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Au musée Albert Kahn, un voyage photographique dans l’Amérique du Sud de 1909

Santa Teresa, palais du Catete au fond à gauche, Pão de Açúcar (Pain de Sucre) à droite. Rio de Janeiro, Brésil, septembre 1909. Autochrome, 9 x 12 cm, inv. A69810. © Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.
Par Romane Fraysse

C’est au tout début du XXe siècle que le banquier et philanthrope Albert Kahn décide d’embarquer pour un voyage en Amérique du Sud, accompagné d’un photographe. Dans une nouvelle exposition présentée jusqu’au 19 novembre 2023, le musée Albert Kahn suit ce périple peu documenté vers Rio et Buenos Aires en 1909 à travers un corpus de photographies d’époque exposé de manière inédite.

Qui était Albert Kahn ?

Avant de visiter cette exposition, il est utile de savoir qu’Albert Kahn, dont on associe le nom aux nombreuses photographies réalisées à travers le monde, n’est nullement photographe. Ce banquier né dans une famille de commerçants juifs décide de se lancer dans la création d’un projet philanthropique à la fin des années 1880 : documenter son époque. Soucieux des questions politiques et sociales, il milite pour le rapprochement entre les peuples et se convainc qu’une meilleure connaissance de l’autre permettra de progresser positivement.

Albert Kahn au balcon de sa banque, Paris, 1914 (G. Chevalier, négatif sur verre, I135X) © Musée Albert-Kahn/CD92
Albert Kahn au balcon de sa banque, Paris, 1914 – © Musée Albert-Kahn/CD92

Dans cette visée, il réalise de nombreux voyages avec un photographe, les documente en décidant des prises de vue, puis crée différentes fondations afin de présenter ses travaux, dont les Archives de la Planète. En 1932, il explique : « Nos fondations, conçues, ébauchées ou réalisées depuis 1897, ont eu en conséquence pour objet d’enregistrer [l’activité universelle] en vue d’en dégager l’esprit et delà, grâce à la Documentation ainsi constituée, de guider les Aspirations de l’Homme ».

Caminho del Monte. Funchal, île de Madère, Portugal, septembre-octobre 1909
Caminho del Monte. Funchal, île de Madère, Portugal, septembre-octobre 1909 © Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.

Néanmoins, le krach de Wall Street ruine Albert Kahn, qui cesse son activité. Ce n’est qu’en 1936 que le Département de la Seine acquiert sa propriété avec ses collections d’images, qui deviendra un musée dès les années 1980. Celui-ci présente désormais la collection de photographie du banquier dans ses collections permanentes, et nous invite à poursuivre notre visite sensorielle dans le splendide jardin de près de 4 hectares regroupant un jardin japonais, un jardin à l’anglaise, un verger et une roseraie.

Un voyage mystérieux

Cette nouvelle exposition suit le voyage d’affaires d’Albert Kahn au Brésil et en Argentine, en 1909. Il en ramène 600 plaques monochromes noir et blanc, et 61 autochromes, jusqu’ici restées dans les boîtes de la fondation sans être étudiées. En effet, bien que cet ensemble ait été acheté par le Département de la Seine, il n’était pas indexé dans les Archives de la planète et n’était accompagné d’aucune trace écrite.

© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.
Femmes et enfants sur l’entrepont. À bord du König Friedrich August, océan Atlantique, août 1909© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.

Il a donc fallu faire un vrai travail de recherches pour comprendre quel a été ce voyage en Amérique du Sud. On sait qu’Albert Kahn est parti durant deux mois en Amérique du Sud en 1909, afin de visiter l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil, certainement avec le photographe professionnel Auguste Léon, qui prend des plaques stéréoscopiques noir et blanc.

© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.
Buenos Aires, 1909 – © Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine

D’un point de vue historique, ce corpus est intéressant, car il présente les premières images en couleurs du Brésil. En revanche, on ne connait pas l’auteur de la photographie, mais on sait que les prises de vue étaient décidées par Albert Kahn. Autre nouveauté dans la collection, il s’agit du premier témoignage conservé de l’utilisation du procédé autochrome hors de France. Pour le reste, l’exposition tente de retracer une histoire, et nous mène ainsi dans une enquête guidée par les documents photographiques et quelques récits audio contés dans des pièces isolées.

Une exploration de la ville moderne

Dans cette longue exploration, on suit la chronologie du voyage et débute à bord du paquebot König Friedrich August, où l’on découvre de premiers portraits d’émigrants venus d’Europe de l’Est pour travailler en Argentine. Il ne faut pas oublier qu’Albert Kahn est banquier : bien qu’il soit philanthrope, son déplacement reflète ses intérêts financiers, concernant notamment ses investissements dans les nouvelles constructions de chemins de fer.

© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.
Avenida Central (actuelle Avenida Rio Branco). Rio de Janeiro, Brésil, septembre 1909 – © Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine

À cette époque, les jeunes capitales Buenos Aires et Rio de Janeiro se métamorphosent et s’inspirent de l’architecture de la Ville Lumière pour devenir un « Paris tropical ». Les avenues grandioses et les nouveaux centres d’affaires habités par les classes aisées sont ainsi capturés à travers de splendides images en couleur. En parallèle, on découvre aussi les travailleurs s’adonnant à leurs métiers dans les rues de la ville. Ce corpus est donc intéressant pour sa modernité, par le biais de la couleur, mais aussi pour l’illustration de ces nouvelles constructions urbaines qui cherchent à s’occidentaliser, comme le théâtre municipal de Rio ou les avenues paulistes.

Albert Kahn fantomatique

Une escale est dévoilée à Recife, avant de se diriger vers Lisbonne, où l’on découvre le port de Belém, les arènes ou la gare. Si l’on a longtemps cru que cette destination fut la dernière d’Albert Kahn, avant de rentrer à Boulogne en train, une image réalisée depuis le bateau nous montre qu’il est en réalité passé par les côtes hispaniques de Vigo pour rentrer. Le port d’arrivée reste toutefois inconnu.

© Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.
Cour de la Torre Malakoff, Recife, Brésil, 1909 – © Musée départemental Albert-Kahn, Département des Hauts-de-Seine.

Ainsi, si ce voyage reste encore plein de mystère, les images colorées du tout début du XXe siècle sont splendides : on s’étonne de voir cette société ancienne, en pleine mutation, à travers certains portraits et architectures qui marquent l’esprit. Albert Kahn demeure quant à lui étrangement absent des photographies, qu’il ne prenait pourtant pas. Tel un fantôme, on ne peut apercevoir que sa silhouette floue, sur une image, sans parvenir toutefois à être certain de son identité. En effet, il existe en réalité de rares portraits du banquier : l’homme, très complexé, préférait rester discret, et avait surtout pour projet de saisir les nouveaux enjeux de la société du début du siècle, comme un reportage qui marquera son temps.

Rio – Buenos Aires 1909. Modernités sud-américaines
Musée Albert Kahn
10-14 rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt
Du 27 juin au 19 novembre 2023

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