Le Musée d’Art Moderne de Paris déploie une exposition sophistiquée faisant la rétrospective d’un peintre complexe du milieu du XXe siècle, Nicolas de Staël. Son esprit sensible saisit le réel de façon brute et sa technique peu conventionnelle séduit et déroute ses contemporains. L’exposition revient sur cette personnalité hors du commun qui continue de fasciner.
Une référence de la peinture française d’après-guerre
La rétrospective rassemble près de 200 tableaux, dessins, gravures et carnets et dévoile certaines Å“uvres pour la première fois au grand public, provenant de collections publiques et privées de France et des Etats-Unis. L’exposition suit un ordre chronologique précis pour rendre compte de l’évolution artistique du peintre, dont la carrière s’étale sur seulement une douzaine d’années : ses premiers jets figuratifs des années 40 se composent de nuances obscures qui font écho à la guerre, ses Å“uvres lumineuses des années 50 puisent dans l’atmosphère du sud de la France, ses créations crépusculaires en fin de vie ravivent la dépression qui l’habite…
Voyageur dans l’âme
Rebelle, Nicolas de Staël est un aventurier qui ressent le besoin irrépressible d’explorer le monde qui l’entoure : il voyage au Maroc, en Espagne, en Italie, parcoure la France du nord au sud, s’émerveille de Paris, découvre la Normandie, se fascine pour la Provence. C’est dans cette agitation permanente qu’il trouve l’inspiration, que le tout et le rien deviennent des sujets : immensité de la mer, affrontements sportifs déchaînés, Nicolas de Staël transperce le quotidien de son regard incisif et peint des paysages, des natures mortes, des portraits… Le peintre varie les techniques, les outils et les formats pour donner naissance à une palette artistique dense et éclectique. Il obtient la nationalité française en 1948 et se téléporte aux Etats-Unis en 1953 où sa peinture est célébrée, mais le peintre préfère retourner en Europe effrayé par l’aspect monumental de l’Amérique.
Une personnalité névrosée
Il faut dire que le peintre fait office d’anti-héros de la peinture contemporaine : né dans une famille russe fortunée qui se désagrège après la révolution bolchevique, le peintre est confronté très tôt aux maux et aux tragédies : la guerre, le deuil, la dépression, la solitude, rien ne l’épargne. Ce parcours lancinant crée chez lui un mal-être récurrent qui devient indissociable de sa perception de l’art, pour lequel il s’efforce continuellement de trouver sa voie. Nicolas de Staël demeure stoïque aux tendances et aux débats, ne s’affuble d’aucun courant qui définirait à mal son art qu’il cerne lui-même avec difficulté.
Rencontres artistiques
Certains grands noms de la peinture ravivent son être et créent chez lui un électrochoc artistique, comme George Braque qui le guide vers une peinture poétique et colorée, peintre que Staël considère comme le meilleur de son temps. Peu de temps après cette rencontre, il s’installe rue Gauguet dans le 14e arrondissement de Paris, près de l’atelier de Braque. D’autres contemporains comme René Char exacerbe sa création artistique, avec qui il façonne un recueil de poésie illustré de gravures sur bois. Etoile montante de la peinture contemporaine, Staël se lie avec Jacques Dubourg, son marchand officiel qui étend sa célébrité aux Etats-Unis. La photographe Denise Colomb est l’une des dernières personnes qu’il rencontre et elle le photographie dans son atelier en 1954, donnant naissance aux portraits les plus célèbres de Staël.
Une vie ponctuée par les femmes
Il est vrai que la gent féminine a toujours eu une place prépondérante dans sa vie : c’est sa mère, qui vient d’une riche famille russe passionnée par les arts qui l’éveille à la peinture. Elle l’encourage à dessiner et à peindre, créant chez le jeune Staël un goût pour la création qui ne le quittera jamais. En 1937, il rencontre Jeannine Guillou au Maroc, une peintre pour laquelle il s’éprend éperdument et avec qui il a une fille avant sa mort prématurée en 1946. Peu de temps après, Staël se marie avec Françoise Chapouton, qui lui donne trois enfants mais qui ne parvient pas à raviver l’éclat que le peintre partageait avec Jeannine. Au crépuscule de sa vie, il rencontre Jeanne Polgue, son dernier coup de foudre avec qui il entretient une liaison sans qu’elle ne ressente de sentiments réciproques. Epuisé, Nicolas de Staël met fin à ses jours en 1955 dans sa demeure à Antibes, laissant derrière lui une vie intense et passionnée.
Infos pratiques : du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024, Musée d’Art Moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson 75116 Paris. Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h (nocturne le jeudi jusqu’à 21 h 30 et ouverture jusqu’à 20 h le samedi). Tarifs : 15 € (plein), 13 € (réduit), gratuit pour les moins de 18 ans.
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Couverture : Nicolas de Staël, Ciel de Vaucluse (1953) © Jean Louis Losi / ADAGP Paris 2018
Julien Mazzerbo