Il était persuadé qu’une issue pacifique pouvaient être envisagée. Mais, dans un contexte aussi tendu que celui de l’avant-guerre et dans le souvenir de la défaite de 1870 contre les Allemands, le pacifisme de Jaurès attise les haines. On le surnomme “Herr Jaurès”, on l’accuse d’être du côté de l’Allemagne, de pactiser avec l’ennemi.
C’est nourri de cette colère que Raoul Villain, proche des milieux ultra-nationalistes, se décidera à tuer celui qu’il considère comme un traître. Si l’assassinat n’a pas déclenché la guerre, il a éteint les derniers espoirs de résistance. Le lendemain, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie tandis que la France décrète la mobilisation générale. Le 3 août, la France et l’Allemagne entrent en conflits également.
Reste-t-il des traces de l’assassinat aujourd’hui ?
Le café actuel, renommé Taverne du croissant en 2011, n’a plus grand chose à voir avec celui de 1914. Quelques éléments permettent néanmoins de se souvenir de ce moment marquant de l’histoire de France. On trouve, sur le mur extérieur du café, une plaque commémorative, installée par la Ligue des droits de l’homme en 1923 et sur laquelle on peut lire “Ici le 31 juillet 1914 Jean Jaurès fut assassiné”. À l’intérieur, une vitrine renferme les Unes datées du 31 juillet et du 1er août 1914 de L’Humanité. Dernier vestige, une plaque de mosaïque, au sol, où figure la date de l’assassinat.
Taverne du Croissant –Â 146 Rue Montmartre, 75002
Métro : Bourse (ligne 3), Grands Boulevards (lignes 8 et 9)
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Cyrielle Didier