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Le jour où un homme vola sous l’Arc de Triomphe

Passage sous l'arc de triomphe de Charles Godefroy, par le journaliste

Nous sommes le jeudi 7 août 1919 et il est 7h du matin. A son rythme, la capitale s’éveille, les ouvriers se mettent en route pour partir au travail, et plusieurs journalistes sont réunis aux abords de l’Arc de Triomphe, sur le qui-vive. Ils ont apporté leur matériel de photographie, de quoi filmer, et ont le regard résolument tourné vers le monument. Mais qu’attendent-ils ? Sur le coup de 7h20, Paris est sur le point de le découvrir.

Soudain, le vrombissement d’un moteur se fait entendre dans les airs, et les flash fusent : un aviateur chevronné et un peu fou vient de voler sous la voûte de l’Arc de Triomphe ! Une prouesse aussi surprenante que risquée…

Une fierté bafouée

Défilé du 14 juillet 1919, photographie par l'Agence Rol, BnF
© BnF – Photographie de l’Agence Rol, défilé du 14 juillet 1919

Pour comprendre cette action pour le moins ahurissante, il faut d’abord connaître l’identité du fameux pilote, celui qui a eu l’ego suffisamment blessé pour grimper dans son avion et accomplir cet exploit digne d’un film d’action ! Il s’appelle Charles Godefroy.

Afin de cerner comment ce jeune homme a été amené à se mettre dans une telle situation, il faut en réalité remonter au défilé du 14 juillet 1919, qui marque la fin de la 1ère Guerre mondiale. La cérémonie prend place sur les Champs Elysées, mais aucun avion ne vole à l’horizon malgré le rôle majeur qu’ont joué les pilotes dans ce conflit. La raison ? Le commandant en chef leur a ordonné de défiler à pied comme le reste des militaires, à terre. Un affront terrible pour les pilotes, qui se considèrent comme les “chevaliers du ciel” !

Jean Navarre, photographie prise par l'Agence Meurisse en 1916, BnF
© BnF – Photographie de l’Agence Meurisse, Jean Navarre dans son appareil de combat, 1916

Dès lors, un groupuscule bien déterminé à ne pas laisser cette humiliation impunie se forme et se réunit lors d’une assemblée secrète chez Fouquet pour discuter d’une action coup de poing. L’idée émerge rapidement, comme une suite logique. L’un d’entre eux va passer sous l’emblématique Arc de Triomphe, à l’endroit même où ils ont été contraints de défiler à pied. Un premier nom émerge alors : celui de Jean Navarre. Il est l’un des As de la grande guerre et excelle dans son domaine, bien qu’il souffre d’un syndrome post traumatique.

Jean est d’ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur, détient une médaille militaire, ainsi que la croix de guerre ! Et il est motivé : malgré les conseils de ses proches, il n’a jamais quitté l’aviation et fait des vols de démonstration, ainsi que de l’acrobatie aérienne. Malheureusement, il se tue le 10 juillet 1919 lors d’une descente en vol plané, à seulement 23 ans. Fauché dans sa jeunesse, il endeuille ses camarades et le projet est reporté.

Changement de cap

Charles Godefroy, photographie prise par l'Agence Rol en 1922, BnF
© BnF – Photographie de l’Agence Rol, portrait de Charles Godefroy, 1922

Reporté, mais certainement pas annulé. Qu’à cela ne tienne, il faut d’autant plus tenter le passage sous l’Arc à présent que l’un des leurs s’est éteint. Mais qui osera se proposer à la place de Jean, et avoir le courage de tenter cette acrobatie hors norme ? Les regards se tournent naturellement vers Charles Godefroy. Lui aussi médaillé de la croix de guerre, l’idée le séduit tout de suite. Il se sent prêt, et commence à étudier sérieusement la question aux côtés d’un bon ami journaliste, Jacques Mortane.

Jacques Mortane, photographie prise par l'Agence Rol en 1926, BnF
© BnF – Photographie de l’Agence Rol, Jacques Philippe Romanet dit Jacques Mortane, 1926

Ensemble, ils effectuent un repérage minutieux des lieux pour comprendre la circulation de l’air sur place, et savoir quelle voie aérienne adopter pour pouvoir réaliser l’exploit. Charles commence ensuite à s’entraîner avec détermination dans un lieu qui dispose de caractéristiques à peu près similaires, sous le pont sur le Petit-Rhône à Miramas. Enfin, Jacques est fin prêt, les préparatifs peuvent se mettre en branle. Ceux-ci auront lieu dans le plus grand secret, la zone étant parfaitement interdite au vol. Mais tout se déroule de manière fluide, et ses amis aviateurs lui souhaitent bonne chance. Tandis qu’il s’apprête à décoller de l’aérodrome de Villacoublay, Jacques, lui, se met en place avec ses confrères au pied de l’Arc.

Le décompte de départ a lieu, puis Charles Godefroy s’envole, prêt à immortaliser à jamais ce jeudi 7 août 1919. De ses 500 heures de vol, c’est sans doute cette heure-ci dont il gardera l’un des plus beaux souvenirs.

La traversée de l’Arc de Triomphe

Passage sous l'arc de triomphe de Charles Godefroy, par le journaliste
© Musée de l’air et de l’espace du Bourget | © Agence Prieur-Branger, photographie prise par Jacques Mortane, le 7 aout 1919

A bord de son biplan Nieuport 11 et dans son uniforme de l’armée, Charles atteint rapidement la Porte Maillot (Paris ouest), puis amorce sa manÅ“uvre en contournant l’Arc de Triomphe. Il survole alors l’Avenue de la Grande-Armée, prend de la vitesse, et commence à descendre peu à peu pour s’engager dans le couloir aérien qui traverse l’Arc. Consécration, il franchi alors la voûte (large de 14,60m et haute de 29 m) en biais et exulte ! Canaille, le pilote décide alors de survoler le tramway à basse altitude, duquel les passagers se jettent au sol, tandis que de nombreux passants prennent la fuite avec effroi.

Charles termine son périple en passant également au-dessus de la place de la Concorde, avant de tout simplement rebrousser chemin pour rentrer à Villacoublay. 60 ans plus tard, il sera imité par Alain Marchand en 1981.

Aujourd’hui, rares sont les pilotes qui oseraient tenter une telle pirouette, mais le geste de Charles Godefroy, porté par ses camarades, reste un instant mémorable pour Paris, ainsi que pour l’ensemble des pilotes.

Crédit image à la Une : © Musée de l’air et de l’espace du Bourget | © Agence Prieur-Branger, photographie prise par Jacques Mortane, le 7 aout 1919

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