De Vinci, Delacroix, Caravage, Géricault… Il est plus ou moins aisé de nommer les artistes dont l’œuvre figure au musée du Louvre. Mais combien de femmes, exposées elles aussi, pouvons nous citer ? Grandes oubliées de l’histoire de l’art, les femmes artistes sont encore largement invisibilisées face à leurs homologues masculins. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans le plus célèbre des musées parisiens, seulement une trentaine d’œuvres (40 selon les sources) sont réalisées de la main d’une femme, sur les 35 000 pièces exposées. Nous vous proposons une rencontre avec cinq artistes françaises faisant partie de ce cercle très restreint. Leur point commun ? Un talent indéniable et une carrière minimisée, souvent assimilée à celle de leur maître.
Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842)
Portraitiste de génie, Elisabeth Vigée Le Brun symbolise également une indépendance à toute épreuve. Fille de peintre, Elisabeth développe depuis son plus jeune âge des prédispositions pour la peinture et le dessin. À 12 ans, son travail est reconnu dans tout Paris et elle s’est déjà constitué un véritable carnet d’adresses dans la haute bourgeoisie. Ses relations (et son talent) la mènent jusqu’à la Cour de Versailles. À 23 ans, elle devient la portraitiste officielle de la reine Marie-Antoinette, qui a été séduite par son travail. La complicité entre les deux femmes permet même à Elisabeth de peindre la souveraine comme on ne l’a jamais vue : sans corset, ni maquillage. Si la toile intitulée Portrait de Marie Antoinette en robe de mousseline fait scandale à l’époque, la jeune artiste a à cœur de représenter l’épouse du roi au-delà de son statut.
Par la suite, elle est l’une des quatre femmes à faire partie de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Royaliste convaincue, Elisabeth n’adhère pas au mouvement populaire quand sonne l’heure de la Révolution. Décidée à vivre libre et de son art, elle part pour douze années de voyage à travers l’Europe avec sa fille, divorçant, au passage, de son époux. Ni la société ni les hommes ne lui dictaient sa conduite ! Elle pose son chevalet dans de nombreuses Cours royales avant de regagner la France pour y terminer sa vie.
Madame Molé-Reymond, de la Comédie italienne (1759-1833) (1786) est exposée en ce moment au musée du Louvre, en salle 933, aile Sully, niveau 2, comme d’autres œuvres de l’artiste.
Marie-Guillemine Benoist (1763-1826)
Marie-Guillemine Leroulx de la Ville est une artiste reconnue de son temps, qui a le mérite de n’avoir été ni la fille ni l’épouse d’un peintre, ce qui est assez rare à l’époque. Encouragée par son père, elle apprend les rudiments de la peinture auprès d’Elisabeth Vigée Le Brun dès 1781 puis auprès de Jacques-Louis David en 1786. Des couleurs douces, elle passe aux traits plus affirmés sous l’influence de son maître. Marie-Guillemine aime réaliser des peintures d’histoire ou mythologiques, genres réservés aux hommes. Empreinte de féminisme, elle crée d’ailleurs, bien des années plus tard, un atelier pour enseigner la peinture aux femmes.
Son audace s’affirme en réalisant sa célèbre toile Portrait d’une femme noire en 1800, soit à peine six ans après l’abolition de l’esclavage. Au-delà de l’aspect engagé de son œuvre, la réalisation technique est également saluée : “peindre la carnation noire était un exercice rare et très peu enseigné” comme l’explique le site du Ministère de la Culture. Elle reçoit par la suite une succession de commandes de Napoléon Ier et expose ses toiles dans les Salons parisiens de 1791 à 1812. Sa carrière est finalement récompensée en 1804 par une médaille d’or et obtient une pension annuelle du gouvernement. Malgré ses convictions et son tempérament, Marie-Guillemine est contrainte de mettre un terme à sa carrière à la demande de son époux, le royaliste Pierre-Vincent Benoist, tout juste nommé conseiller d’Etat lors de la Restauration en 1814.
Portrait d’une femme noire (1800) est exposé en ce moment au musée du Louvre, en salle 935, aile Sully, niveau 2.
Anne Vallayer-Coster (1744-1818)
Anne Vallayer grandit dans un milieu aisé, entourée d’artistes. Elle se forme à l’art du dessin de fleurs avec Madeleine Basseporte, marraine de sa sœur mais également dessinatrice du jardin royal des plantes. Elle poursuit son apprentissage à l’atelier de Joseph Vernet, connu pour ses toiles de ports et de marine. En 1770, Anne Vallayer entre à l’Académie royale de peinture et de sculpture. C’est un exploit pour l’époque, où les places pour les femmes sont rares. Ses maîtres et son père, orfèvre pour le roi, la font grandir proche de la Cour. La reine Marie-Antoinette elle-même lui confie son cabinet de peinture où Anne se charge d’enseigner le dessin à la souveraine. L’épouse du roi confère également à la jeune artiste le privilège d’occuper un appartement-atelier au Louvre à partir de 1780. Un an plus tard, elle épouse Jean Silvestre Coster, riche avocat et membre du parlement, accélérant ainsi son ascension sociale.
Anne Vallayer-Coster excelle dans l’art du portrait, de la nature morte et de la peinture de fleurs. La société misogyne de l’époque tient à ce que les femmes soient cantonnées à ce genre, considéré comme un art mineur. Femmes et fleurs étant les représentations de la délicatesse, il ne pouvait pas en être autrement… Malgré les dénigrements et les critiques, Anne est adoubée par la critique pour son travail jouant à la perfection avec lumière, reflets et textures. On disait même dans les couloirs des Salons qu’elle était “aussi habile qu’un homme”. Sa toile Panaches de mer, lithophytes et coquilles est encore perçue aujourd’hui comme l’une des natures mortes les plus impressionnantes du siècle.
Panaches de mer, lithophytes et coquilles (1769) est exposée en ce moment au musée du Louvre, en salle 933, aile Sully, niveau 2. Les attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture (1769), toile de la même artiste, se trouve dans la même pièce.
Constance Mayer (1774-1821)
L’histoire de Constance Mayer n’est pas sans rappeler celle de sa consœur Camille Claudel, née près d’un siècle après elle. Dès son plus jeune âge, la jeune Axonaise est encouragée à peindre par son père et devient l’élève de Suvée, de Greuze puis de Prud’hon. Dans l’alcôve que forme l’atelier du peintre, naît une histoire d’amour. Jean-Paul Prud’hon vient de se séparer de son épouse et place ainsi la jeune Constance dans les rôles d’élève, de maîtresse de maison, d’amante et de mère de substitution pour ses cinq enfants. Les deux artistes travaillent conjointement et Constance apporte, à ses dépends, une aide déterminante à son maître dans la réalisation de ses toiles.
Bien que talentueuse, Constance Mayer est sans cesse considérée comme une imitatrice de Prud’hon, même dans la postérité. Elle reste dans l’ombre de son amant, qui signe de nombreuses toiles réalisées de la main de la jeune artiste. Malgré tout, ses efforts payent et Constance Mayer finit par se faire une petite réputation dans les Salons. Louis XVIII acquiert notamment sa toile Le Rêve du Bonheur en 1819. L’année 1821 prend une tournure dramatique pour l’artiste. Elle rencontre des problèmes financiers, après avoir investi ses économies dans les besoins de cette famille recomposée. Alors que madame Prud’hon est au plus mal, Constance s’enquiert auprès de son amant s’il serait disposé à se remarier en cas de veuvage. Sa réponse est sans appel, l’homme ne souhaite pas se remarier. Désespérée, Constance Mayer se tranche la gorge avec le rasoir de l’artiste.
Le Rêve du bonheur (1819) est exposé en ce moment au musée du Louvre, en salle 936, aile Sully, niveau 2.
Marguerite Gérard (1761-1837)
Marguerite Gérard naît dans la ville de Grasse, d’un père marchand parfumeur. Ça ne s’invente pas ! Elle quitte cependant le sud de la France pour rejoindre la capitale et devenir l’élève de son beau-frère, le peintre Jean-Honoré Fragonard. Comme bon nombre de ses contemporaines, elle est souvent réduite à l’œuvre de son maître. Toutefois, Marguerite Gérard est loin d’être une jeune fille effacée ! Elle s’affranchit de Fragonard dans les années 1780 et use de stratégies pour se faire connaître. Elle se rapproche notamment de deux marchands d’art connus de l’époque, Jean Dubois et Goury de Champgrand, à qui elle confie ses peintures. Elle diffuse également son nom grâce au marché de l’estampe. Son sens aigu du commerce lui permet de gagner confortablement sa vie et d’être l’une des femmes artistes qui a le mieux réussi de sa génération, et de son vivant. Son œuvre est caractérisée par des scènes de genre sentimental, des portraits mais également des scènes érotiques ! On lui commande notamment l’illustration du roman Les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos en 1796.
L’Elève intéressante (vers 1786) est exposé en ce moment au musée du Louvre, en salle 929, aile Sully, niveau 2.
Lisa Back
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