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Valentine Schlegel, un vent de liberté

Disparue en mai 2021, l’artiste sétoise Valentine Schlegel est remise en lumière depuis quelques récentes années pour son œuvre très personnelle. Céramiste et sculptrice, sensible aux petites choses du quotidien, elle est notamment connue pour ses éblouissantes cheminées en plâtre qui trônent dans l’intimité de certains appartements.

L’art hétéroclite de Schlegel : faire corps dans l’espace continu

Il est bien difficile de présenter en quelques phrases la pratique de Valentine Schlegel, tant elle fut protéiforme et inclassable, manifeste d’une forte personnalité en recherche d’un lieu à soi. Née « sur la plage » en 1925, elle passe son enfance éblouie par les scintillements de la mer sétoise, où voguent les pêcheurs cernés par l’appétit vorace des goélands. Fille d’artisans, Schlegel s’initie très vite à la restauration de meubles dans l’atelier de son père, où s’illuminent en pensée les outils qui se chevauchent sur les établis en bois. Plus tard, lors d’une parenthèse chez les scouts, elle se forme aux techniques du feu, puis à celles de la peinture sur les bancs de l’école des beaux-arts de Montpellier.

Valentine Schlegel. Cueillette d’asphodèles, 1960

Peu à peu, la jeune femme développe une fascination pour les objets domestiques et commence à en créer. Couverts en bois, draps brodés ou ceintures en cuir… tous passent par les mains sensibles de l’artiste, cherchant à se prolonger dans ses « sculptures à vivre ». En ramassant plusieurs coquillages, galets ou aloès, elle s’en inspire pour donner à ses créations une courbure énergique, une épaisseur corporelle. Il y a chez Schlegel une vibration organiciste, par laquelle chaque objet a la nécessité d’être pris dans un tout symbolique.

Entre Paris et Sète, des amitiés sans voile

Dans cet espace continu, il n’est pas étonnant qu’elle se soit lancée, dès 1947, dans la confection d’accessoires, de costumes et de décors de théâtre. Avec son beau-frère Jean Vilar, elle travaille au festival d’Avignon en véritable touche-à-tout : créatrice, mais aussi régisseuse ou souffleuse, elle conçoit même de petits santons qu’elle offre aux comédiens.

Agnès Varda, Valentine Schlegel avec un couteau de sa collection et un vase, 1955

C’est à cette époque qu’elle monte à Paris pour s’installer avec son amie Frédérique Bourguet dans un petit atelier au cœur de Montparnasse. Cette dernière la forme alors à la céramique et la sculpture, tandis que Schlegel donne quelques coups de main à sa voisine Agnès Varda, qu’elle a rencontrée à l’école sétoise. Peu à peu, l’artiste fait de son atelier un lieu d’expérimentation, où tout son savoir-faire artisanal s’exprime avec les contraintes de l’espace. Elle réalise alors de nombreux vases aux formes tubulaires, dans lesquels elle se plaît à créer des compositions florales. Plus loin, elle suspend au mur une collection de couteaux en tout genre et commence à concevoir quelques aménagements en plâtre.

Puis, de temps à autre, elle revient vers sa cité natale pour retrouver son ami Charles Biascamano, le dernier pêcheur à la traîne de Sète. Fascinée par sa douceur de vivre, vibrante et sincère, l’artiste l’accompagne dans ses traversées quotidiennes, l’aide à construire des cabanes, recoudre des filets, pêcher puis cuisiner les victuailles des courants marins. Une vie libre, à rebours des agitations de la capitale, qui dévoile aussi la nécessité, pour Schlegel, de vivre l’amitié de plein fouet, se nourrissant insatiablement de ses rencontres passionnées.

Les cheminées-paysages, une oeuvre manifeste

En la sachant sensible à la poésie des espaces, des amis l’invitent à choisir l’emplacement de l’un de ses vases dans leur appartement. Une nouvelle fois, une continuité se joue entre l’œuvre et son lieu de vie.  Entre les quatre murs, Schlegel cherche dans tous les recoins, puis s’arrête devant une cheminée. La suite, l’artiste la raconte ainsi : « Ma première cheminée fut construite pour poser mon vase à fleurs. Au fond, une cheminée, c’est le même problème qu’un vase à fleurs. Un vase à fleurs est construit autour du vide, une cheminée est construite autour du creux. Une fois que vous avez enlevé son habillage traditionnel, vous vous trouvez devant un voilier noir, devant un creux, et autour de ce creux, j’ai essayé d’étirer les murs et j’en ai fait des étagères pour poser mes vases ou d’autres objets, j’en ai fait des coffres à bois et des bancs. »

À partir de ce moment, Schlegel conçoit une centaine de cheminées aux formes courbes et généreuses, inspirées des voiles des bateaux qu’elle admirait étant jeune. Leur blancheur éblouissante rappelle, quant à elle, les miroitements de la mer. Dans le prolongement du mur, chaque cheminée s’exprime à sa façon, créant du mouvement comme les drapés d’un linge soudainement détendu. Elles ont une douceur apaisante, une liberté singulière. Elles semblent avoir été taillées là, à même la pierre, dans l’harmonie de la pièce. Et entre leurs lignes se dessinent quelques bouquets, des livres et deux ou trois vases.

Une cheminée conçue par Valentine Schlegel

Manifeste personnel, à contre-courant des tendances, ses cheminées incarnent à elles seules une poésie du quotidien qui fascinera Schlegel toute sa vie. Et cette obsession, aussi, de rendre le tout cohérent en étirant les murs. C’est ainsi qu’elles deviennent des « sculptures à vivre », lieux de rêverie que le feu colore de sa rougeur flamboyante. La souplesse du plâtre inspire une profonde tendresse. Elles sont là, immobiles, dans la pierre des murs. Elles sont cet espace continu où tous les symboles se rejoignent. Elles sont cet amour pour un lieu sensible et harmonieux, dans lequel le cœur vibre en cadence.

Romane Fraysse

À lire également : Le quartier de Montparnasse au début du XXe siècle

 

Photo de Une : Valentine Schlegel, rue Daguerre, prise par Agnès Varda, 1955
© Succession Varda

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