Au lendemain de la Révolution française, le XIXe siècle connaît de nombreux chamboulements politiques. Avec le développement de la presse de masse et l’invention de la lithographie, la caricature se fait une joie de commenter les moindres écarts des représentants. Honoré Daumier, Granville, Gustave Doré ou Carle Vernet… de nombreux dessinateurs prennent la plume pour esquisser de petits bonhommes à la grosse tête dans les pages des journaux. Petit tour de ces illustrations cinglantes qui ont connu leur âge d’or durant le siècle, et que notre époque aimerait voir plus souvent dans les éditos.
Napoléon Ier perd ses plumes
En 1804, Napoléon Bonaparte est couronné pour la première fois empereur des Français. A partir de cette date, aucune critique du nouveau dirigeant ne doit couvrir les pages des journaux, sous peine d’être emprisonné, voire condamné à mort. Toutefois, dès sa chute en 1814, les dessins satiriques vont bon train durant quelques mois.
Du fait de sa petite taille, on le représente souvent comme un enfant capricieux et impulsif, doté d’une hargne sans précédent. Cette caricature anonyme le montre sous les traits d’un geai prétentieux, s’inspirant ainsi de la fable Le geai paré des plumes du paon de La Fontaine. Tout autour, les aigles symbolisant les puissances européennes, viennent lui arracher les plumes qu’il leur a volé pour prendre de la hauteur.
Charles X ne fait pas le poids
Il faut tout de même attendre 1824 pour que le nouveau roi Charles X accorde à la presse une liberté d’opinion. Dès lors, les journaux s’empressent de se moquer ouvertement de ce grand maigrelet aux allures de girafe, dont la prétention et la bigoterie n’ont pas d’égal. Les caricatures envahissent les unes, si bien qu’en 1927, le roi décide finalement de rétablir la censure en signant les Ordonnances de Saint-Cloud. Un brutal retour en arrière qui reste en travers de la gorge des français, prêts à lever les armes : c’est la révolution de Juillet.
Cette caricature de Jacques-Philippe Levilly représente le roi, écrasé par le poids de ses lourdes ordonnances, tandis que ses ministres fuient au beau milieu d’un chemin dont les bornes s’écroulent. Tordu en quatre, Charles X, dont on aperçoit le chapelet pendre à un endroit stratégique, s’esclame : « Les gueusards. Ils me laissent tout sur le dos ! ».
La poire de Louis-Philippe
Au lendemain de la révolution de Juillet, Louis-Philippe succède à Charles X en 1830 et se voit contraint d’affirmer que « la censure ne pourra jamais être rétablie ». Mais comme à son habitude, la vague satirique repart de plus belle, et l’autorité s’en irrite. Un certain Charles Philipon se plaît particulièrement à ricaner du roi dans ses quotidiens La Caricature et Le Charivari, le représentant sous les traits d’un maçon effaçant les inscriptions de juillet. Considérée comme injurieuse, cette lithographie mène Philippon à être condamné à six mois de prison.
Lors de l’audience, le caricaturiste cherche alors à prouver que son maçon ne s’apparente pas au roi, en montrant par quatre croquis que la tête du roi ressemble à une poire. Avec son habituel sarcasme, il poursuit : « Le premier ressemble à Louis-Philippe, le dernier ressemble au premier, et cependant ce dernier…, c’est une poire ! Où vous arrêteriez-vous, si vous suiviez le principe qu’on veut vous faire admettre ? Condamneriez-vous le premier ? Mais il vous faudrait condamner le dernier, car il lui ressemble, et, par conséquent, il ressemble au Roi ! Alors vous condamneriez un homme à deux ans de prison, parce qu’il aurait fait une poire qui ressemble au Roi ! ». Le jour du jugement, Charles Philipon décide alors de publier une version revisitée de ses quatre croquis par le fameux Honoré Daumier. A la une du Charivari, cette publication lui permet ainsi de payer l’amende dont son quotidien a lui aussi été frappé.
Entre les serres de Napoléon III
Sous le Second Empire, la censure revient au galop : il faut désormais l’accord de la personne concernée avant de publier un dessin satirique. Bien entendu, toutes les caricatures de Napoléon III sont absentes des journaux, et réapparaissent comme par magie lors de sa chute en 1870.
Cette caricature de Paul Hadol date de cette tardive période d’accalmie. C’est la première du célèbre pamphlet satirique La Ménagerie impériale, dans lequel les représentants du Second Empire sont assimilés à de vils animaux. Napoléon III est alors esquissé sous les traits d’un vautour impitoyable tenant entre ses serres une France éviscérée. En légende, Hadol lui attribue deux vices : « Lâcheté – Férocité ». Après la défaite de Sedan, l’empereur est en effet jugé responsable de la guerre meurtrière par bon nombre de ses opposants. Ayant été contraint de remettre son épée au roi de Prusse Guillaume Ier, il est alors souvent incarné par la figure du lâche.
Le vilain petit Adolphe Thiers
Avec la proclamation de la IIIe République, la presse a désormais champ libre, donnant naissance à l’âge d’or de la caricature. Après le tumulte de la Commune, le premier président Adolphe Thiers reste associé à une figure autoritaire et répressive. Les nombreuses condamnations à mort, au bagne ou à la déportation des Communards ont terni sa réputation. Double d’Eugène de Rastignac, Thiers est désormais jugé comme un être cruel et arriviste, et son physique disgracieux n’arrangent rien à l’affaire. Le président devient alors la cible d’un bon nombre de caricaturistes de l’époque.
Parmi eux, Charles de Frondat le représente comme un petit être vilain et rabougri, trônant sur la colonne Vendôme qui fut détruite sous la Commune. Ancien allié de Louis-Philippe, Thiers est ici représenté avec la fameuse tête en forme de poire inventée par Philipon, qui a durablement marqué la presse satirique. Il apparaît ainsi comme un homme compromis et opportuniste, qui manque cruellement d’audace intellectuelle.
Romane Fraysse
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