C’est l’affaire dont tout le monde parle à l’hiver 1819. Depuis plusieurs mois, un individu prend un malin plaisir à piquer les jeunes gens qui se baladent dans les rues de la capitale. Muni d’un stylet, d’un poinçon ou d’une grande canne surmontée d’une aiguille, il s’en prend majoritairement aux femmes et à leur postérieur. Des dizaines de victimes se déclarent dans tout Paris et la police peine à trouver le coupable. On vous raconte cette intrigante affaire judiciaire qui a nourri les discussions des Parisiens pendant tout un hiver.
Un homme qui s’attaque avant tout aux femmes
Entre juillet et décembre 1819, ce sont quelque 400 victimes – des femmes pour la plupart – qui déclarent avoir été violemment piquées par un individu alors qu’elles se baladaient dans les rues de la capitale. Ces “piquages” ont souvent lieu aux alentours du Palais-Royal, là où le Tout-Paris se retrouve pour se divertir, mais aussi près du Pont-Neuf ou du Louvre, lieux également très fréquentés par les Parisiens.
Si les blessures sont souvent superficielles – rien à voir avec une entaille au couteau ou au sabre par exemple – elles n’en traumatisent pas moins les victimes. Les Parisiennes s’inquiètent d’autant plus qu’elles ne comprennent pas l’objectif de ces attaques. S’agit-il de faire simplement mal ? Les piqûres sont-elles empoisonnées ? Y a-t-il quelque chose de sexuel dans ce geste ? Les questions fusent, mais les réponses tardent à arriver.
Car, quatre mois après les premières attaques, on ignore encore tout de celui qu’on appelle désormais le “piqueur de fesses”. En décembre 1819, la Préfecture de police prend alors la décision de publier les faits dans le journal Le Moniteur universel afin de prévenir la population et retrouver le coupable :
“Un particulier dont on n’a pu se procurer le signalement que d’une manière imparfaite, se fait depuis quelque temps un plaisir cruel de piquer par derrière, soit avec un poinçon, soit avec une longue aiguille fixée au bout d’une canne ou d’un parapluie, les jeunes personnes de quinze à vingt ans que le hasard lui fait rencontrer dans les rues, sur les places ou dans les promenades publiques. […] Son Excellence le ministre d’État préfet de police a donné les ordres les plus sévères pour l’arrestation de cet individu qui, jusqu’à ce moment, a échappé à toutes les recherches. Comme il importe de découvrir l’auteur d’un pareil attentat, on croit devoir signaler à l’attention publique et engager tous les citoyens à s’unir à l’autorité pour qu’il ne reste pas impuni.” – Le Moniteur universel, édition du 4 décembre 1819.
Une idée qui n’aura pas du tout l’effet escompté... Loin de permettre l’arrestation d’un coupable, cette publication décuplera les peurs et amplifiera le phénomène. Le nombre d’agressions croît de manière impressionnante au mois de décembre et la presse s’empare désormais de chacune d’elle. Trois femmes blessées à la sortie de l’opéra, une fillette de six ans piquée devant la boutique de son père, une jeune fille attaquée au jardin des Tuileries… Chaque jour, les journaux parisiens et nationaux rapportent et détaillent une nouvelle agression.
Les rumeurs abondent et les opportunistes profitent
Il n’en faut pas moins pour que les rumeurs se propagent et prolifèrent : il ne s’agirait pas d’un seul homme mais d’un groupe de personnes, certaines victimes seraient mortes de leurs blessures, les piqûres seraient empoisonnées, etc. Une véritable psychose s’installe dans la capitale et les femmes, terrifiées, n’osent plus sortir de chez elles. Évidemment, quelques opportunistes peu scrupuleux en profitent. Un pharmacien du Marais met en vente un baume anti-piqûre d’aiguille, un armurier vend un “préservatif contre la piqûre” qui se présente sous la forme d’un protège-fesses en métal léger.
Un coupable idéal arrêté et condamné
En janvier 1820, la brigade de sûreté de la police de Paris, dirigée par le fameux Vidocq, arrête un garçon-tailleur de 35 ans, Auguste-Marie Bizeul. Il est, dit-on, spécialisé dans la confection d’aiguilles et a été reconnu par trois victimes. Couvert par la plupart des quotidiens parisiens, le procès vite expédié de Bizeul sera l’une des premières affaires judiciaires à s’immiscer dans la sphère médiatique. L’homme y est dépeint comme un “pervers”, un individu “dépravé”, par l’avocat du roi. Le 1er février 1820, Bizeul est condamné à 500 francs d’amende et cinq ans de prison.
Pourtant, encore aujourd’hui, on se demande si ce coupable n’était pas un peu trop idéal. L’on dit que Vidocq, connu pour ses pratiques peu orthodoxes, n’aurait pas hésité à suborner quelques témoins pour trouver un coupable et mettre fin aux peurs des Parisiens… Quoi qu’il en soit, les agressions ne se sont pas arrêtées après l’arrestation de Bizeul et continueront pendant plusieurs années.
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Cyrielle Didier