Classée monument historique en 1997, essentiellement pour ses façades et sa toiture, la Gare d’Orléans, devenue Gare d’Austerlitz en 1985 en hommage à la victoire napoléonienne de 1805, accueille chaque année plus de 24 millions de visiteurs, essentiellement en transit vers ou depuis Bordeaux, Toulouse, Nantes, le centre-ouest de la France et l’Île-de-France. Mais sa grande halle n’a pas toujours servi à accueillir des voyageurs. En effet, une activité des plus inédites s’y déroulait en 1870, à laquelle sa nouvelle architecture va rendre hommage.
Un chantier d’une ampleur colossale
Cette gare du 13ème arrondissement bordée par le Jardin des Plantes et par la Seine, dans le sud-est parisien, n’en est pas à sa première transformation depuis sa mise en service en 1840. Elle a, en effet, déjà fait l’objet dans les années 1860 d’une reconstruction par l’architecte en chef de la compagnie Paris-Orléans, Pierre-Louis Renaud. Les travaux actuels sont toutefois d’une envergure exceptionnelle, qualifiés de “plus grand chantier patrimonial de SNCF Gares & connexions”.
Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de rénover mais aussi de moderniser l’une des six grandes gares terminus parisiennes en vue d’un développement de son activité et de sa fréquentation. Car si elle a jusqu’alors été privée de TGV et a vu une partie de son trafic diminuer au profit de la Gare Montparnasse, un projet de ligne à grande vitesse LGV Paris Orléans Clermont-Ferrand Lyon pourrait bien renverser la vapeur dans les années à venir.
Et si ces travaux commencés depuis cinq ans et prévus pour s’achever en 2027 concernent tout aussi bien les aménagements intérieurs que les abords de la gare, la réfection de la grande halle métallique, œuvre de Ferdinand Mathieu, constitue une part essentielle du projet. Il faut dire qu’avec ses 280 mètres de longueur et les 15 000 m² de sa superbe verrière, celle-ci est la deuxième plus grande de France après la Gare de Bordeaux. Ce qui a nécessité pour sa rénovation la mise en place du plus grand échafaudage d’Europe, soit 3000 tonnes d’acier ! Si l’étape majeure de rénovation de cette grande halle voyageurs est désormais achevée, reste toutefois à y installer un bâtiment qui abritera des commerces ainsi qu’un restaurant, et dont la forme étonnante sera un hommage à l’activité qui se déroulait initialement dans le bâtiment.
La naissance de la Poste aérienne
Cette forme ovale qui se dévoilera bientôt c’est celle d’un ballon dirigeable ! Mais alors, quel rapport avec la gare nous direz-vous ? Pour le comprendre il faut remonter un peu dans le temps. Jusqu’en en 1870 plus précisément. À l’époque, la France et la Prusse sont en guerre, c’est le Siège de Paris. L’ingénieur et photographe parisien Félix Tournachon dit Nadar se passionnait pour les ballons, qu’il fabriquait avec quelques bénévoles de sa “Compagnie des aérostiers militaires” à des fins d’observation de l’ennemi. Il s’agissait alors de ballons captifs, c’est-à-dire retenus au sol à l’aide d’un câble.
S’inspirant de l’idée, le directeur général des Postes, Germain Rampont, charge alors l’un des membres de cette compagnie, l’ingénieur et aérostier français Claude-Jules Duruof, à l’aide de Nadar, d’imaginer des ballons qui permettraient de communiquer avec l’extérieur. Un campement fut alors établi au pied de la butte Montmartre, sur la place Saint-Pierre, et le tout premier ballon, baptisé Le Neptune, décolla le pour un vol de 104 kilomètres et de 3h15 à destination de Tours où se trouvaient alors des membres du gouvernement. Il se posa avec ses 125 kilos de dépêches officielles à proximité d’Évreux, en Normandie.
Le 27 septembre 1870, deux décrets de l’Administration des Postes du Gouvernement de la Défense Nationale autorisèrent alors officiellement cette méthode d’expédition du courrier, à condition que les plis n’excèdent pas 4 grammes et qu’ils soient pliés et cachetés de sorte qu’il n’y ait pas besoin d’utiliser d’enveloppe.
La Gare d’Austerlitz sous le siège de Paris
Durant le Siège de Paris, toutes les gares de la capitale étaient à l’arrêt, y compris celle que l’on appelait encore à cette époque la Gare d’Orléans, notre actuelle Gare d’Austerlitz. Ces vastes espaces vides trouvèrent alors une toute autre vocation puisque s’y installa, sous la direction du célèbre aéronaute professionnel Eugène Godard, le premier atelier de fabrication de ballons montés ! Ces ballons à gaz équipés d’une nacelle tressée et pilotés à l’aide du vent par un aéronaute, étaient alors utilisés pour transporter le courrier et les dépêches !
« Les ballons devaient être de la capacité de 2000 m3 en percaline de première qualité, vernie à l’huile de lin, munis d’un filet en corde de chanvre goudronnée, d’une nacelle pouvant recevoir quatre personnes et de tous les apparaux nécessaires : soupape, ancre, sacs de lest, etc. » Extrait du Journal Officiel du 2 mars 1871.
Chacun de ces gigantesques ballons en soie vernis et cousus à la main pouvant transporter jusqu’à plusieurs centaines de kilos de cargaison nécessitait environ 12 jours de fabrication. Un travail auquel s’attelèrent un peu plus d’une centaine de femmes. La hauteur de la halle de la gare permettait ensuite de les accrocher à la structure métallique afin de pouvoir les gonfler à l’abri du vent avec du gaz d’éclairage. Un atelier de même type, dirigé par Nadar, fut ensuite installé dans la Gare du Nord. Les ballons n’y étaient toutefois pas cousus à la main mais à l’aide de machines, ce qui facilitait et accélérait le processus de fabrication.
L’incroyable épopée des ballons montés
Ainsi, entre le 23 septembre 1870 et le 28 janvier 1871, 67 ballons s’élevèrent dans les airs depuis la capitale avec à leur bord 164 passagers, plus de 2 millions de lettres, près de 400 pigeons, de la dynamite, et même quelques chiens. Parmi eux Le George Sand, Le Victor Hugo, Le Vauban, Le Galilée, l’Égalité, La Délivrance, ou encore Le Volta, seul vol à visée scientifique qui transporta le 2 décembre 1870 l’astronome Jules Janssen de Paris à Beuvron afin qu’il puisse se rendre en Algérie pour observer l’éclipse de soleil prévue 20 jours plus tard.
Le destin de ces ballons, soumis aux intempéries, aux balles ennemies, à l’inexpérimentation des pilotes qui étaient en majorité des marins de la Marine Impériale volontaires, et à l’absence de visibilité pour les vols de nuit était évidemment plus qu’aléatoire. Certains se retrouvèrent au-delà des frontières françaises, deux d’entre eux disparurent en mer, et d’autres tombèrent dans les lignes ennemies. Mais cela restait le seul moyen pour les parisiens assiégés de pouvoir acheminer le courrier militaire et civil à l’extérieur de la capitale.
Un hommage rendu par l’architecture
C’est donc en hommage à cette période courte mais cruciale de l’histoire des ballons montés que s’inscrit le projet architectural en forme de dirigeable de la halle de la Gare d’Austerlitz. Un précédent hommage leur avait déjà été rendu par le sculpteur Frédéric-Auguste Bartholdi, auteur notamment de la célèbre Statue de la Liberté à New-York, à travers le Ballon des Ternes. Ce monument en bronze représentait la Ville de Paris, sur les genoux de laquelle était assis un enfant, les mains tendues vers un pigeon voyageur tandis qu’un imposant ballon de cuivre surmontait l’ensemble.
L’œuvre fut érigée en 1906 à la Porte des Ternes, actuelle Place du Général Koenig, d’où décollèrent de nombreux ballons dont Le Barbès, à bord duquel le ministre de l’intérieur Gambetta s’échappa de Paris le 7 octobre 1870 pour se réfugier à Tours où s’était provisoirement installée la Délégation du gouvernement provisoire. Elle fut malheureusement fondue par les allemands 35 ans plus tard, au cours de la Seconde Guerre mondiale. C’est donc un nouvel hommage, plus en subtilité, que vous pourrez bientôt admirer dans la toute pimpante Gare d’Austerlitz !
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Crédit photo de Une : La halle rénovée de la gare Austerlitz © Wilmotte & Associés
Mélina Hoffmann