fbpx

Des artistes de Montmartre ont fait passer ce tableau peint par un âne pour une toile de maître !

"Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique" par Boronali (l'âne Lolo) en 1910 © Domaine public
Par AxelleC

Signée Joachim-Raphaël Boronali, cette oeuvre a provoqué un véritable scandale dans le monde de l’art au tournant du XXe siècle. Il s’agit surtout du plus grand canular de l’histoire de Paris, orchestré par des artistes de Montmartre… et leur âne ! On vous raconte cette anecdote insolite totalement farfelue.

https://f.info.pariszigzag.com/f/p?q=n4l6TIJ-xaXwmPcVukeg0JIv3j35jY1Hp2d9b9w0MxToUZjbYmkjQJFGucEje1zlUsrplyzy9fTMEuGtw5Uuk4Po

Une mystérieuse toile de maître

Tout commence au Salon des Indépendants de 1910, où les critiques, visiteurs et journalistes se questionnent devant une curieuse toile signée par un peintre inconnu. Intitulé Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, elle serait attribué à un jeune italien dénommé Joachim-Raphaël Boronali et originaire de Gênes. Mais alors que certains s’enthousiasment devant la modernité de cette toile quasiment abstraite, fascinés par ce ciel flamboyant et ses miroitements dans l’eau, d’autres au contraire y voient une « croûte » parmi d’autres, ne relevant d’aucun talent… Finalement, le tableau trouve son acquéreur : un collectionneur qui l’emporte pour 400 francs !

Un article du “Petit Comtois” faisant référence au Salon des Indépendants

Le tableau peint par un âne

En réalité, le Boronali en question se trouve être un animal, un âne précisément. Et oui, ce canular a été manœuvré par l’écrivain Roland Dorgelès, qui était alors peu ouvert aux audaces de la peinture moderne et souhaitait s’en moquer ! En effet, le 8 mars 1910, lorsqu’il passe faire un tour au légendaire cabaret du Lapin agile à Montmartre, il demande à son tenancier (le fameux « père Frédé ») de lui prêter son âne Lolo durant une petite heure. Une fois le marché conclu, Dorgelès s’installe avec la bête dans la cour et s’entoure d’un huissier de justice pour témoigner, ainsi que de ses amis le critique d’art Jean Aubry, la chanteuse Coccinelle, le caricaturiste Charles Genty, le peintre Pierre Girieud, le compositeur Georges Auric et l’écrivain André Warmod. Il place alors Lolo devant une grande toile vierge sur une chaise en bois et des pots de peinture au sol, et lui accroche un pinceau recouvert de peinture au bout de la queue… A chaque fois que la bête reçoit une carotte ou des feuilles de tabac, elle agite si frénétiquement la queue qu’elle recouvre la toile de nombreuses traces colorées ! Une trentaine de minutes plus tard, l’œuvre est achevée, ce qui ravit le petit groupe de plaisantins.

Lolo en train de peindre la toile dans la cour du Lapin agile, entouré de Dorgelès et ses amis

Un canular contre la modernité

Pour la blague, Dorgelès pense alors au nom « Boronali », qui se trouve être un anagramme d’Aliboron, en référence à l’absurde âne de Buridan qui finit par se laisser mourir, faute de ne pas savoir choisir entre la paille et l’eau. On peut aussi y voir un clin d’œil à la fable Les voleurs et l’âne de Jean de la Fontaine, dans laquelle Aliboron est un maître idiot qui se croit habile en tout – une subtile satire qui semble tout droit viser les avant-gardes de son temps. Reçu par le directeur du journal L’Illustration, il explique son acte par la volonté de « montrer aux niais, aux incapables et aux vaniteux qui encombrent une grande partie du Salon des indépendants que l’œuvre d’un âne, brossée à grands coups de queue, n’est pas déplacée parmi leurs œuvres » ! Une critique acerbe qui vise autant les fauves et les futuristes, que les critiques jugés ignares. L’écrivain maintiendra toute sa vie une position réactionnaire vis-à-vis de l’art moderne, défendant coûte que coûte un retour au classicisme… Le tableau de l’âne figure de nos jours dans les collections permanentes de l’Espace culturel Paul Bédu et y côtoie des toile de Marie Laurencin, Jean Cocteau ou Niki de Saint Phalle !

Portrait de Roland Dorgelès, 1924

Crédit photo de une : “Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique” par Boronali (l’âne Lolo) en 1910 © Domaine public

À lire également : Partez à la recherche d’une toile disparue il y a près d’un siècle avec cette visite-enqûete à Montmartre !

A. C.