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Le Petit Parisien, 60 ans d’actualités sous la Troisième République

Il a été l’un des journaux les plus populaires de la Troisième République. Le Petit Parisien, indissociable du républicain Jean Dupuy, a traversé plus de soixante années dans une société profondément instable. De l’affaire Dreyfus à l’Occupation nazie, ses positions ont évolué selon l’opinion politique française, une versatilité qui l’a fait chuter au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Naissance d’un journal républicain

L’histoire commence le 15 octobre 1876, lorsqu’un certain Louis Andrieux décide de fonder un quotidien qu’il nomme « Le Petit Parisien ». Dans sa jeunesse, cet avocat républicain avait déjà créé l’hebdomadaire éphémère Le Travail avec plusieurs amis radicaux du Quartier latin de Paris, dont Georges Clemenceau. Il poursuit plusieurs aventures dans la presse avec ce petit groupe, et choisit l’un d’eux, Jules Roche, comme rédacteur en chef de son nouveau journal en 1876.

Photoglyptie de Louis Andrieux, par Ferdinand Mulnier, vers 1880

Dès la première année, le tirage explose, notamment grâce à ses nombreuses pages consacrées aux feuilletons : on compte déjà 10 000 exemplaires en 1877, qui deviendront 1 450 000 en 1914 ! Sans nul doute, Le Petit Parisien s’inscrit comme le plus grand quotidien de la Troisième République, et s’enorgueillit d’ailleurs rapidement du sous-titre « Le plus lu des journaux du monde entier ».

La Vie populaire, 18 mai 1885

Mais revenons-en au commencement. Engagé dans la vie politique, Andrieux souhaite constituer le conseil de direction du Petit Parisien avec quatre sénateurs, tous radicaux et anticléricaux. Mais l’année 1977 marque aussi l’arrivée des républicains au pouvoir : l’avocat est nommé en peu de temps Préfet de police de Paris, et cède alors son quotidien au journaliste Eugène Schnerb, qui le fait lui-même passer à d’autres mains, rendant difficile le maintien d’une ligne éditoriale. Finalement, le journal est repris par ses actionnaires, le député Charles-Ange Laisant et le futur sénateur Jean Dupuy, qui installent leurs bureaux au 18 rue d’Enghien. Avec leur nouvelle société, les deux républicains veulent redorer le blason du Petit Parisien en ajoutant davantage de rubriques sur l’actualité du pays, et en élargissant la vente dans tous les départements français.

Les engagements de Jean Dupuy

Au début des années 1880, le journal va bon train. Sa société lance du même coup une revue littéraire, La Vie populaire, qui publie des romans et des nouvelles d’éminents auteurs tels que Zola, Maupassant ou Daudet. De son côté, Le Petit Parisien continue son engagement républicain, et n’hésite pas à s’attaquer à de grandes figures bonapartistes, telles que le général de Cissey, ce qui lui vaudra un procès. Heureusement, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse encourage d’autant plus la rédaction, qui poursuit ses critiques envers Jules Ferry et contribue à sa chute. Très influent, le journal enregistre de plus en plus d’abonnés et affirme sans vergogne ses engagements républicains.

Portrait de Jean Dupuy, gravure, 1904

Élu sénateur des Hautes-Pyrénées en 1891, Jean Dupuy défend ses idées coûte que coûte dans les colonnes. Et bien entendu, Le Petit Parisien prend part à l’une des plus grandes affaires du siècle : celle concernant l’officier Alfred Dreyfus. Les premiers jours, le journal titre seulement « Un crime de haute trahison », comme la plupart de la presse de l’époque, sans prévoir le bouleversement que cet événement allait provoquer. Puis, dès le procès en 1895, les journalistes commencent à émettre quelques doutes et Jean Dupuy dénonce ouvertement les manipulations politiques qui se jouent : « L’affaire Dreyfus sert de drapeau à des ambitions et des haines politiques », écrit-il en 1899. Fervent militant du droit de grâce d’Alfred Dreyfus, il soutiendra Zola dans son combat contre l’antisémitisme jusqu’à ce que l’officier juif soit définitivement réhabilité.

Le Petit Parisien, 13 janvier 1895. Premiers titres accablant l’officier Dreyfus avant son procès.

Profondément anticlérical, Jean Dupuy est aussi l’un des premiers à lutter pour la séparation de l’Église et de l’État, qui aura finalement lieu en 1905.

Vivre avec son temps

Le 31 décembre 1919, Jean Dupuy disparaît. L’événement a son importance, puisque le président de la République, Raymond Poincaré, assiste aux obsèques, tandis que son ami Clemenceau réagit aussitôt par télégramme. Si Le Petit Parisien perd une plume de taille, il ne cesse pas pour autant de poursuivre sa vocation sous la direction des fils, Pierre et Paul Dupuy. Ce dernier garde la même ligne éditoriale et les mêmes positions – ce qui ne semble pas être le cas de son frère Pierre, dont la proximité avec Mussolini est quelque peu douteuse. En poursuivant cette lancée, le journal affiche clairement sa position sur des faits d’actualité, qu’ils soient polémiques ou non. Ainsi, à une époque où sa réputation n’est plus à faire, celui-ci critique ouvertement le bolchevisme de Lénine. Le journaliste Claude Anet titre ainsi son article : « Bolchévisme et tsarisme, c’est tout un ».

Le Petit Parisien, 25 mai 1920. “En pleine nuit, M. Deschanel tombe de son train en marche”

Plus tard, en 1920, ses colonnes ne manquent pas de se moquer de Paul Deschanel, le nouveau président de la République qui, pris de démence, est sorti pieds nus et en pyjama sur une voie ferrée durant la nuit.

Illustration du service radio Le Petit Parisien

Puis, dès 1921, les nouveaux rédacteurs en chef Léon Touchard et Élie Bois renouvellent le contenu du journal. Des faits-divers parisiens, il s’élargit à de grands reportages photo réalisés à l’étranger, traitant des Jeux olympiques de Berlin, de la guerre d’Espagne ou de l’abdication d’Édouard VIII en Angleterre. Paul Dupuy s’intéresse quant à lui à la radiodiffusion et lance en 1924 le Poste du Petit Parisien depuis l’immeuble du journal. C’est alors la première radio française appartenant à un titre de presse. Bien que l’onde soit peu puissante, elle permet de transmettre un flux important d’information dans toute la France, en faisant l’un des postes privés les plus écoutés de l’avant-guerre.

La chute sous l’Occupation

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le quotidien peine à retrouver la même dynamique. De moins en moins lu, il sort son dernier numéro dirigé par les frères Dupuy le 11 juin 1940, avec pour titre « L’Italie déclare la guerre à la France. On s’y attendait ». Après le décès de Paul, Pierre continue à imprimer quelques exemplaires dans plusieurs villes françaises, refusant de collaborer à Paris. Ce n’est pourtant pas l’avis d’une partie du personnel du journal, qui souhaite rentrer à la capitale et servir la propagande.

Le Petit Parisien, 6 avril 1940

Finalement, le 8 octobre, plusieurs journalistes fascistes participent à sa rédaction : c’est notamment le cas de Drieu La Rochelle, Adrien Marquet et Gilbert Cesbron. Pierre Dupuy cède et revient aussi à la capitale, sans vouloir participer à la vente du journal. En trahissant ses convictions initiales, Le Petit Parisien se déclare alors « pour le Maréchal », comme une grande partie de la presse contemporaine désirant survivre sous l’Occupation. Une position qui fait nécessairement chuter les ventes du journal, et jette le discrédit sur la famille Dupuy. Finalement, Pierre est congédié des locaux en 1941, et part s’installer à Nice, tandis que son journal fait désormais partie de la presse soutenant la propagande nazie.

Les anciens locaux du Petit Parisien, 18 rue d’Enghien

À la fin de la guerre, les historiques locaux de la rue d’Enghien accueillent deux nouveaux journaux : L’Humanité et Le Parisien libéré. De son côté, Le Petit Parisien est définitivement rejeté, et Pierre Dupuy finit inculpé pour collaboration. Une zone d’ombre qui ternit à jamais l’image du journal le plus populaire de la IIIe République.

Romane Fraysse

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