Promenez-vous dans l’étroite rue Quincampoix et contemplez ses longs immeubles en pierres. En vous avançant peu à peu jusqu’au n° 29, vous vous surprendrez à voir à travers les fenêtres des locataires parfaitement immobiles. Vous avez été dupé ! En réalité, il s’agit là d’une œuvre de Fabio Rieti, considéré comme le pionnier des fresques murales en trompe-l’œil dans l’architecture moderne. Et en restant attentif, on comprend vite que ses images ne se font pas rares au cœur de la Ville-Lumière…
La ville au rythme des couleurs
L’histoire de Fabio Rieti se partage entre trois nations : l’Italie où il est né en 1925, les États-Unis, devenus sa terre d’exil durant la guerre et enfin la France, son pays d’adoption. C’est au cours d’un voyage dans sa région natale qu’il s’initie à la céramique et à la mosaïque, enrichissant son exploration déjà avancée de la peinture.
Installé à Paris, il commence alors comme coloriste en décor mural dans les cités de certaines communes limitrophes, telles que Bobigny ou Chanteloup. Sur un chantier à Nanterre orchestré par son gendre, l’architecte Emile Aillaud, Rieti orne les longues tours de motifs aériens, mêlant la blancheur des nuages à la pureté du ciel bleu. Recouvertes par une mosaïque de pâte de verre, les mornes façades s’illuminent soudain par des tonalités pastels. Afin de rompre avec la monotonie des HLM, Fabio Rieti dote ainsi chaque bâtiment d’une personnalité intime, qui lui assure une existence à part entière.
En composant avec la couleur, l’artiste cherche peu à peu à capter le regard des passants à travers des fresques murales monumentales. Il désire redonner une voix à la ville, devenue anonyme dans la froideur des centres d’affaires et des habitations uniformes. Ainsi, ses murs peints détiennent un rôle social : celui de créer une rupture tout en s’harmonisant avec le paysage urbain.
Une vie parisienne en trompe-l’œilÂ
Véritable « fabriquant d’images » au sein de la ville, Fabio Rieti réfléchit à de nouvelles manières de fondre ses fresques entre les murs de la capitale sans pour autant perdre leur langage. En s’inspirant des réflexions menées sur la perspective durant la Renaissance, l’artiste développe peu à peu sur les façades une pratique de l’anamorphose permettant de feindre une réalité spatiale. Et entre les fenêtres fictives enrichies de moulures et de corniches, des moments de vie se passent.
Ainsi, au deuxième étage d’un immeuble de l’avenue Delcassé (75008), la sculpture d’une déesse antique est contemplée par un homme depuis son balcon. Au 78 quai de la Jemmapes (75010), un gondolier passe devant la longue façade dotée d’une arcade longiligne. Au 23 rue Fressart (75019), un chat dort sur le rebord d’une fenêtre, tandis que les vitres reflètent un coin de ciel bleu à travers des feuillages. Sans oublier le superbe Jardin suspendu de l’impasse Genouville (Levallois-Perret), où les vitres ornées de sculptures laissent entrevoir une végétation luxuriante.
Tout cela est bien entendu faux. Mais qu’importe ! Ces trompe-l’œil, plus ou moins illusionnistes, servent à colorer la ville d’une multiplicité de petites histoires au creux de ses murs.
Dans l’intimité des murs
Parmi les personnages qui ponctuent les fresques de Fabio Rieti, certains visages deviennent peu à peu familiers. On peut par exemple se donner rendez-vous devant Les Fenêtres imaginaires de la rue Quincampoix (75004), sa première et plus célèbre fresque en trompe-l’œil qui recouvre une tour d’aération du centre Pompidou. L’artiste y a représenté huit fenêtres à travers lesquelles on entrevoit des rideaux, des enfants en train de jouer, mais aussi un violoniste jouant un air à une jeune femme. Au premier étage, droite et silencieuse, cette silhouette féminine n’est autre que celle de sa fille Leonor.
Un portrait que l’on retrouve également, non loin de là , dans la très autobiographique fresque qui recouvre un immense mur au 17 rue Etienne Marcel (75001). À l’intérieur d’une grande arcade, Rieti représente en contrebas un concerto de Glenn Gould et Yehudi Menuhin, deux musiciens italiens rendant hommage à son père compositeur. Sur un long escalier, un homme avec une valise – que l’on devine être l’artiste lui-même – gravit les marches menant jusqu’au ciel, où sa petite fille lui tend les bras. Cette marche symbolique représente l’histoire migratoire de sa famille et la transmission culturelle qui s’est faite d’une génération à l’autre.
En plein cœur de Paris, ses fresques colorent ainsi les murs de récits personnels qui transforment la ville en un lieu de rencontres où se murmurent des souvenirs.
Romane Fraysse
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Photo de Une : Fabio Rieti, Les Fenêtres imaginaires, 1976