Le 30 juillet 1943, Marie-Louise Giraud est guillotinée à la prison de la Roquette, à Paris. Quel a été son délit ? Celui de faire avorter une vingtaine de femmes durant la Seconde Guerre mondiale, sous le patriotique régime de Vichy. Une “affaire de femmes“, oubliée de tous, que le cinéma de Chabrol a contribué à remettre sur le devant de la scène.
L’avortement, un crime intolérable sous Vichy
L’avortement est un long combat qui ne cesse, encore aujourd’hui, de diviser la société française. Avant sa légalisation en 1975, les femmes qui avortaient étaient sévèrement jugées pour infanticide, tout autant que celles que l’on nommait alors les « faiseuses d’anges » – les anges étant, comme on peut l’imaginer, les enfants retirés de ce monde.
Ainsi, le Code pénal de 1810 condamne « Quiconque provoque l’avortement d’une femme enceinte avec ou sans son consentement au moyen d’aliments, de drogues, de médicaments, par violence ou d’autres remèdes, est puni de prison ». Au lendemain de la Grande Guerre, la loi de 1920 renforce la répression de l’avortement afin de relancer la natalité et compenser les pertes humaines. Une conception arbitraire du crime qui peut sembler absurde lorsque l’on sait que l’on compte plus d’un million de soldats disparus au combat, face à quoi la misère et le veuvage renforçaient aussi le nombre d’abandons et d’avortements clandestins.
Néanmoins, le gouvernement français juge l’acte d’avorter immoral et délictuel par son rejet du patriotisme. C’est notamment sous le régime de Vichy, fier de sa devise « Travail, Famille, Patrie », que la loi du 15 février 1942 considère l’avortement comme un « crime contre la sûreté de l’État » désormais passible de la peine de mort. Face à cela, la France de Pétain tente de créer une Charte de la famille contraignant à un modèle rigide qui cantonne la femme au foyer. Il faudra attendre la Libération pour que cette loi soit abrogée, jusqu’à la dépénalisation de l’avortement promulguée par la loi Veil, le 17 janvier 1975.
L’histoire d’une faiseuse d’anges
Un contexte répressif dont une certaine Marie-Louise Giraud fut tributaire. Née à Cherbourg sous le nom de Lempérière, elle grandit dans la pauvreté, enchaînant les petits métiers, tantôt domestique et femme de ménage, puis blanchisseuse. En 1929, elle fait la rencontre de Paul Giraud, un officier de la marine nationale avec lequel elle aura deux enfants.
Alors que la Seconde Guerre mondiale est déclarée, la jeune mère se retrouve seule à élever la petite famille dans un appartement vétuste de la cité normande. Tout commence à la fin de l’été 1940, lorsque Gisèle, sa voisine de palier, quémande son aide pour avorter. Sans savoir comment s’y prendre, Giraud accepte de lui « rendre service » et s’exécute avec une poire à injection remplie d’eau savonneuse. Puis, quelques jours plus tard, Gisèle sonne de nouveau à sa porte pour la remercier de son succès, et lui offre en échange un phonographe.
L’année suivante, Giraud provoque un deuxième avortement, celui d’une jeune femme ayant eu une liaison adultère alors que son mari était en captivité. Cette fois, elle accepte la pratique contre le paiement de 1 000 francs. Et, une nouvelle fois, tout se déroule parfaitement. La blanchisseuse comprend alors le parti financier qu’elle peut retirer de cette activité, sans véritablement se soucier des poursuites. Jusqu’en octobre 1942, les avortements s’enchaînent, malgré le décès de Louise M., l’une de ses patientes qui a succombé à une septicémie. Elle a alors pour complice les trois voyantes Eulalie Hélène, Jeanne Truffet et Augustine Connefroy, auprès desquelles les femmes confient leurs grossesses non désirées. En lui rapportant entre 600 et 2000 francs, cette activité permet ainsi à Giraud de s’acheter une modeste maison, au 44 rue Grande-Vallée. Au total, elle fait avorter 27 femmes, et pour arrondir ses fins de mois, loue aussi ses chambres à des prostituées de Cherbourg. Mais son entreprise n’a pas continué bien longtemps… À la suite d’une dénonciation anonyme, Giraud se fait arrêter en octobre 1942.
Un procès historique
Dans un contexte où les privations alimentaires et les emprisonnements de soldats ont engendré une recrudescence des avortements clandestins, Marie-Louise Giraud devient la figure incarnant l’ennemie de la France pétainiste.
La faiseuse d’anges compare alors les 7 et 9 juin 1942 devant la section de Paris du Tribunal d’État, une juridiction créée spécifiquement par le régime de Vichy. Les magistrats insistent alors sur la « mauvaise moralité » de l’accusée, portant un jugement sur ses mœurs légères, en plus des affaires d’avortements et de proxénétisme. Conformément à l’article 12 du Code pénal, Giraud est alors condamnée à la peine de mort par guillotine, une décision à laquelle le Maréchal Pétain n’accordera pas – sans surprise – sa grâce. Détenue dans la prison de la Roquette, Giraud est exécutée dans la cour à l’âge de 39 ans, le 30 juillet 1943. Ses complices sont quant à elles condamnées aux travaux forcés et à une peine d’amende.
Ce procès historique, pourtant longtemps passé inaperçu, est devenu célèbre grâce au livre Une affaire de femmes écrit par l’avocat Francis Szpiner en 1986, qui fut ensuite adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1987. Si Chabrol n’est pas tendre avec son héroïne, dont les actes semblent davantage motivés par la cupidité que par un quelconque sentiment de compassion, il a néanmoins permis de mettre en lumière cette condamnation inédite, celle de Marie-Louise Giraud, celle de la seule femme guillotinée pour avoir été faiseuse d’anges.
Romane Fraysse
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