Républicaine convaincue, la journaliste Hubertine Auclert n’a cessé de mener une lutte politique pour défendre le droit des femmes, dès la fin du XIXe siècle. Avec des revendications jugées radicales par son époque, celle-ci se fait désormais la pionnière de nombreux combats féministes, tels que le suffrage féminin, la féminisation du langage ou la défense des femmes dans des pays colonisés.
Un engagement précoce
C’est dans l’Allier, au sein du hameau de Tilly, qu’Hubertine Auclert vient au monde le 10 avril 1848. Parmi sept frères et sœurs, la jeune fille évolue au sein d’une famille engagée. Son père, un fermier aux convictions républicaines, devient maire de la commune à l’avènement de la Deuxième République en 1848, avant d’être destitué à la suite du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851. De son côté, sa mère s’engage pour la défense des « filles-mères », de jeunes mères célibataires souvent laissées à leur sort après avoir été rejetées par leurs familles.
À l’âge de 9 ans, la jeune Hubertine est placée dans une pension religieuse située à Montmarault, qui la décide en premier lieu à entrer chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. À la mort de son père, celle-ci quitte finalement le couvent en 1864 pour séjourner chez son oncle, aux côtés de sa mère. Mais cette dernière disparaît deux ans plus tard, et sur ordre de son frère, la jeune femme est placée dans un couvent à Montluçon. Mais son tempérament indépendant est mal vu par les religieuses qui l’écartent de la vie monacale, faisant mûrir un profond anticléricalisme dans son esprit.
Républicaine convaincue, désirant défendre « la liberté de [son] sexe », Hubertine Auclert se rend à Paris à l’âge de 22 ans pour se lancer dans une carrière politique, chose inhabituelle pour une femme de son époque. En 1876, elle fonde la société Le Droit des Femmes, et trois ans plus tard, devient l’une des sept femmes déléguées au congrès ouvrier de Marseille. Lors d’un discours, celle-cei se dit décidée à « faire entendre les réclamations de la moitié déshéritée du genre humain », et déclare qu’« une République qui maintiendra les femmes dans une condition d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux ». Ses revendications sont alors commentées dans la presse, voire moquées, sans jamais être prises au sérieux.
Une pionnière des suffragettes
Avec l’avènement de la Troisième République, Hubertine Auclert demande la révision du Code civil en faveur de l’éducation et de l’indépendance économique des femmes, mais aussi du droit de vote et du divorce. Celle-ci est bibliothécaire durant un temps pour l’Association pour le droit des femmes, qui devient ensuite la Ligue française pour le droit des femmes, avec Victor Hugo comme président d’honneur, soutenu par Maria Deraismes et Léon Richer.
Le couple soutient l’émancipation civile des femmes, tandis qu’Auclert réclame leur droit politique à se présenter aux élections et à voter pour des élus – en effet, pour qu’une loi soit plus juste, il faut qu’elle soit décidée par des personnes qui y trouvent un intérêt : en étant seulement le résultat du vote des hommes, l’égalité des sexes demeure impossible. Lors du Congrès international pour le droit des femmes de 1878, celle-ci prépare alors un texte militant : « Trouvez-vous juste, messieurs, que les femmes subissent les lois sans les faire ; qu’elles soient mineures devant les droits, majeures devant les lois répressives ; qu’elles n’aient pas le droit de s’occuper de politique, et que, pour un écrit politique, elles soient condamnées à la prison et à l’amende. Trouvez-vous juste, messieurs, que les femmes n’aient pas le droit d’affirmer leur opinion par un vote, quand, pour avoir prêché les principes républicains, beaucoup ont été emprisonnées, exilées, déportées ? ». Mais sa tribune en faveur du suffrage féminin est considérée comme prématurée, et rejetée par le comité. Face à cette décision, la militante décide alors de quitter l’association.
En poursuivant son combat pour le droit de vote des femmes, Auclart décide de transformer sa société, désormais nommée Le Suffrage des femmes. En partant de l’idée qu’une femme qui ne compte pas ne devrait pas « être comptée », la militante fait une grève de l’impôt et appelle au boycott du recensement, et renverse une urne lors de Municipales. Celle-ci lance également le journal La Citoyenne, qui trouve le soutien de personnalités féminines engagées, comme la journaliste Séverine ou la sculptrice Marie Bashkirtseff, qui y contribuent entre 1881 et 1891. Véritable pionnière des suffragettes, Auclert demeure néanmoins relativement isolée dans son combat.
À propos des femmes en terre colonisée
Aux côtés de son compagnon, l’avocat Antonin Lévrier tout juste nommé juge de paix, Hubertine Auclert part vivre durant quatre ans en Algérie et s’y marie, probablement par convention. Ce voyage lui permet alors d’étudier les particularités de la condition féminine dans un pays colonisé, et de mener une comparaison avec ses observations réalisées en France. Dans son ouvrage Les femmes arabes en Algérie (1901), celle-ci dénonce un racisme répandu : « Pour les étrangers, les fonctionnaires, les Israélites, les colons, les trafiquants, l’Arabe, moins considéré que ses moutons, est fait pour être écrasé ».
Une nouvelle fois, Auclert se fait la pionnière d’un combat qui sera mené au cours du XXe siècle, celui du féminisme éclairé par la colonisation. La militante dénonce alors le double patriarcat auquel les femmes musulmanes sont soumises : celui de l’homme arabe et celui de l’homme français. Dans une démarche universaliste – pouvant paraître paradoxale –, celle-ci défend la francisation de ces femmes afin de les accoutumer à des modes de vie plus émancipateurs. En effet, la religion islamique est, selon elle, antithétique avec le combat pour l’égalité des sexes. De retour en France en 1892, Auclert poursuit son combat en faveur des femmes arabes, et publie plusieurs articles sur la colonisation dans Le Radical.
Féminiser le langage
À côté du suffrage féminin, Hubertine Auclert a été l’une des premières à lutter pour la féminisation du langage, notamment lorsqu’il s’agit des noms de métiers. Dans son article « Le féminisme, l’Académie et la langue » pour Le Radical du 18 avril 1898, celle-ci indique : « Quand on aura révisé le dictionnaire et féminisé la langue, chacun de ses mots sera, pour l’égoïsme mâle, un expressif rappel à l’ordre ». Le langage, vecteur de la pensée, doit donc porter en lui cet idéal égalitariste. Convaincue, Auclert va même jusqu’à tenter de mettre feu à un exemplaire du Code civil lors d’une manifestation en 1904, avant d’être empêchée par la police.
Alors que le mot « féminisme » noircit les pages de la presse avec une connotation péjorative, la militante est l’une des premières à se le réapproprier comme une revendication. Inventé par Alexandre Dumas pour se moquer des défenseurs masculins du droit des femmes, le terme désigne, sous la plume d’Auclert, la lutte acharnée pour l’égalité des sexes. Celle-ci poursuit ses idées en se présentant aux élections législatives de 1910, aux côtés de Marguerite Durand ou Madeleine Pelletier, sans parvenir à se faire élire. Le combat pour féminiser le langage ne date donc pas d’hier. Si Auclert meurt en 1914 sans pouvoir assister à une réelle avancée sociale pour les droits des femmes, elle demeure l’une des pionnières du féminisme ayant ouvert le débat sur des luttes qui continuent d’être activement menées.
Romane Fraysse
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Image à la une : Hubertine Auclert tenant une banderole concernant le suffrage des femmes – © Bibliothèque Marguerite Durand