
Également surnommée la « Fête du Bœuf Gras » ou la « Fête du Bœuf villé » car promené en ville, la promenade du Bœuf Gras ne doit sûrement pas vous dire grand-chose. Et pourtant ! Elle fut une coutume centrale du Carnaval de Paris, qui se tenait à la mi-Carême, période de jeûne dans la religion catholique.
En quoi consiste cette étonnante tradition ?
Les bouchers, généralement déguisés pour l’occasion en sauvages promenaient très solennellement un bÅ“uf paré de ses plus beaux ornements. Souvent accompagné en musique par une « viole », instrument à cordes similaire au violon, le cortège défilait dans Paris sous le regard enthousiaste d’une foule impatiente. Après une parade dans les plus hauts lieux de la capitale, le bÅ“uf était abattu et la viande vendue au double du prix habituel. Le parlement, la résidence du Chef de l’État, les ministères… Le bÅ“uf passe alors partout, y compris devant le palais des Tuileries où il est salué en 1806 par l’Impératrice Joséphine de Beauharnais !
À partir de 1845 et jusqu’au début du XXe siècle, le bœuf choisi chaque année est baptisé d’un nom qui a fait la Une des journaux au cours de la période, ou bien pioché dans les pièces et opérettes à succès. Interdite pendant la Révolution française, la parade renaît en 1805 jusqu’à la guerre de 1870. En 1894, toujours pas réhabilité, le cortège se fait informel comme sur cette illustration où l’on distingue un cochon en carton en symbole de l’absence du bœuf au Carnaval.

Le quotidien Le Soleil commente même en 1895 : « Vous ne sortirez pas de la tête d’une quantité de très braves gens que la suppression du bÅ“uf gras a entrainé la décadence du carnaval. Tous les ans, au retour du Mardi-Gras, il s’échappe d’une quantité de poitrines des soupirs de regret pour exprimer le chagrin que cause la disparition d’un usage séculaire. » S’en suivent des demandes de réhabilitation auprès du ministère de l’Intérieur et pour l’occasion, un « Comité des fêtes du bÅ“uf » est créé en 1896 ce qui se soldera par une victoire !

D’où vient cette coutume ?
On trouve la mention de cette fête déjà en 1712, mais ses origines sont floues. La tradition de la promenade du BÅ“uf Gras pourrait remonter au temps de l’Égypte antique, mais on dit aussi qu’elle serait l’illustration d’un culte des astres se tenant lorsque le Soleil entre dans la constellation du Taureau… Une autre mention raconte que le boucher ayant produit le bÅ“uf le plus gras est sélectionné et a le droit ensuite de vendre sa viande en période de Carême aux personnes qui ne suivent pas le jeûne.
Quelle que soit sa provenance, le BÅ“uf représentait une grande promotion pour son propriétaire ! Louis Charles Bizet écrivait à la fin du XIXe siècle dans son ouvrage Du commerce de la boucherie et de la charcuterie de Paris et des commerces qui en dépendent que la tradition est « un stimulant pour les éleveurs de bestiaux, une prime accordée aux nobles travaux de l’agriculture, un honneur pour celui qui avait fourni le bÅ“uf gras ».

Symbole de l’abondance, et dernière occasion de faire la fête avant la période de Carême, le BÅ“uf devient le centre de plusieurs pièces de théâtre, de chansons politiques et satiriques, de dessins et se place au cÅ“ur de la société. Depuis, l’expression « être bÅ“uf gras » signifie même « avoir du succès ». Charles Monselet, écrivain et journaliste écrit en 1847 : « On a le bÅ“uf gras, comme on a un fauteuil à l’Institut. C’est le complément de toute réputation, le bouquet, l’apothéose, le laurier du Capitole » !
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