Paris est un gruyère. Tout au long de son histoire, son sous-sol a été creusé, troué, miné. Il a parfois été rebouché, mais plus souvent laissé en l’état et oublié. Carrières, égouts, galeries d’inspection, bunkers… Parmi ces immenses espaces souterrains forés au fil des siècles, les carrières sont les plus nombreuses : elles ont fourni les matières premières, gypse ou calcaire, à un nombre incommensurable de constructions parisiennes.
Des siècles après la fin de leur exploitation, certaines ont été transformées en ossuaire et sont devenues les catacombes de Paris. D’autres ont accueilli des essaims de champignons et ont donné naissance aux fameux “champignons de Paris”. Et les dernières, enfin, ont été converties en brasseries souterraines. On vous raconte comment le sous-sol de la capitale est devenu un terrain de jeu pour les brasseurs parisiens.
Le XIXe siècle, ère de la bière parisienne
Si les Parisiens consomment depuis longtemps de la cervoise, ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que la bière devient une boisson que l’on apprécie en société. Et pour cause, la bière que l’on déguste à cette époque n’a plus grand chose à voir avec celle que les Parisiens ont consommé pendant des siècles. Le XIXe siècle apporte le savoir-faire des Alsaciens qui émigrent à Paris après la perte de l’Alsace-Moselle par la France, mais aussi de nouvelles techniques et procédés de fermentation.
Grâce au succès de cette fine mousse améliorée, les brasseries se multiplient : dans les quartiers centraux de la capitale pour ceux qui la brassent et la débitent, dans les nouveaux arrondissements extérieurs pour ceux qui se contentent de la fabriquer.
Les brasseries s’installent dans les sous-sols du sud-est parisien
Mais lorsque certaines brasseries – Gallia, Schmidt, Karcher, Demory ou Dumesnil pour les plus importantes – commencent à vraiment prospérer, et donc à vouloir s’agrandir, une question vient à se poser. Comment réduire les coûts de production dans une ville où l’espace manque et les prix des terrains en surface sont élevés ? En intégrant le vaste monde souterrain de la capitale !
Le premier critère à cette installation souterraine est donc économique. Les sous-sols permettent aux brasseurs de maximiser l’espace qu’ils achètent en surface (plusieurs étages pour le prix d’un !), mais aussi de réduire leurs impôts. En effet, à cette époque, les contributions foncières se présentent principalement sous la forme d’une taxe sur les portes et les fenêtres. Or, qui dit sous-sol, dit moins de portes et de fenêtres, et donc moins d’impôt.
Le deuxième critère est, lui, directement lié au processus de fabrication de la bière. En effet, les carrières sont un environnement idéal pour les caves de fermentation et le stockage de la bière. La température y est constamment fraîche et stable, l’humidité naturelle du lieu permet d’atteindre sans difficulté le taux de 45% nécessaire au maltage et l’accès aux sources d’eau souterraines est grandement facilité par leur proximité.
Dans la seconde partie du XIXe siècle, la plupart des brasseries s’installeront donc dans le sud-est de la capitale. Les 13e et 14e arrondissements sont déjà des quartiers à forte présence industrielle et le nombre très importants d’anciennes carrières de calcaire exploitables en font des lieux particulièrement propices à  l’ouverture d’une brasserie.
C’est ainsi qu’en 1880, la brasserie Dumesnil installée rue Dareau dans le 14e arrondissement, décide d’investir les carrières situées sous ses locaux afin d’y stocker les milliers de fûts de bière qu’elle fabrique chaque année. Au fil des ans, les carrières seront aménagées et améliorées faisant des sous-sols de la rue Dareau une véritable usine souterraine.
En 1890, la brasserie La Nouvelle Gallia s’installe rue de Sarrette, à quelques rues seulement de sa concurrente. Elle utilise elle-aussi des carrières en sous-sol pour en faire des caves de fermentation et de stockage. Grâce à cette utilisation souterraine, elle développe rapidement son activité. Au point d’en faire, six ans à peine après son ouverture, la deuxième plus grosse brasserie de Paris. À l’image de La Nouvelle Gallia et de Dumesnil, les brasseries s’épanouiront tout au long du XIXe siècle – à son plus fort, Paris comptera une trentaine de brasseries souterraines – avant de progressivement disparaître au tournant du XXe siècle.
Dans les années 1980, une partie des anciennes installations de ces usines souterraines a été investie par les cataphiles parisiens. C’est notamment le cas d’une ancienne cave de stockage de la brasserie Gallia, surnommée le Cellier par les explorateurs souterrains :
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Cyrielle Didier