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Anna de Noailles, l’exaltation romantique de la Belle Époque

Nous connaissons Hugo, Musset et Lamartine ; Anna de Noailles fut sans conteste leur héritière. Poétesse et romancière, admirée par Marcel Proust, elle a marqué son époque par son œuvre lyrique, ses salons littéraires et ses nombreuses chroniques engagées dans la presse parisienne.

Au cœur du cercle littéraire parisien

Paris sera le compagnon le plus fidèle d’Anna de Noailles, qui y est né, y a vécu et  y est morte. Dans ses dernières années, la poétesse entame son mémoire en clamant son vif attachement pour ce berceau si intime : « Je suis née à Paris. Ces quelques mots m’ont, dès l’enfance, conféré un si solide contentement, ils m’ont à tel point construite, j’ai puisé en eux la notion d’une chance si particulière et qui présiderait à toute ma vie, que je pourrais répéter ce vers de Verlaine : L’amour de la patrie est le premier amour… ».

Anna Bassaraba, appartenant à une grande famille de la noblesse roumaine, voit le jour en 1876 dans un appartement du 22 boulevard de La Tour-Maubourg. Sous l’autorité de ses précepteurs, elle fait l’apprentissage de plusieurs langues, s’initie à la musique et à la poésie. Autour d’elle, une coterie d’artistes et d’intellectuels éveille sa sensibilité dès le plus jeune âge, lui assignant une place privilégiée au sein de l’aristocratie cultivée. Lors de l’Exposition universelle de 1889, elle est d’ailleurs l’une des seules à gravir la toute nouvelle Dame de Fer aux côtés de Gustave Eiffel.

Anna de Noailles (2ème rang à droite) dans la villa Bassabara en 1899, accompagnée de plusieurs invités dont Marcel Proust (3ème à gauche, dernier rang).

Emue par la verve romantique de Hugo, Vigny ou Musset, la jeune femme s’essaye très tôt à l’écriture. Mariée à 19 ans au comte de Noailles, elle entretient une liaison platonique avec Maurice Barrès, qui n’en sera pas moins orageuse aux vues de leurs nombreux désaccords politiques. C’est en 1901 que paraît son premier recueil, Le cœur innombrable, un véritable triomphe comme en témoigne François Mauriac : « Cette jeune femme illustre prêta sa voix à toute une jeunesse tourmentée. Sa poésie fut le cri de notre adolescence ». Rapidement, la presse parisienne la sollicite pour tenir des chroniques hebdomadaires et de jeunes auteurs en herbe, tels que Jean Cocteau, lui demandent conseil.

Bien qu’installée au 40 rue Scheffer, Noailles reçoit de ses parents un hôtel particulier de l’avenue Hoche dans lequel elle ouvre son salon littéraire. Toute l’élite intellectuelle s’y croise alors, à l’instar de son grand ami Marcel Proust, Edmond Rostand, Francis Jammes, Paul Claudel, Colette, André Gide, Paul Valéry ou Pierre Loti. Toujours élégamment vêtue, l’air désabusée, elle est connue pour son esprit véhément et son éloquence quelque peu vigoureuse. Dans ses mémoires, François Mauriac ironise sur « le vacarme de son monologue qui tue autour d’elle toute conversation. Elle porte son feu d’artifice à domicile. Toujours le même : après deux ans, je reconnais les fusées ».

La verve d’une âme romantique

Conquise par le lyrisme passionné des romantiques, sensible à la mélancolie noire des décadents, Noailles s’exalte dans une œuvre personnelle et cohérente, au style quelque peu ampoulé. Bien que parisienne de cœur, ses séjours réguliers dans la villa familiale d’Amphion lui paraissent comme un exil au cœur d’une campagne inspirante. Eveillée à la beauté des paysages, la poétesse nourrira son œuvre d’une ode constante à la nature, fortement inspirée par les épanchements de Lamartine. Le paysage-état d’âme s’entrevoit dans ses vers où l’immensité du ciel azuré et des coteaux reflète l’intensité de son esprit en recherche d’absolu.

Jacques-Émile Blanche, La comtesse Anna de Noailles, 1914-1919

Comme toute romantique, sa philosophie de l’amour occupe une place primordiale au sein de son Å“uvre. Dans ses premiers recueils, cette science des sentiments paraît assez naïve et désincarnée, mise à distance par un recours constant à la mythologie grecque. Ses écrits tardifs, comme Les Forces éternelles, paraissent plus vifs et percutants à travers une voix personnelle. Noailles évoque alors son ardeur de vivre et son amertume face à la fugacité des relations. L’amour est ainsi constamment associé à la mort, autre thématique omniprésente dans l’œuvre de la poétesse. À la disparition de sa mère et de Barrès, elle compose d’ailleurs L’Honneur de souffrir, l’un de ses derniers recueils consacré à son obsession pour le sommeil éternel.

Une idéaliste convaincue

Véritable passionnée, Noailles s’engage sans détour dans les débats sociaux et politiques de son époque. À l’encontre du nationalisme ambiant de son milieu, elle est parmi les dreyfusards de la première heure, provoquant quelques échanges houleux avec son ami Maurice Barrès. Elle fréquente aussi le cercle des socialistes avec Jean Jaurès et Léon Blum, et se proclame ouvertement républicaine aux côtés de Georges Clemenceau.

En 1904, alors que Léon Frapié reçoit le prix Goncourt aux dépens de la favorite Myriam Harry, Noailles juge l’initiative misogyne.  Elle s’associe alors avec ses collaboratrices de la revue La Vie Heureuse pour créer le prix « Vie Heureuse », récompensant la meilleure œuvre française écrite en prose et en poésie. Décerné par un jury entièrement féminin, il deviendra en 1922 le prix Femina que l’on connaît encore.

Anna de Noailles allongée sur son lit, 1916

Mais cet engagement fait-il de Noailles une féministe ? La réponse n’est pas si évidente lorsque l’on se familiarise avec certaines de ses chroniques publiées dans Vogue et rassemblées dans le recueil Passions et Vanités. Certes, l’époque est autre. La poétesse écrit alors dans un contexte où le féminisme cherche sa voie et s’écarte des préoccupations actuelles. Néanmoins, on s’étonne de lire un long blâme uniquement adressé aux « femmes garçonnières » qui abdiqueraient, selon Noailles, leur pouvoir par le simple fait de couper leur chevelure. Plus étonnant encore sa critique acerbe du discours des femmes, dont la nature les empêcherait de mener la moindre réflexion, défendant par-là une vision ouvertement essentialiste qui donne raison aux théories du sexe faible. Cette position se retrouve aussi dans ses influences artistiques, en rupture avec les innovations contemporaines, telles que le vers libre ou les ready-made de Dada que Noailles déteste.

On peut toutefois reconnaître à la poétesse une vraie cohérence dans l’ensemble de ses écrits, marquant par cela la force de son esprit indépendant. Son œuvre personnelle et son engagement assumé lui ont d’ailleurs valu d’être la première femme commandeur de la Légion d’honneur et la première reçue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

Romane Fraysse

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