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Le Paris réinventé de la Nouvelle Vague

Par Romane Fraysse

Truffaut, Varda, Godard, Rohmer, Rivette… Adeptes de la politique des auteurs, ces électrons libres du cinéma français sont pourtant rassemblés dès 1957 sous le patronyme de la Nouvelle Vague. Si Truffaut définissait leur seul trait commun par la « pratique du billard électrique », ces auteurs ont aussi participé à faire de Paris le lieu du cinéma expérimental, où l’on peut marcher sur le toit du Châtelet et courir dans les galeries du Louvre.

Paris instantané : portrait du parisien dans la ville

« Un éclair… puis la nuit ! ». Au siècle précédent, dans les rues de Paris, Baudelaire défendait l’union du fugitif et de l’éternel, qu’il tenait pour le propre de la modernité. Capturer l’atmosphère d’une rue ou l’expression d’un passant pour saisir le caractère immuable d’une ville, c’est ce qu’a voulu faire la Nouvelle Vague dans la capitale mouvementée. Bien loin des récits poétiques et idéalisés de leurs prédécesseurs, les auteurs de ce cinéma d’un nouveau genre comptaient bien déshabiller Paris de ses artifices. Ainsi, ils sont six à concevoir Paris vu par…, un film à sketchs élaborant plusieurs scènes de vie dans la métropole. A ce jeu-là, Rohmer est maître pour déconstruire l’emblématique Arc de Triomphe, lieu de pèlerinage touristique devenu le no man’s land des Parisiens, lassés de son agitation et peu sensibles à son charme.

Tournage du film Baisers volés de François Truffaut, 1968

Caractériel, le Parisien quitte sa baguette et son béret pour se montrer tel qu’il est : empêtré de manies bourgeoises, mais aussi enfant du Paris populaire, au parler bien à lui. Dans l’Opéra-Mouffe de Varda, les titis sont filmés à leurs dépens, dans la rue Mouffetard, à travers l’œil documentariste de la cinéaste. Le visage marqué, la démarche boiteuse, le manteau froissé, ils sont pris sur le vif afin d’esquisser les traits d’un type social. De son côté, Truffaut préfère suivre le titi parisien à travers Les Quatre Cents Coups d’Antoine Doinel, enfant débrouillard qui erre dans la ville et y vieillit, nous présentant dans sa trajectoire nombre de personnages atypiques, travaillant dans les bistrots, les boutiques et les hôtels qui innervent Paris.

Paris intimiste : une « pensée en marche »

Si Paris s’est débarrassé de ses décors de carte postale, c’est pour se rendre d’autant plus vivant, nourri de souvenirs éparses, d’oisivetés rêveuses, de rendez-vous galants. Une géographie sentimentale, esquissée par Godard dans les douze tableaux durant lesquels une certaine Nana va Vivre sa vie. Chaque chapitre de ce long-métrage est construit à travers des lieux parisiens sans nom et sans adresse – « un bistrot », « le magasin de disques », « le boulevard extérieur » – comme s’ils nous étaient autant familiers qu’à Nana. On ne retrouve l’agitation des rues qu’à travers les vitres de ces coins intimes, aperçue du dedans, reflétée du dehors. Le cadrage et les plans rapprochés empêchent, quant à eux, de situer précisément les scènes. Ainsi, peu à peu, les contours de la ville esquissent le portrait de cette jeune femme, qui vit et qui pense, à travers ses déambulations.

Vivre sa vie, Jean-Luc Godard, 1962

Tout comme les riverains du Montparnasse que Varda suit avec sa caméra dans Les glaneurs et la glaneuse, ou encore les personnages rohmériens qui flânent lors des Rendez-vous de Paris, une continuité d’espace se crée, d’une rue à l’autre, découvrant la ville à travers la marche. Paris n’est plus un escargot sur lequel s’enroulent une vingtaine d’arrondissements, il devient labyrinthique, fragmentaire, énigmatique. Dans Paris nous appartient, Rivette en fait presque un jeu de piste en ne filmant que des coins de rue, des bouts de quai, des morceaux de terrasses, reliés par le trajet des piétons, des bus et des voitures.

L’âme de Paris : entre hier et demain

C’est dans ce Paris déconstruit que resurgissent soudain des bribes d’un passé chargé d’histoire. Dans Paris vu par…, Jean Douchet surplombe Saint-Germain-des-Prés en citant, par-ci par-là, ce qui fait la pensée de ce quartier mythique : la coupole de l’Institut de France, le café de Flore hanté par Sartre, un portrait sculpté d’Apollinaire par Picasso, l’ancien atelier de Delacroix, ou encore la dernière adresse de Racine… Tant de lieux symboliques qui font pénétrer le visiteur dans l’âme poétique de Paris. Elle le rend rêveur, inspiré, attentif, à la manière des amants des Rendez-vous de Paris qui voient dans la statue de la Fontaine Médicis le reflet même de leur trio sentimental.

Alphaville, Jean-Luc Godard, 1965

Mais loin d’être figé dans les souvenirs, Paris n’en finit jamais de se métamorphoser : les tours de la Défense font face aux boulevards d’Haussmann et aux remparts médiévaux. Cette ville nouvelle qui se construit peu à peu sur les ruines du passé a inspiré Alphaville à Godard, une cité futuriste et déshumanisée, entièrement régie par l’esprit logique d’un ordinateur. En cela, le Paris moderne lui permet de dénoncer les dérives du capitalisme et de résister contre l’élaboration d’une Capitale de la douleur qui perdrait peu à peu son âme.

Romane Fraysse

Crédit photo de Une : Paris nous Appartient, Jacques Rivette, 1961