Aujourd’hui encore, le règne de Louis XIV est entaché par une affaire qui fit frémir les Parisiens pendant presque dix ans. Empoisonnements, messes noires, philtres d’amour et poudre de succession, plongez dans la sombre Affaire des Poisons…
Préface : l’Affaire Brinvilliers
Nous sommes en 1672, à Paris. Un officier de cavalerie, Godin de Sainte-Croix est retrouvé mort chez lui, de façon naturelle. Lors de l’inventaire après décès, un coffret est découvert. D’extérieur totalement banal, la cassette contient ce qui allait faire basculer Paris dans la peur.
Son contenu se résume à des papiers, dont une dizaine des lettres de la maîtresse de Sainte-Croix, Marie-Madeleine Dreux d’Aubray, marquise de Brinvilliers, ainsi qu’une reconnaissance de dettes de cette dernière. Plus inquiétant, ce sont également de mystérieuses fioles qui sont retrouvées. Après analyses, il s’avère que ces fioles contiennent…du poison. En ouvrant les lettres, les autorités tombent sur une confession de la marquise, qui avoue avoir empoisonné son père, ainsi que ses deux frères, pour s’approprier leur part d’héritage.
Bien évidemment, on recherche la Brinvilliers, qui s’enfuit à l’étranger. Il faut attendre 1676 pour que la marquise soit retrouvée par François Desgrez, le meilleur policier du lieutenant-général de Police, Nicolas de La Reynie. Lors de son arrestation, de nouvelles preuves accablantes sont découvertes : des confessions écrites où la marquise s’accuse des pires vices pour l’époque : parricide, fratricide, pyromanie, avortement et même inceste. Lors de ses interrogatoires, elle nie tout et tente même de se suicider en prison. Son procès, qui dure près de trois mois, fascine et effraie tout Paris. Madame de Sévigné écrit : « « On est dans une agitation, on envoie aux nouvelles, on va dans les maisons pour apprendre ».
La marquise avoue tout de même qu’il y a « beaucoup de personnes engagées dans ce misérable commerce de poisons, et des personnes de condition. ». Il est vrai qu’en ces temps, cela fait quelques années que la mode des poisons, venue d’Italie au XVIe siècle, se fait de plus en plus ressentir à Paris. Les pénitenciers de Notre-Dame affirment que « la plupart de ceux qui se confessaient à eux depuis quelques temps s’accusaient d’avoir empoissonné quelqu’un. » Philtre d’amour et autre « poudre de succession » sont de plus en plus populaires, surtout dans les hautes sphères de la société… Quoi qu’il en soit, à l’issue du procès, la marquise est condamnée à la décapitation puis à ce que son corps soit brûlé.
Un réseau d’empoisonneurs
Paris peut retrouver un peu de calme après cette sordide affaire. Mais cette histoire d’empoisonnements est beaucoup moins isolée qu’on ne le pense et s’avère n’être que la partie émergée de l’iceberg.
Le pouvoir prend véritablement peur lorsque, seulement quelques mois après le procès de la Brinvilliers, un billet anonyme est déposé dans le confessionnal de l’abbaye des Jésuites de la rue St Antoine. Il fait allusion à un complot ourdi contre le roi Louis XIV et dans lequel il est question de l’utilisation d’une « poudre blanche »…Les ministres Colbert et Louvois en prennent connaissance et chargent La Reynie, aidé par Desgrez, de l’enquête.
Commence alors une série d’arrestations. Une femme nommée Madeleine Gueniveau, veuve La Grange, est arrêtée : elle est accusée d’avoir empoisonné son mari.  La police entend ensuite parler d’une certaine Marie Bosse, qui se serait vantée au cours d’un repas un peu trop arrosé que sa fortune serait faite au bout de trois empoisonnements. Desgrez envoie chez cette femme l’épouse de l’un de ses sergents, en lui demandant de s’y plaindre de son mari. Au bout de trois visites chez la Bosse, la complice de Desgrez en ressort avec une fiole de poison. Marie Bosse est arrêtée, et on s’aperçoit que c’est elle qui a fourni le poison qui a tué le mari de Madeleine Gueniveau. Les arrestations continuent avec celle de Louis de Vanens, officier et faux-monnayeurs chez lequel on retrouve toute une officine remplie de poisons. Les nombreux interrogatoires sous forme de torture, appelée la Question, apportent des révélations qui font froid dans le dos de la police : la Bosse affirme qu’il y a plus de 400 marchands de poison dans Paris !
Pourtant, il semble que les poisons proviennent en grande partie de chez une seule femme, dont le nom revient souvent : Catherine Deshayes, veuve Monvoisin et dite La Voisin. Desgrez arrête cette femme, le 12 mars 1679. Même si La Voisin lit la bonne aventure et tire les horoscopes, elle vend bel et bien de nombreuses substances douteuses, souvent destinées à tuer. Elle oriente également sa clientèle vers les autres empoisonneurs de son réseau. Pire, elle organise des messes noires, ces rituels sataniques souvent commandés par des femmes qui veulent s’attirer les faveurs des forces du mal. On y l’on récite la messe à l’envers avant d’égorger un nouveau-né dont on recueille le sang dans un calice en guise d’offrande au démon.
La Chambre Ardente
Devant cette affaire qui prend de plus en plus d’importance, le Roi fait créer en avril 1679 une juridiction exceptionnelle : la Chambre Ardente. Située dans les bâtiments de l’Arsenal, elle fait siéger  les membres les plus illustres du Conseil d’Etat et de grands magistrats. La Chambre Ardente ne tient pas son nom du bûcher, mais plutôt des tribunaux chargés de juger les crimes. Ils se tenaient dans une grande salle tendue de noir et éclairés « à torches et flambeaux. »
La Chambre Ardente prend connaissance des rapports de police et des interrogatoires : plus les empoisonneurs sont arrêtés et questionnés et plus les noms de leur clientèle tombent. Des noms parfois très puissants : le maréchal de Luxembourg, l’écrivain Jean Racine, Madame de Poulaillon, la duchesse de Bouillon et même Mademoiselle des Œillets maîtresse occasionnelle de Louis XIV…
Impossible de discerner si les aveux sont authentiques ou des affabulations révélées sous la torture. Quoi qu’il ne soit, la Chambre Ardente auditionne en trois ans 442 accusés et ordonne 367 arrestations. Parmi les condamnés au bûcher, La Voisin qui sera brûlée le 22 février 1680 en place de Grève (actuelle place de l’Hôtel de Ville).
Rebondissement aux dimensions politiques
Mais l’histoire, riche en rebondissements, est loin d’être terminée. La mort de La Voisin marque le point de départ de l’aspect le plus scandaleux de l’Affaire des Poisons. En effet, quelques mois après sa mort, sa fille, Marie-Marguerite Monvoisin, va trouver Nicolas de La Reynie. Elle lui confesse qu’elle a des révélations importantes à lui faire, notamment concernant Madame de Montespan…Cette Montespan n’est nulle autre que la favorite du roi Louis XIV depuis 1667. A la Cour de Versailles, elle est plus puissante que la Reine elle-même. Marie-Marguerite Monvoisin avoue que sa mère a été sollicitée pour faire empoisonner la rivale de Madame de Montespan, Angélique de Fontanges, morte mystérieusement à seulement 19 ans. Elle confesse également que sa mère a fourni à la favorite des « poudres pour l’amour » manifestement destinées au Roi…Elle rejoint également d’autres témoignages d’empoisonneurs en disant que Madame de Montespan a assisté à des messes noires. Comble de l’horreur : la jeune fille va même jusqu’à affirmer que la favorite aurait demandé des poisons pour assassiner Louis XIV !
Lorsque Louis XIV pose les yeux sur ces rapports, il prend peur. Avec Madame de Montespan, il a eu sept enfants, qu’il a tous fait légitimer. Cela signifie que ces derniers pourraient hypothétiquement avoir des droits sur la couronne de France. Il imagine le scandale si le peuple, la Cour et l’Europe apprennent qu’il a pour descendants légitimes les enfants d’une empoisonneuse ! Madame de Montespan est disgraciée mais le mal est fait.
Le monarque décide alors de tout arrêter et d’étouffer l’Affaire : il interdit les magistrats de la Chambre Ardente d’utiliser les registres compromettants qu’il fait enfermer dans une cassette. En juillet 1682, une lettre de cachet du Roi ferme définitivement la Chambre Ardente. En cinq ans, elle aura acté 104 jugements, 36 condamnations à mort, 4 condamnations aux galères, 34 à des peines de bannissements ou d’amende et 30 acquittements. Les témoins gênants comme Marie-Marguerite Monvoisin sont envoyés dans des prisons royales, à défaut d’être brûlés comme les autres.
En 1709, après la mort du lieutenant de police La Reynie, Louis XIV retrouve la fameuse cassette. Il brûle lui-même tous les papiers compromettants, effaçant ainsi toute trace de la culpabilité de son ancienne maîtresse. Aujourd’hui encore, il est difficile d’affirmer si, oui ou non, Madame de Montespan s’est rendue coupable de ces atrocités. Le mystère ne sera sans doute jamais élucidé…
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Virginie PaillardÂ
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