La Tour de Nesle. Elle n’existe plus depuis près de 350 ans, mais continue de faire parler d’elle. Érigée vers 1200 à l’emplacement actuel de l’Institut de France et détruite en 1663, cette tournelle fortifiée servait d’angle aux remparts élevés sous Philippe Auguste et a été, en 1314, le théâtre d’une histoire rocambolesque qui déconcerte encore aujourd’hui. On vous raconte les événements scandaleux qui s’y sont déroulés.
De l’affaire de mÅ“urs…
Nous sommes en 1314 et le roi Philippe IV Le Bel n’a jamais été dans une telle position de force. En 1307, il a fait arrêter tous les Templiers de France et vient d’exécuter leur dernier maître, Jacques de Molay, sur l’ÃŽle de la Cité. Il est désormais le seul maître de son royaume et centralise tous les pouvoirs. Aussi, il est père de trois fils en bonne santé et mariés à des princesses nées dans les meilleures familles du royaume. Ces derniers auront, donc, toute la légitimité à lui succéder quand le temps sera venu.
Louis, l’aîné et premier héritier, a épousé Marguerite en 1305. Ses deux jeunes frères, Philippe et Charles, se sont quant à eux unis à Jeanne et Blanche. Ces femmes de noble ascendance sont parfaites. Elles s’entendent très bien (elles sont toutes de la même famille), sont élégantes, coquettes et particulièrement joviales. Peut-être trop, justement. La cour de Philippe Le Bel est un environnement austère qui n’accepte guère les démonstrations d’humeur et les personnalités volubiles. Rapidement, les rumeurs se répandent. Les belles-filles du roi n’en feraient qu’à leur tête et ne respecteraient pas les règles et usages de la cour. Pire, elles se consoleraient de la retenue de leur mari dans les bras d’autres hommes !
Pour le moment, ce ne sont que des ouï-dire. C’est lors d’une visite à Paris de la fille unique du roi, Isabelle, et de son époux, le roi Edouard II d’Angleterre, que la véritable histoire sera révélée. Les petits plats sont mis dans les grands pour accueillir les souverains d’Angleterre et les banquets se succèdent. Un soir de banquet, Isabelle rencontre deux chevaliers, des frères nommés Gautier et Philippe d’Aunay. Les jeunes hommes portent, à la ceinture, deux magnifiques aumônières richement brodées. Isabelle les reconnait : ces bourses, elle les a offertes à ses belles sÅ“urs quelques mois plus tôt !
La fille de Philippe Le Bel se rappelle alors les rumeurs. Pour elle, la manière dont les chevaliers se sont procurés ces aumônières ne fait aucun doute… Ils ont une aventure avec les épouses de ses frères. Elle en parle immédiatement à son père qui diligente une enquête sur les activités supposées de ses belles-filles. Les chevaliers sont arrêtés et la torture ne tarde pas à faire son oeuvre. Ils avouent. Depuis trois ans, ils ont des relations adultérines avec Marguerite, épouse du futur roi Louis X, et Blanche, mariée au futur roi Charles IV. La légende voudrait que ces ébats se soient déroulés dans les appartements royaux de la Tour de Nesle.
… au scandale d’état
La cour a rapidement vent de l’affaire et s’en empare. Évidemment, on n’hésite pas à s’arranger avec la vérité. Les belles-filles du roi n’ont pas eu qu’un amant, mais des dizaines. Toutes les nuits, voire plusieurs fois par jour, elles avaient un amant différent et des orgies avaient même lieu ! Tout Paris en parle. On se moque, du roi et de ses fils. Comment ont-ils pu ne pas voir ce qui se passait sous leurs yeux ? Rapidement, ce qui n’était qu’une affaire de mÅ“urs prend un tournant politique. Quelle légitimité ont les enfants nés de ces femmes ? Sont-ils vraiment les héritiers de la couronne ou des bâtards nés d’une relation adultérine ? L’honneur et la stabilité du royaume sont en jeu.
Son trône vacille, alors Philippe Le Bel se montre intraitable. Après un procès vite expédié, les trois femmes sont condamnées. Marguerite et Blanche seront tondues et enfermées au donjon de Château-Gaillard en Normandie. Marguerite mourra moins d’un an plus tard, d’épuisement et sans doute de faim, dans sa cellule. Jeanne, seulement accusée d’avoir gardé le secret, est enfermée dans la forteresse de Dourdan, à une cinquantaine de kilomètres de Paris.
La peine des frères Gautier et Philippe d’Aunay sera quant à elle un véritable supplice et rien ne leur sera épargné. Condamnés à être torturés et exécutés en place publique, c’est devant la population qu’ils sont battus, émasculés à vif et ébouillantés par du plomb fondu que l’on déverse sur eux. Il sont ensuite traînés par des chevaux dans les rues de la ville avant d’être décapités. Ce qu’il reste d’eux est pendu à un gibet et exposé jusqu’à pourrissement à la vue de tous. Le peuple a l’habitude de ces pratiques, mais la barbarie de cette peine en choquera, à juste titre, plus d’un.