Musée, parc ou galerie d’art… quelles que soient les envies et les passions de chacun, il existe toujours un lieu dans Paris qui correspond à nos passions. Entre le musée du Louvre, d’Orsay, du quai Branly ou encore celui de l’Orangerie, s’organiser une visite au musée pour admirer les plus belles peintures ou sculptures est loin d’être la tâche la plus compliquée. Les musées de la Ville de Paris ont d’ailleurs enregistré en 2022 un record historique de fréquentation, avec 4,54 millions de visiteurs. Ajoutons à cela des monuments toujours aussi populaires comme la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe, pour réaliser que la capitale a toujours la cote dès qu’il s’agit d’organiser une sortie culturelle…
Une activité qui ferait scandale de nos jours !
Mais vous êtes-vous déjà demandés à quoi ressemblaient les sorties culturelles il y a deux cent ans, avant que la tour Eiffel et beaucoup de musées n’existent ? Comment se divertir et, surtout, où aller ? Tout au long du XIXe siècle, des millions de touristes et de Parisiens se sont pressés pour visiter un endroit très prisé dans la capitale, qui n’avait rien à voir avec un musée ou un parc d’attractions : la Morgue de Paris. Vous avez bien lu ! Si aujourd’hui l’évocation de ce mot évoque un endroit glauque et lugubre, celui-ci évoquait une véritable attraction. C’est en 1804 que la première morgue de Paris voit le jour sur l’île de la Cité, près du quai du Marché Neuf. Elle est alors ouverte à tous afin de pouvoir reconnaître les corps non identifiés retrouvés dans la Seine ou ailleurs dans la ville. Mais pour de nombreux visiteurs, cet endroit est surtout l’occasion de se divertir comme devant un spectacle.
Une pratique qui ne date pas d’hier
D’où vient cette étrange pratique qui serait bien entendu impossible aujourd’hui ? Du verbe “morguer”, qui désigne en fait le fait de regarder quelqu’un avec hauteur, parfois dédain, mais toujours avec minutie. Dès le XIVe siècle, la prison du Grand Châtelet, qui se trouvait en lieu et place de l’actuelle place du Châtelet, accueille chaque jour des centaines de nouveaux prisonniers, mendiants, malfrats ou meurtriers. Dans les cellules, ils sont examinés avec insistance, sous toutes les coutures, par les geôliers qui écrivent ensuite minutieusement leurs observations sur un registre. L’objectif est de mettre à jour le moindre détail, la moindre marque particulière afin d’identifier le détenu en cas d’évasion ou de récidive. Bien avant l’utilisation de la photo et de la vidéo, les “morguer” est donc le seul moyen efficace de les identifier. Ce terme se transforma à Paris dans cette même prison du Châtelet, où un dépôt de cadavres était entreposé dans la basse-geôle, que les Parisiens pouvaient observer au travers du guichet à des fins d’identification. Chaque jour, une quinzaine de cadavres sont installés dans la pièce que l’on appelle désormais “morgue” et une petite ouverture est creusée au niveau de la chaussée pour permettre au public de les “morguer” à leur tour. Si cela est mis en place pour qu’un passant puisse reconnaître un proche disparu, la plupart des visiteurs sont simplement attirés par le spectacle inhabituel qui s’offre à eux derrière la petite lucarne du Grand Châtelet.
Salle d’exposition, touristes étrangers, guides touristiques… la folie de la Morgue !
En 1868, devant la vétusté de la prison du Grand Châtelet, le préfet Haussmann fait construire une nouvelle morgue sur la pointe de l’Île de la Cité. Le succès est immédiat ! Véritable lieu public d’exposition, ouvert tous les jours et gratuit, la Morgue exhibe à la vue de tous des cadavres étendus sur 12 tables inclinées de marbre noir dans une salle séparée du public par une vitre. Exposés pendant plusieurs jours, les cadavres nus ou légèrement vêtus, rafraîchis par un léger filet d’eau, comblent la curiosité des parisiens dans un décor de théâtre morbide. L’euphorie est telle que la Morgue est également inscrite dans les guides touristiques et devient particulièrement appréciée des visiteurs anglais. Mais pas que ! On trouve aussi des enfants curieux, des ouvriers venus pendant la pause déjeuner, des aristocrates venus entre amis, des vieillards, des femmes du peuple…
La ville de Paris dit stop à cette attraction au début du XXe siècle
Et parmi ces étonnants touristes, on retrouve aussi une étonnante catégorie : les assassins eux-mêmes. Une réalité de la vie de Paris que l’on retrouve parfaitement dans le livre Thérèse Raquin d’Émile Zola : “Le mari de Thérèse était bien mort, mais le meurtrier aurait voulu retrouver son cadavre pour qu’un acte formel fût dressé”. Se rendre tous les jours à la Morgue en espérant y trouver le cadavre exposé était l’assurance que le crime avait bien été commis… À son pic de popularité, la Morgue de Paris accueille plus de 40 000 personnes venant assister au spectacle morbide tous les jours. Toutefois, par mesure d’hygiénisme, notamment moral, la Morgue ferme ses portes au public à la suite d’un décret du Préfet Lépine le 15 mars 1907. Devenue en 1914 Institut médico-légal, elle s’est installée depuis sur les bords de Seine, dans le 12e arrondissement. L’établissement emploie une quarantaine de personnes qui reçoivent en moyenne 3000 corps par an.
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Image à la une : Morgue de Paris © Bibliothèque Nationale de France