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Le fantasmatique bestiaire de Dalí

Salvador Dalí, La Tentation de saint Antoine, 1946
Par Romane Fraysse

Fétiche érotique, substitut psychique, anthropomorphisme assumé, … l’animal peuple les œuvres de Dalí pour jouer son double. Ramené à des créatures hybrides et mythologiques, ce drôle de bestiaire nourrit les fantasmes de l’artiste surréaliste, hanté par les images traumatiques de son enfance.

Le rhinocéros de Vincennes

Dalí dans l’enclos du rhinocéros, au zoo de Vincennes, 1955

Dans l’univers métaphysique de Dalí, le rhinocéros avait une corne presque divine. Sa courbure était selon le peintre la seule forme parfaite de la nature. Cette idée lui est curieusement venue un jour où il tentait de reproduire La Dentellière de Johannes Vermeer, chef-d’œuvre flamand qui l’a fasciné dès l’âge de neuf ans. Ainsi, en mai 1955, Dalí décide de concilier ses deux obsessions. Au zoo de Vincennes, le peintre installe alors un chevalet et se sert d’une brouette comme assise, le tout à l’intérieur même de l’enclos d’un rhinocéros. Face à l’animal trône fièrement une grande reproduction de l’œuvre de Vermeer que celui-ci est sensé transpercer de sa mystique corne. Mais il n’en fera rien. Dalí souhaite alors le mimer en posant un quignon de pain au-dessus de sa tête. Dans ce drôle d’accoutrement, il s’adonne à la réalisation de ce qu’il appelle « L’étude paranoïaque-critique de la dentellière », une toile représentant l’ouvrière flamande entièrement fragmentée par l’assaut d’un rhinocéros. Enfin, il finira lui-même par transpercer la reproduction de Vermeer à l’aide d’une immense lance.

L’Enfer des fourmis

Dalí, La persistance de la mémoire, avec une montre recouverte de fourmis, 1931

Pour Dalí, les fourmis représentent des créatures féroces et invincibles, dévorant tout sur leur passage. Cette obsession provient d’un épisode traumatisant de son enfance : la découverte d’une chauve-souris agonisante, entièrement recouverte par une colonie de fourmis. Une vision cauchemardesque qui le fascine tout en le répulsant, associant la froideur de l’insecte à l’idée de putréfaction. Cette pensée est illustrée dans plusieurs de ses peintures et sculptures, ainsi que dans le film Un Chien andalou où une main est peuplée de fourmis grouillantes.

L’érotisme du homard

Dalí, Le Téléphone-Homard, 1936

Ce crustacé aphrodisiaque est associé de près à la sexualité chez Dalí, se risquant à établir un parallèle avec le sexe féminin : « Comme les homards, les jeunes filles ont l’intérieur exquis. Comme les homards, leur carapace (de pudeur) est architecturale. Comme les homards, elles rougissent quand on veut les rendre comestibles ». Avec son célèbre Téléphone-Homard, l’artiste associe ainsi le crustacé au désir érotique par sa forme phallique, sa couleur rouge sang et sa succulence. Sans compter le contraste entre la chair comestible et les pinces douloureuse qui n’est pas sans déplaire à l’esprit contradictoire de Dalí.

La papauté des éléphants

Dalí, Les éléphants, 1948

Les éléphants peuplent souvent les toiles de Dalí en troupeaux. Leur corps lourd et imposant est juché sur de longues pattes arachnéennes. Sur leur dos, un obélisque trône avec fierté, mimant secrètement le monument égyptien situé sur la place de la Minerve, à Rome. Ainsi, ses œuvres confèrent aux éléphants une allure puissante et autoritaire. Le peintre voit également dans leurs grandes oreilles en spirale un lien étroit avec le religieux : « L’oreille est le symbole depuis le Moyen Âge, de l’harmonie, de la concorde et de la paix pastorale. »

Le contraste de l’escargot

Dalí, L’escargot et l’ange, 1984

Toujours fasciné par la perfection des formes naturelles, Dalí retrouve dans les courbes de l’escargot une supériorité apparente, à laquelle s’ajoute l’union rare entre le mou de la chair et le dur de la coquille. Un contraste qui symbolise sa profonde vulnérabilité, celle contre laquelle il doit bâtir une solide carapace. Cette étrangeté, il l’associe en pensée au visage de son père spirituel Sigmund Freud, après avoir aperçu un escargot sur une bicyclette en se rendant à la maison du célèbre psychanalyste. Le gastéropode réunit donc en lui-même la lutte intérieure qui animera toute sa vie le peintre.

Romane Fraysse

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