Être maire d’une ville est une fonction loin d’être facile, tant les enjeux sont nombreux tout au long de son mandat, et ce peu importe le nombre d’habitants ou la taille de la commune. Imaginez alors la charge de travail qui vous attend lorsque vous êtes maire d’une ville comme Paris ! Au sein d’une ville de plus de 2 millions d’habitants, véritable centre économique, politique et institutionnel, où les projets ne cessent de fleurir… la fonction a beau être prestigieuse, elle n’en est pas moins pleine d’épreuves. Et cela est vrai dès la nomination du premier maire de Paris, en 1789. Le lendemain de la prise de la Bastille, Jean Sylvain Bailly est en effet nommé maire de Paris, soit le premier d’une longue liste qui dure encore aujourd’hui…
L’incroyable ascension d’un Afro-Américain au XIXe siècle
Dans son histoire, la mairie de Paris a connu des élus plus que renommés, de Jules Ferry à Jacques Chirac, en passant par Bertrand Delanoë ou Jean Tiberi. Première femme maire de Paris, Anne Hidalgo occupe la fonction depuis 2014. Mais saviez-vous qu’un homme de couleur noir avait déjà été élu à ce même poste ? Né en novembre 1836 à La Havane (Cuba) dans une famille de “mulâtres libres” d’origine cubaine, c’est à l’âge de 10 ans que Severiano de Heredia, cousin direct du poète José Maria de Heredia, arrive en France. Après de brillantes études à Louis-le-Grand où il reçoit le grand prix d’honneur du lycée, il obtient sa naturalisation en 1870. Entre-temps rentier, il a aussi entamé une carrière de poète et de critique littéraire, avec un certain dilettantisme, et investi ses revenus dans l’immobilier. Toujours plus ambitieux après avoir obtenu la nationalité française, de Heredia se déclare républicain et partisan de “la décentralisation départementale et communale, de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et de l’instruction universelle.” En avril 1873, il est élu au Conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes. Seul “homme de couleur” au Conseil, la consécration arrive en 1879, après six ans de mandat : il devient à 42 ans président du Conseil municipal de Paris. Soit l’équivalent du maire de Paris aujourd’hui.
Ambitieux et avant-gardiste sur de nombreux sujets
Une fonction prestigieuse et plus que symbolique pour Severiano de Heredia… qui sera toutefois de courte durée puisqu’il ne le restera que six mois, comme c’était l’usage à l’époque dans un système de rotation sophistiqué. Pas de quoi mettre fin à son ambition, puisqu’il est élu député du XVIIe arrondissement de Paris en août 1881 et nommé ministre des Travaux publics quelques mois en 1887. Parmi ses combats, il fait voter la loi des réseaux métropolitains et se prononce pour la réduction du temps de travail des enfants de moins de 12 ans à 10 heures par jour. Également défenseur d’un salaire féminin égal à celui des hommes et de la mise en place des bibliothèques municipales, Severiano de Heredia est aussi reconnu un “écologiste avant l’heure”, comme en témoigne son intérêt pour les premières voitures électriques. Mais ce dernier est aussi vu comme un homme plein de contraste : écœuré par l’exposition universelle de 1889 et ses zoos humains et blessé par les insultes racistes qu’il reçoit fréquemment (“Député chocolat”, “Nègre de la République”, “Nègre négrier fils d’une esclave et d’un bourgeois juif allemand”…), il n’en reste pas moins favorable à la colonisation. Retiré de la scène politique à la fin du XIXe siècle, il décède en 1901 à son domicile de la rue de Courcelles et repose aujourd’hui au cimetière des Batignolles.
Injustement oublié pendant plus de 100 ans
Pourtant, malgré ce statut de président du Conseil municipal, il faut attendre plus de 110 ans pour que le souvenir de Severiano de Heredia refasse surface. Le 5 octobre 2015, la maire de Paris Anne Hidalgo officialise en effet une rue au nom de Severiano de Heredia dans le XVIIe arrondissement. L’occasion pour de nombreux Parisiens de mieux connaître l’histoire de cet Afro-Cubain ayant joué un rôle politique majeur dans Paris. “Le premier maire noir de Paris puis ministre de la République française a été renié et relégué pendant longtemps parmi les oubliés de l’histoire. Nous sommes là pour sortir de cet oubli coupable”, avait d’ailleurs reconnu Anne Hidalgo lors de l’inauguration de la rue Severiano de Heredia. Cité par un certain Barack Obama lors de son discours d’investiture, Severiano de Heredia est à l’honneur en septembre 2021 de la bande dessinée Severiano de Heredia – Élu de la République, dessinée par Isabelle Dethan et scénarisée par Antoine Ozanam.
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Image à la une : Hôtel de Ville de Paris © Mistervlad / Adobe stock