Elle avait une longue chevelure blonde, remontée en chignon. Les Apaches la dénommait « Casquette » et la presse « Casque d’Or ». Née en 1878, Amélie Élie était une fille de joie du quartier de Belleville, pour qui deux bandes ont semé la zizanie dans le Paris de la Belle Epoque. Rebelle et extravagante, sa personnalité singulière lui a fait gagner une brève notoriété en son temps, avant d’être immortalisée dans un film que lui dédie Becker en 1952.
Casque d’or chez les Apaches
C’était au temps des métamorphoses de Paris, avec les longs boulevards et les grands immeubles d’Haussmann. Tout Paris ? Non, car si ses projets architecturaux suivaient les théories hygiénistes, ils ne s’appliquaient en réalité qu’à certains quartiers centraux de la capitale. Les belles rues que nous traversons sur la Butte Montmartre ou le long du canal Saint-Martin faisaient quant à elles partie de coins encore bien insalubres.
Et c’est donc à cette époque qu’une toute jeune Amélie Élie atterrit avec ses parents dans le 11e arrondissement, nouveau quartier où se retrouvent les ouvriers chassés du centre. Là , les familles s’entassent dans de petits appartements sans hygiène, et la plupart des fillettes se voient d’emblée contraintes de faire le trottoir. Amélie Élie est l’une d’elles. Mais la rue est aussi un lieu de rencontre, ce qui explique qu’à 13 ans, elle se retrouve en ménage durant un an avec un jeune ouvrier dénommé « le Matelot ». Mais les tensions s’accumulent, et son compagnon enchaîne les séjours en maisons de correction. A la suite du décès de sa mère, Élie décide donc de partir pour retourner à la rue.
C’est là , dans le Belleville de 1894, qu’elle fait une nouvelle rencontre avec une maquerelle qui est surnommée « Hélène de Courtille ». Celle-ci l’embauche, la protège et s’éprend peu à peu pour cette jeune fille à la chevelure blonde. Élie n’a alors que 16 ans, et entre, sans le savoir, dans le cercle de ceux que la presse nomme les « Apaches ». Les deux amantes deviennent inséparables : Hélène de Courtille emmène sa pouliche faire la tournée des bars du quartier, dont le sulfureux La Pomme au Lard.
Les rencontres se font alors de plus belle, et Élie ne tarde pas à quitter les bras de sa protectrice pour ceux d’un certain « Bouchon », lui aussi proxénète. Le jeune couple se marie au plus vite, prenant pour témoins les quelques Apaches qui les entourent. Elle se prostitue, tandis que lui, de son côté, vivote de vols de marchandises, de reventes illégales, et commet plusieurs crimes sans vergogne. Mais là encore, la relation dégénère : Bouchon devient de plus en plus violent avec sa jeune compagne et lui reproche de ne pas assez gagner sur le trottoir. Celle-ci finit de nouveau par fuir ce calvaire et erre dans les rues, alors que plusieurs Apaches la pourchassent. Mais ce n’est que le début d’une longue histoire de délinquances, de bagarres et de crimes…
L’affaire Manda-Leca
C’est au tournant du siècle que la presse va commencer à entendre parler d’Amélie Élie, que l’on surnomme « Casquette » dans le milieu. Durant son vagabondage, la jeune femme a fait la rencontre de Joseph Pleigneur, dit « Manda », le chef de la bande criminelle des Orteaux, âgé de tout juste 22 ans. Tombée sous le charme, elle aménage très vite avec le célèbre Apache, qui passe son temps à fabriquer des outils pour cambrioler. Mais l’homme aime papillonner, ce qui n’est pas au goût de la jeune femme blonde, qui oublie ses malheurs dans la rue.
Un soir, assise au comptoir du Caveau des innocents, elle se froisse avec un brigand dénommé Dominique Leca, appartenant à la bande des Popincs. Celui-ci lui jette alors un verre d’eau au visage : il n’existe pas de meilleure rencontre pour Casquette, qui tombe sous son charme. Ainsi, les deux jeunes tourtereaux flirtent ensemble les jours suivants, ce qui n’est pas du tout au goût de Manda. Une guerre sans pareille éclate alors entre les deux bandes. Leca provoque le chef de bande, déclarant qu’il n’a « qu’à venir chercher lui-même sa femelle ». Manda lui plante alors un premier coup de couteau dans la rue. Plusieurs rixes s’enchaînent par la suite, jusqu’au 7 mars 1902 : ce jour-là , Leca finit à l’hôpital après avoir reçu deux balles de revolver dans le bras et dans la cuisse au milieu de la rue Dénoyez. Tout juste sorti, Leca est de nouveau frappé d’un coup de poignard dans un fiacre, et retourne aux soins.
La presse commence alors à s’emparer de cette histoire qui agite les quartiers est de la capitale. Peu à peu, les Parisiens sont intrigués par cette prostituée dénommée « Casquette », qui serait à l’origine des nombreuses rixes entre les deux bandes. Si le nom de Casquette n’est pas vendeur, l’un des magazines titre « Casque d’or », en référence à la chevelure blonde de la jeune femme. Elle ne sera désormais connue que par ce surnom-là . Les journalistes la suivent alors dans la rue, frappent à sa porte ou lui demandent même de choisir sa bande.
Lassé de ces bagarres, le père de Leca finit par dénoncer Manda à la police, qui est rapidement arrêté avec ses hommes. En mai 1902, une foule immense assiste alors à son procès. De son côté, Leca s’échappe de sa chambre d’hôpital et s’exile, avant d’être retrouvé à Alfortville. Les deux hommes sont alors condamnés au bagne, et envoyés en Guyane. L’extravagance de Casque d’Or est quant à elle remarquée, et fait sensation durant un temps, ce qui n’est pas pour déplaire à la jeune femme.
La nouvelle vie d’une « bonne épouse »
Au début du XXe siècle, Casque d’Or est connue de tous. Les colonnes des journaux ne cessent de raconter des ragots à son sujet, tandis que le Théâtre des Bouffes fait mettre en répétition une pièce dénommée Casque d’Or et les Apaches. Le peintre Albert Dupré réalise quant à lui son portrait lors du Salon annuel des artistes français, mais celui-ci est refusé pour « outrage aux mœurs ».
Néanmoins, cette renommée est de courte durée, et les Apaches sont peu à peu renvoyés du centre de la capitale. Casque d’Or enchaîne de nouveaux les petits métiers, devenant même dompteuse de lions à la « fête à Neu-Neu », une fête foraine populaire de Neuilly-sur-Seine. Surnommée la « Reine des Apaches », elle flirte quelque temps sur son succès passé sans pour autant pouvoir en vivre.
Finalement, Casque d’Or redevient Amélie Elie et finit par se marier avec un cordonnier nommé André Alexandre Nardin en 1917. Devenue bonnetière à Montreuil et aux Lilas, elle mène une vie rangée, et s’occupe de quatre enfants. Mais cela dure un temps, et son passé l’appelle de nouveau.
En 1918, elle devient tenancière des « Rosiers », trois maisons closes installées rue des Rosiers, dans le Marais. Lorsqu’un journaliste la retrouve, en 1925, celle-ci a tout de même à cœur de garder bonne réputation : « Cet établissement, je le dirige depuis sa fondation. Il y a sept ans que je suis aux Rosiers. Jamais de scandale, jamais de bruit. Ces messieurs de la préfecture pourront vous le dire… Dites bien, si vous faites un article sur moi, que je suis maintenant une bonne épouse et que je gagne honnêtement ma vie ». Ce n’est qu’en 1933, touchée par la tuberculose, qu’Amélie Élie s’éteindra, à l’âge de 55 ans. Pour en savoir plus sur son histoire et celle des Apaches, rendez-vous dans notre visite guidée insolite dans le quartier de Charonne !
Romane Fraysse
A lire également : Les Apaches, les “caille-ra” parisiennes d’antan