Tout au long du XIXe siècle, des millions de touristes et de Parisiens se sont pressés pour visiter l’un des endroits les plus courus de la capitale. Il ne s’agit ni d’un musée ni d’un parc, mais d’un lieu bien plus inattendu : la Morgue de Paris. On vous en dit plus sur cette attraction très prisée des Parisiens d’antan !
Aux origines de la « morgue »
La morgue ne saurait, aujourd’hui, être autre chose qu’un lieu réservé aux autorités médico-légales ou aux familles venues identifier leur proche. Et pourtant, la pudeur imposée en ce lieu n’a pas toujours été observée et n’est en vigueur que depuis un siècle. Et pour cause, avant que le préfet de police Louis Lépine ne décide, à l’aube de la première guerre mondiale, de protéger les cadavres du regard du monde, la morgue était un espace public où les dépouilles étaient exposées à la vue de tous.
Le verbe “morguer” désigne d’ailleurs le fait de regarder quelqu’un avec hauteur, parfois dédain, mais toujours avec minutie. Et, dès le XIVe siècle, c’est exactement ce qu’il se passe chaque jour entre les murs de la prison du Grand Châtelet. Cette prison, installée là où se trouve l’actuelle place du Châtelet, accueille chaque jour des centaines de nouveaux prisonniers, mendiants, malfrats, petits voleurs ou meurtriers. Dans les cellules de l’immense bâtisse, ils sont, chacun leur tour, examinés avec insistance, sous toutes les coutures, par les geôliers qui écrivent ensuite minutieusement leurs observations sur un registre.
L’objectif ? Que l’on puisse se figurer le moindre détail, la moindre marque particulière afin d’identifier le détenu en cas d’évasion ou de récidive. Nous sommes encore loin de l’époque où les photographies permettent de garder une trace visuelle des détenus, les « morguer » est donc le seul moyen de vraiment les identifier.
Au XVe siècle, le registre des « morgués » du Grand Châtelet est grossi par d’autres individus qui, eux aussi, nécessitent une identification : les cadavres sans identité connue, ceux que l’on trouve sur la voie publique ou que l’on repêche dans la Seine. Dans la petite pièce du Grand Châtelet qui sert à l’identification, les morts deviennent progressivement plus nombreux que les vivants.
Chaque jour, une quinzaine de cadavres sont installés dans la pièce que l’on appelle désormais “morgue” et une petite ouverture est creusée au niveau de la chaussée pour permettre au public de les « morguer » à leur tour. On se dit qu’un passant pourrait reconnaître un proche disparu ou identifier par hasard une connaissance. En réalité, la plupart sont de simples badauds, attirés par le spectacle inhabituel qui s’offre à eux derrière la petite lucarne du Grand Châtelet. La morgue n’est pas encore une attraction, mais ne va pas tarder à le devenir !
La morgue de Paris s’installe sur l’Île de la Cité et devient une attraction
En 1802, l’on décide de détruire la prison du Grand Châtelet, devenue trop vétuste. Deux ans plus tard, la morgue est déplacée Quai du Marché-Neuf, sur l’Île de la Cité. Elle sera, en 1868, à nouveau relocalisée du côté du quai de l’Archevêché, à l’emplacement de l’actuel square d’Île-de-France, derrière la Cathédrale Notre-Dame. Au sein de ces deux morgues successives, tout est fait pour attirer le passant. La salle d’exposition est accessible à tous, tous les jours et gratuitement. Les corps sont exposés nus ou peu vêtus, le plus souvent pendant trois jours mais cela peut être plus si le cadavre a du « succès » et n’est pas réclamé. Ils sont allongés sur douze tables en marbre noir et installés derrière une large vitrine en verre.
Si l’objectif initial de ces expositions était de faciliter les identifications, la morgue devient, à cette époque, une véritable attraction touristique. Des millions de Parisiens s’y rendent chaque année afin d’« examiner » les cadavres anonymes récupérés par les autorités. Les meilleurs jours, près de 40 000 personnes se bousculent à l’extrémité sud-est de l’Île de la Cité. Toutes les catégories sociales s’y retrouvent. L’ouvrier vient pendant sa pause déjeuner, les bourgeois s’y rendent en famille, les aristocrates visitent le lieu entre amis. Certaines agences de voyage anglaises organisent même des visites de groupe ! À une époque où la mort et la nudité sont deux sujets particulièrement tabous, les visiteurs viennent voir les cadavres le cœur léger, tout émoustillés à l’idée de visiter les macchabées de l’Île de la Cité.
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Cyrielle Didier