Illuminatis, Skull and Bones, Franc-maçonnerie… Nombreuses sont les sociétés et organisations secrètes sur lesquelles le mystère plane encore, même de nos jours. Parmi elles, on retrouve parfois mention de l’ordre de La Rose-Croix, une curieuse fraternité dont l’histoire mêle personnages mythiques et étranges controverses !
La Rose-Croix ?
L’énigmatique organisation qu’est la Rose-Croix fait pour la première fois parler d’elle en Allemagne, au début du 17e siècle. Le pays se trouve alors à l’aube de la guerre de Trente ans et traverse une phase de fortes tensions politiques et religieuses. C’est dans cette atmosphère d’incertitude que paraît en 1614 le Fama Fraternitatis, à l’imprimerie de Whilhelm Wessel, à Cassel. L’ouvrage, premier manifeste de la Rose-Croix, n’est signé que par des initiales…
Outre un long texte qui témoigne d’une défiance et d’un refus des réformes évoquées à l’époque, le manifeste fait aussi le récit de la naissance de la Rose-Croix, une organisation philosophique et ésotérique liée au christianisme. A son origine se trouverait un certain C.R.C, qui sera plus tard identifié comme étant Christian Rozenkreutz, ou Christian Rose-Croix. Il s’agit d’un personnage obscur dont on ignore s’il a réellement existé ou s’il s’agit de l’invention de Johann Valentin Andreae, l’un des probables auteurs du manifeste.
Les enseignements de la Rose-Croix se concentrent sur des concepts tels que l’alchimie spirituelle, la transformation personnelle et la réalisation de l’unité entre l’homme et le divin. Le rosicrucisme est connu pour son symbolisme complexe, qui inclut notamment la croix et la rose, représentant le divin et l’amour universel. Il influence de nombreux courants ésotériques et philosophiques au fil des siècles, et en raison de son ancienneté, quelques historiens de l’occulte le considèrent comme étant l’une des possible influence de la franc-maçonnerie. Cependant, aucune confirmation concrète n’existe, il ne s’agit que de spéculations en raisons de valeurs communes. En revanche, certains francs-maçons étaient bien des rosicruciens avérés.
René Descartes, fervent rosicrucien ?
L’idée peut faire sourire, mais dans les faits, cette curieuse histoire aurait pu coûter cher à la réputation du philosophe ! En réalité, tout est parti d’une étincelle de curiosité de la part d’un jeune Descartes.
De 1618 à 1622, celui-ci réside en effet en Allemagne et en Hollande, à la période à laquelle la Rose-Croix commence à séduire de nombreuses personnalités et chymistes. De par ses propres intérêts, ce n’était donc qu’une question de temps avant que la rumeur des prodiges de l’Ordre de la Rose-Croix ne remonte jusqu’à ses oreilles.
Descartes n’est pas convaincu, mais cela ne l’empêche pas de se pencher sérieusement sur la question, comme il en a l’habitude. Pendant l’hiver 1619, il se livre donc à une étude minutieuse des quelques textes existants (Fama Fraternatis, Confession Fraternatis et surtout Noces Chymiques, texte déterminant dans les croyances ésotériques de la Rose-Croix).
Il en vient à une conclusion : bien que la philosophie en lien à l’ordre de la Rose-Croix soit intéressante, elle n’en reste pas moins trop hermétique à son sens. Le jeune homme déplore aussi le fait que les textes fondateurs soient si fermés au reste des sciences, qui lui sont déjà chères, et qu’il perçoit comme intimement liées les unes aux autres. Il pense donc fermer le chapitre de la Rose-Croix ; ils resteront dans son esprit des imposteurs, au mieux des visionnaires, mais il n’a pas loisir de s’y attarder d’avantage. Comme Leibniz, il aura sans doute considéré qu’il s’agissait de l’invention d’un érudit.
Cependant, l’intérêt de Descartes est bien loin d’être passé inaperçu, tant et si bien que l’on commence à faire courir des bruits à son sujet. Non content d’avoir poursuivi des recherches assidues au sujet de ses mystérieux frères allemands, il les aurait désormais rejoints ! Une nouvelle aussi surprenante que fâcheuse, car elle coïncide avec un autre évènement qui va considérablement repropulser l’intérêt pour le courant rosicrucien.
L’affaire des placards de Paris
En effet, tandis que l’intérêt pour la Rose-Croix s’amenuise en Allemagne en 1622, en 1623 l’organisation va soudainement refaire parler d’elle, cette fois-ci sur le territoire français.
Cette fois, le manifeste est décliné sous la forme d’affiches, qui invitent les intéressés par l’organisation à rejoindre ses rangs pour en connaître les plus grands secrets, et se voir apporter un éveil spirituel. Une seconde affiche est découverte peu de temps après, et renouvelle l’invitation tout en décourageant les curieux qui seraient portés par les mauvaises intentions.
Mais alors, quel lien avec Descartes ? Eh bien, il se trouve qu’à cette période, le philosophe se trouve justement… en France. En société, ceux au courant de l’affaire ne tardent pas à tourner le regard en sa direction, et les théories vont bon train : pourrait-il être l’auteur de ces affiches, ou encore, lui sont-elles destinées ? Les rose-croix étant alors qualifiés “d’invisibles“, Descartes veillera à se faire voir de tout Paris pour dissiper ces rumeurs qui commencent à devenir encombrantes pour lui.
Finalement, l’affaire est peu à peu oubliée, et de nos jours, on pense que la piste la plus probable est celle d’un étudiant en médecine un peu trop taquin. Cependant, Descartes gardera un souvenir vif de cette brève mésaventure, allant jusqu’à mentionner implicitement l’ordre dans un ouvrage non-publié, le Polybii Cosmopolitani Thesaurus mathematicus (1619) : “totius orbis eruditis et specialiter celeberrimis in G F.R.C denuo oblatus” (“aux savants du monde entier et particulièrement F(rères) R.C très célèbres en G(ermanie)”). Certains y voient la preuve de son adhésion, mais l’hypothèse la plus probable reste qu’il s’agit d’un trait d’humour du philosophe.
Crédit image à la Une : Le Suprême Conseil de la Rose-Croix, Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, Paris, 1891 | Collection Stanislas de Gaita, © BnF – Gallica
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