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L'histoire du centre Pompidou, un ovni dans la capitale

centre pompidou
Par Romane Fraysse

Le 18 décembre 2021, nous apprenions la mort de Richard Rogers, l’un des trois architectes ayant le projet fou de construire en plein cœur de Paris un bâtiment aussi excentrique que le centre Pompidou. Inauguré en 1977, ce temple des arts moderne et contemporain est aujourd’hui le troisième musée le plus visité de la capitale. Retour sur la riche histoire de ce musée unique à Paris.

Le centre de la création

Dans les années 1930, avec la propagation de la tuberculose, plusieurs quartiers de Paris se sont adaptés aux nouvelles normes hygiénistes en rasant des îlots d’immeubles jugés insalubres. Un immense terrain se dégage alors en plein cœur du 4e arrondissement : on le nomme le « plateau Beaubourg ». Jusque dans les années 1970, il demeure un immense parking pour les riverains.

Puis, étant le seul emplacement central capable d’accueillir un musée d’art moderne et une grande bibliothèque publique, le président Georges Pompidou décide d’y installer un véritable « centre de création » où se mêleraient les arts plastiques, la musique, le cinéma et les sciences humaines. Ainsi, « la bibliothèque attirerait des milliers de lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts ».

Maquette du centre Pompidou, façade ouest

Le 19 mars 1971, parmi 681 propositions, c’est le projet des architectes italiens Renzo Piano, Richard Rogers, et Gianfranco Franchini qui est retenu : il respecte bien le dessein initial de réunir différents arts dans un lieu de vie parisien. Ouvert sur la ville, le nouvel édifice dévoile bien l’envie des architectes de « démolir l’image d’un bâtiment culturel qui fait peur ». Pour accentuer cette impression, ils décident de créer une grande place publique qui occupe la moitié de l’espace prévu pour la construction.

Une architecture révolutionnaire

Pour instaurer un lieu en perpétuelle invention, les trois créateurs imaginent une architecture vivante, conçue comme un empilement de grands plateaux libres aux cloisonnements amovibles. Pour ce faire, le squelette du bâtiment doit rester à l’extérieur : escaliers, tuyaux, poteaux, poutres… Tous les organes sont dénudés, la circulation est exhibée et la paroi reste entièrement vitrée. Créatif et malléable, le centre devient alors un espace expansif et transparent, en connexion avec les circuits de la ville.

Ainsi, de 1971 à 1977, l’ossature se constitue peu à peu comme un immense terrain de jeu : par ici, on empile un puzzle de tuyaux bleus pour la climatisation, verts pour l’eau et jaunes pour l’électricité. De l’autre côté, un vaste structure en acier se forme avec ses 84 poutres de 45 mètres de long et ses 28 poteaux de 49 mètres de haut. Un ensemble lourd et sans appui intermédiaire, qui n’a pu être réalisé qu’à l’aide de gerberettes, un système de jonction inventé par l’ingénieur Peter Rice.

Chantier du centre Pompidou en 1976

Enfin, sur la façade est suspendue la « chenille », un immense escalier mécanique recouvert d’une carapace rouge et transparente. Encore une fois, le code couleur révèle le projet de créer une architecture organique, où les visiteurs irriguent les veines de l’immense centre culturel.

Un ovni dans la ville

Architecture transparente et éclatée, couleurs exubérantes et composants industriels… Une chose est sûre, le centre Pompidou ne fait pas dans la dentelle pour réinventer le paysage parisien de l’époque. Les passants s’arrêtent devant l’immense chantier, éberlués par ce qu’ils sont en train de voir. « C’est moche ! », « c’est cher ! », peut-on entendre sur la place. Surnommé « Pompidoleum », « le Monstre » ou « le Hangar de l’art », le centre fait parler de lui, opposant les fervents admirateurs de musées aux défenseurs de lieux expérimentaux.

Ainsi, René Barjavel – pourtant adepte de science-fiction – titre l’un de ses articles : « Centre Beaubourg : Dieu que c’est laid ». Le célèbre romancier ne se remet pas de voir apparaître partout sur la façade des tuyaux multicolores : « Quoi qu’on en fasse et qu’on y montre, le Musée Pompidou, à l’intérieur et à l’extérieur, est avant tout le musée des tuyaux ». Il s’étonne aussi de ne pas voir partir les « échafaudages » métalliques, avant de comprendre qu’il s’agit du monument lui-même.

Le centre Pompidou, au cœur de Paris

D’autres, comme Jean Baudrillard, y voient au contraire le monument de la modernité : « L’architecture extérieure […] proclame ouvertement que notre temps ne sera plus jamais celui de la durée, que notre seule temporalité est celle du cycle accéléré et du recyclage, celle du circuit et du transport des fluides… Ceci, Beaubourg veut le cacher mais Beaubourg Carcasse le proclame » (L’effet Beaubourg).

Pour réagir à cette querelle sans fin, Renzo Piano prend la parole une vingtaine d’années plus tard. L’architecte compare alors son édifice à une usine, « le seul type de construction dépourvu de complaisance où l’on fait ce qui est nécessaire à l’état brut ». Et l’objectif semble réussi, aux vues des nombreuses expositions inventives qui côtoient les cycles de conférence, les projections d’art et essai et les salles de lecture. Véritable ovni architectural, le centre Pompidou reste en effet de nos jours un lieu de vie culturel et de brassage social inédit en France.

Romane Fraysse

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