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Avec une exposition dédiée au sport, le musée Marmottan se met à l’œuvre pour les Jeux Olympiques

Thomas Eakins, The Biglin Brothers Racing, 1872 - © Washington, National Gallery of Art

Les Jeux Olympiques et Paralympiques débutent dans quelques mois, et cela n’a pas échappé aux musées parisiens. Les expositions autour du sport se multiplient dans les institutions en cette année 2024, comme c’est le cas au musée Marmottan-Monet, qui explore jusqu’au 1er septembre le lien entre les artistes et le sport des années 1870 aux années 1930. Avec un parcours qui s’intéresse majoritairement au contexte social et à la démocratisation de ces activités physiques, celui-ci fait hélas l’impasse sur ce que l’on vient chercher dans une exposition : son approche esthétique.

Un loisir moderne

L’exposition s’ouvre sur le XIXe siècle et ses goûts pour le sport, en premier lieu en Angleterre. Des disciplines principalement aristocratiques et bourgeoises séduisent progressivement les sociétés du continent européen en quête de loisirs, notamment l’équitation, les régates et l’aviron. Ces nouvelles pratiques intriguent alors les peintres, graveurs et sculpteurs qui s’intéressent de près aux mutations de la « vie moderne », avec un regard nouveau porté sur le corps et les lieux de pratique.

Edgar Degas, Course de gentlemen, Avant le départ, 1862 - © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean
Edgar Degas, Course de gentlemen, Avant le départ, 1862 – © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean

Dans les premières salles, on observe une célèbre Course de gentlemen peinte par Edgar Degas, ainsi qu’un vaste tableau sur les frères Biglin en pleine compétition d’aviron réalisé par Thomas Eakins. Bien qu’intéressantes, les œuvres ne sont toutefois pas accompagnées de cartels qui les contextualisent et questionnent la modernité de leur représentation. L’exposition évoque la difficulté des artistes d’avant-garde à faire accepter leurs œuvres, et leur pratique personnelle du sport. Mais on vague d’une œuvre à une autre en ayant l’impression de contempler des images documentant les pratiques de l’époque, sans jamais avoir de réelle approche esthétique.

Une démocratisation du sport

Au tournant du XXe siècle, le sport se démocratise : on constate que les pratiques élitaires, comme l’équitation ou le tennis, coexistent avec les plus populaires, comme les jeux de ballon ou le cyclisme. André Lhote représente des joueurs de rugby dans une composition cubiste, dont les formes géométriques et les couleurs chamarrées des tenues créent un sentiment de cohésion. De son côté, Paul Signac a esquissé plusieurs scènes du vélodrome Buffallo, s’intéressant tout autant à l’énergie des sportifs et du public qu’au nouvel établissement aux formes circulaires. Gymnases, hippodromes ou rings offrent ainsi de nouveaux décors : là encore, la réflexion sur les lieux de sport aurait mérité d’être davantage explorée dans la pratique artistique.

Paul Signac, Vélodrome Buffallo1899 - © Droits réservés
Paul Signac, Vélodrome Buffallo
1899 – © Droits réservés

Cette « démocratisation » est aussi abordée à travers la question du genre. On ne s’étonne pas d’observer que la plupart des œuvres illustrent des sportifs masculins : sans grande surprise, le sport est rarement consacré aux femmes. Il en va de même chez les artistes majoritairement masculins. Ainsi, une section de l’exposition s’intéresse à la figure féminine, à la fois en tant que « spectatrice » et « sportive ». La femme, réputée comme étant le « sexe faible » par la société du XIXe siècle, est mise à l’écart d’un sport viriliste.

Maurice Denis, Nausicaa, jeu de balle, 1913 - © Musée national du Sport
Maurice Denis, Nausicaa, jeu de balle, 1913 – © Musée national du Sport

Si certaines œuvres représentent parfois des sportives dans des poses érotiques, d’autres les montrent en plein effort physique : c’est notamment le cas de La Femme au podoscaphe de Gustave Courbet, également intitulée « L’Amphitrite moderne» par raillerie des nus féminins mythologiques très en vogue sous le Second Empire. Mais celle-ci se remarque moins pour sa composition que pour la marginalité de son sujet – encore une fois, le sport et son contexte social sont célébrés au détriment d’une analyse picturale.

Le corps mis en spectacle

La mise en valeur du sport entraîne aussi un intérêt particulier pour le corps. Des photographes comme Paul Richer s’intéressent notamment à la physiologie de certains grands athlètes et cherchent à saisir des particularités à travers le cliché de leur corps nu. De leur côté, Etienne-Jules Marey et Georges Demenÿ développent des chronophotographies autour des mouvements des sportifs en pleine action. Des peintres s’inspirent ainsi de leurs clichés décomposant le geste, s’intéressant aux mécaniques des corps confrontés à l’effort. À travers ce culte, le physique parfaitement dessiné, aux muscles saillants, est un idéal esthétique qui revêt une dimension spectaculaire.

Camille Bombois, Les Lutteurs, vers 1928-1930 - © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian © ADAGP, Paris 2024
Camille Bombois, Les Lutteurs, vers 1928-1930 – © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian © ADAGP, Paris 2024

Une dernière salle installée à l’étage inférieur présente d’ailleurs cette « spectacularisation » de l’exercice sportif. Si le parcours traite ici de sa « représentation », c’est encore dans un contexte social : on trouve rassemblés des photographies, des périodiques, des affiches, ainsi qu’un reportage télévisé autour des compétitions de l’époque. Une fois de plus, l’exposition a à cœur de montrer à quel point ces médias ont permis de démocratiser le sport et d’en faire un événement national.

Robert Delaunay, Les Coureurs, vers 1924-1926 - © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image Staatsgalerie Stuttgart
Robert Delaunay, Les Coureurs, vers 1924-1926 – © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image Staatsgalerie Stuttgart

Si elle porte un regard critique sur les discriminations liées de près à ces pratiques – sexistes, mais aussi racistes – elle semble en revanche faire l’impasse sur les inégalités sociales que celles-ci peuvent engendrer – sports restés élitaires, chantiers pharaoniques, hygiénisme, etc. – comme cela se constate avec l’arrivée des Jeux Olympiques à Paris. Un événement sportif que l’on peut aussi tenir responsable d’un appauvrissement culturel, au regard de la multiplication des expositions peu inspirantes consacrées au sport en cette année 2024.

Romane Fraysse

En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930)
Musée Marmottan-Monet
2 rue Louis Boilly, 75016 Paris
Jusqu’au 1er septembre 2024

À lire également : Constantin Brancusi, itinéraire d’un artiste total au centre Pompidou

Image à la une : Thomas Eakins, The Biglin Brothers Racing, 1872 – © Washington, National Gallery of Art

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